
Par Hilaire de Crémiers.
Un travail considérable comme en fournit si régulièrement notre ami Jean Sévillia. Et absolument passionnant pour qui s’y plonge. Car il ne s’agit pas simplement d’une accumulation de faits, d’un ensemble de considérations historiques et politiques qu’une bibliographie impressionnante vient illustrer.

y a au fur et à mesure de la présentation des événements qu’il analyse une compréhension qui en est donnée avec un éclairage qui va au-delà de l’histoire, jusqu’aux motifs et mobiles de l’action humaine, emportée souvent malgré elle dans la tourmente des événements. Des choix de fond qui entraînent des conséquences qui deviennent elles-mêmes des causes dans des enchaînements terribles que la meilleure volonté du monde ne peut plus arrêter.
Telle est l’histoire de l’Autriche depuis les démembrements des traités de paix de 1919. Jean Sévillia s’exprime de manière préalable, dans une confession personnelle, sur cet attachement singulier qui le lie à l’Autriche, lui et sa famille. Il aime ce pays qui est sa deuxième patrie. Et il a entrepris de la réhabiliter. Il réécrit avec force et finesse toute l’histoire de l’Anschluss, « une contre-histoire », écrit-il. D’où la nécessité pour en montrer les préliminaires d’appréhender ce qui a précédé, de montrer comment cet Anschluss a été programmé, voulu et réalisé, d’en savoir les terribles conséquences et d’en apprécier aujourd’hui les responsabilités. La première et grande erreur fut le dépeçage de l’ancienne Autriche. « L’Autriche, c’est ce qui reste », disait Clemenceau qui satisfaisait sa haine historique d’idéologue révolutionnaire. Les Autrichiens se sont débattus avec cet affreux problème, isolés, privés de toute reconnaissance internationale, coupés de leur identité propre, de leur histoire qui fut grande, de leur dynastie Habsbourg qui les constituait en peuple depuis des siècles ; et ils se sont divisés comme tout peuple jeté en république sans institutions historiques. L’attirance fatale était donc l’Allemagne, ce qui était prévisible. Et, cependant, il a toujours existé une Autriche éternelle qui se refusait à sa disparition et sa fusion dans le grand tout germanique, en vérité prussien. Son chancelier Dollfuss a payé le prix de cette politique d’indépendance de sa vie, puis son successeur Schuschnigg de sa liberté de décision.
« L’Autriche, c’est ce qui reste »
Le conservatisme social et catholique, corporatiste, antiparlementaire et anti partisan de Dollfuss et Schuschnigg n’a rien d’un fascisme, contrairement à ce qui a été dit, et encore moins d’un nazisme. Jean Sévillia explique parfaitement la question, qu’il traite longuement. Il étudie tous les auteurs et historiens qui ont donné leurs avis sur ces points discutés. Mais socialistes et nationaux pangermaniques, à quelques exceptions près, ont ruiné les efforts de ceux qui voulaient maintenir l’Autriche dans sa longue durée historique et civilisationnelle. Les Alliés n’ont jamais aidé l’Autriche. L’Angleterre cédait tout à l’Allemagne et ce même jusqu’en 1938. La France allait de crise en crise, de Chautemps, en Blum, puis en Daladier. Mussolini au début favorable à l’Autriche a été jeté par les Alliés dans les bras d’Hitler.
L’Anschluss fut une catastrophe, à tous points de vue. Antisémitisme virulent et criminel, anticatholicisme, malgré les palinodies de l’archevêque de Vienne, propagande, abrutissement, guerre à outrance, quasi guerre civile. Enfin une libération pénible avec des retours en arrière déshonorants. Le bilan est affreux. Mais Sévillia montre que la grâce du bien a toujours brillé de sa lumière bienfaisante dans cette Autriche profondément catholique, nombre de martyrs en témoignent.
Et il faut le dire et le souligner : ceux qui ont le mieux vu, le mieux compris, ce sont les « légitimistes » monarchistes, les fidèles des Habsbourg, et le premier d’entre eux, Otto, le fils de Charles et Zita qui dès ses dix-huit ans a pris son rôle d’héritier au sérieux. Il n’a cessé de dénoncer le péril nazi et jusqu’au bout a combattu pour la liberté de l’Autriche. Impossible de résumer ce livre d’une immense richesse de documentation et d’une grande puissance d’analyse. Une œuvre où l’auteur a mis toute son intelligence et tout son cœur. Comme d’habitude. Peut-être plus ! ■
Jean Sévillia, Cette Autriche qui a dit non à Hitler; 1930-1945, Perrin ; 506 p. ; 24€
Mille merci à Hilaire de Crémiers pour cette précieuse indication de lecture. Grand admirateur de l’Autriche «culturelle et politique», je «sais» (si j’ose dire) ce que nous résume Hilaire, ici ; ce qui me permet de réellement savoir à quel point je ne sais pas . Je vais donc me jeter sur ce livre dès que possible !
J’en profite pour signaler à qui ne connaîtrait pas les œuvres de l’Austro-Bohémien Adalbert Stifter, assurément l’un des plus gigantesques romanciers (et/ou nouvellistes) occidentaux, des plus bouleversants, des plus authentiquement métaphysiques – œuvres d’une beauté à pleurer toutes les larmes de son corps.
Vive Dieu !
C’est bien gentil de pointer du doigt l’Angleterre qui « cédait tout à l’Allemagne », mais il faudrait aussi parler de la France républicaine qui a tout cédé à la petite entente, cette alliance malfaisante des Tchèques, Roumains, Serbes et Polonais, dont l’aveuglement n’eut d’égal que le cynisme. Rappelons que les habitants des Sudètes se considéraient comme autrichiens avant que le gouvernement Benès -Masaryk n’interdise à Vienne de défendre ses anciens sujets menacés de déracinement, voire d’expulsion. Et si la France prit cette position absurde, ce fut pour des raisons purement idéologiques. À chacun son paquet.
Jean Sévilla rend justice à cette histoire contrastée, on a refusé le retour d' »Otto, » résultat on a eu l’Anschluss, baptisé « opération Otto », c’est à dire, qu’il s’agissait pour les nazis de »
le flinguer » , comme ils ont a essayé de le faire ensuite deux après en Belgique. l’ Europe civilisée s’est dé-civilisée suite à la grande guerre. Il est paradoxal , mais non étonnant finalement de constater que ce sont deux écrivains juifs , voyant plus loin , qui ont rendu hommage à la vieille Monarchie, Joseph Roth malheureusement devenu alcoolique pour cette raison dans sa déchirante nouvelle et adieu, » « la crypte des capucins » et Stefan Zweig ( écrivain doué, mais pas fait pour la politique) dans ses mémoires, le monde d’hier. Les démocrates chrétiens , eux, en ont bien été les fossoyeurs . erci à David de ses précisions.