
COMMENTAIRE – Cet entretien – réalisé par a été publié aujourd’hui même dans le Figaro. C’est en effet ce jeudi que Giorgia Meloni – couramment désignée comme le seul homme parmi les chefs d’États européens – se rend en visite à Washington. Ce qu’on appelle déjà le miracle italien en symétrie avec le miracle allemand de naguère, aujourd’hui à la peine, son amitié avec Donald Trump, renforcent sa position. Sa politique économique ? Elle se distingue par des adjectifs venant corriger les substantifs : son libéralisme est enraciné, son protectionnisme est stratégique. En ressemblance avec le nouvel esprit américain, en tout cas celui qui est présentement au pouvoir. À l’horizon, nul miracle français n’est annoncé.
ENTRETIEN – Alors que Giorgia Meloni se rend le 17 avril à Washington pour évoquer les droits de douane que Donald Trump souhaite imposer à l’Union européenne, l’Institut Thomas More publie une note sur sa politique économique.
Agrégé de sciences économiques et sociales, Tristan Audras est chercheur associé à l’Institut Thomas More et auteur de la note « La politique économique de Giorgia Meloni, entre libéralisme enraciné et protectionnisme stratégique ».
LE FIGARO. – Giorgia Meloni a pu se gargariser de ses relations privilégiées avec l’Administration Trump. Mais, alors que le commerce italien dépend beaucoup des exportations, cela lui sera-t-il d’un quelconque secours dans la guerre commerciale que livrent les États-Unis à l’Europe ?
Tristan AUDRAS. – Le succès de la politique commerciale italienne est, depuis quelques années, absolument sensationnel. En 2024, avec une balance commerciale avoisinant les 55 milliards d’euros, la péninsule est devenue le quatrième exportateur mondial. Elle s’appuie notamment sur un tissu d’entreprises familiales au savoir-faire recherché dans des secteurs porteurs tels que les produits pharmaceutiques ou l’alimentation. Les nouveaux droits de douane que Donald Trump souhaite imposer inquiètent donc particulièrement le gouvernement italien, qui a, en effet, misé sur ses relations avec les États-Unis. Pour l’instant, l’Italie ne bénéficie d’aucun traitement de faveur, mais le voyage de Meloni à Washington le 17 avril laisse encore des portes ouvertes.
Quels sont les principaux traits de son « protectionnisme stratégique » ? Parvient-elle à défendre le « made in Italy » en dépit des réglementations européennes qui interdisent les aides aux entreprises nationales ?
Le protectionnisme de Giorgia Meloni est bien sûr largement limité par un cadre européen qui a fait de la concurrence un dogme. Toutefois, le gouvernement italien a su se servir de l’UE pour protéger ses industries. Outre l’utilisation d’exceptions dans le droit concernant le Mezzogiorno, rappelons que l’Italie est le principal bénéficiaire du plan de relance européen (environ 194 milliards d’euros), qu’elle utilise pour moderniser ses entreprises. Meloni a aussi lancé plusieurs initiatives pour la défense du « made in Italy », comme la constitution d’un fonds national qui bénéficiera d’une enveloppe de 1 milliard d’euros sur ses deux premières années. Contrairement à Donald Trump, elle ne mise pas sur une politique tarifaire (qu’elle ne pourrait mettre en place) mais sur des investissements et un soutien aux entreprises. Récemment, elle a annoncé vouloir réaffecter 25 milliards d’euros à la défense des industries qui pourraient être impactées par les droits de douane.
Meloni bénéficie de la stabilité politique de sa coalition qui constitue, aujourd’hui, un atout économique. Le contraste est saisissant avec la France
Arrivée au pouvoir sur un discours critique du système et de la coalition de Mario Draghi , Giorgia Meloni semble désormais bénéficier d’un large soutien des milieux économiques italiens. Comment expliquer ce succès ?
Le soutien des milieux économiques italiens repose, semble-t-il, sur plusieurs facteurs, non seulement économiques, mais aussi politiques. En faisant passer le déficit public de 8 % en 2022 à 3,4 % en 2024, Meloni a d’abord rassuré les marchés financiers et l’UE, réduisant considérablement le spread de taux avec l’Allemagne. Avec une politique favorable aux entreprises, qui dans sa philosophie n’a rien de révolutionnaire, la présidente du Conseil rassure aussi les grandes organisations industrielles et soigne les artisans et commerçants qui constituent un pilier de son électorat. Enfin, Meloni bénéficie aussi de la stabilité politique de sa coalition, qui constitue, aujourd’hui, un atout économique. Le contraste est saisissant avec la France. La présidente du Conseil peut mener des politiques structurelles qui favorisent l’investissement.
Dans votre note, vous parlez de « libéralisme enraciné » au sujet de la politique économique de Giorgia Meloni. Que signifie ce terme ? Comment s’articulent le libéralisme et le conservatisme social ?
La politique économique intérieure de Giorgia Meloni est, par bien des aspects, d’inspiration libérale. C’est très clair, par exemple, pour le marché du travail sur lequel la présidente du Conseil a mené des politiques de réductions des charges sociales et refuse l’instauration d’un salaire minimum. De même, elle prône des politiques sociales qui valorisent la responsabilité individuelle et le mérite. À ce titre, la suppression du revenu de citoyenneté, sorte de RSA italien, est éloquente. Néanmoins, ce libéralisme n’est absolument pas dogmatique. Il s’inscrit dans un cadre national qu’il s’agit de défendre avant tout. Meloni n’est pas mondialiste ou partisane d’un libre-échange débridé. Elle défend surtout les intérêts italiens, d’où l’expression de « libéralisme enraciné ».
À long terme, l’ambition de Giorgia Meloni est cependant double. Elle souhaiterait profiter de sa position géographique et voudrait réduire sa dépendance énergétique
Dans la compétition internationale, l’Italie souffre beaucoup du « brain drain », la fuite des jeunes cerveaux. Comment le gouvernement Meloni s’attaque-t-il à la crise démographique et au manque de travailleurs ?
La fuite des cerveaux est, en effet, un problème important en Italie. Un rapport de la Fondation Nord-Est estime qu’entre 2011 et 2023 plus de 550.000 jeunes Italiens, ont quitté la péninsule. À cela s’ajoute une crise démographique aiguë, avec un taux de fécondité catastrophique de 1,2 enfant par femme. En vingt ans, l’Italie a donc perdu 2,2 millions de travailleurs de moins de 35 ans. Conscient du problème, le gouvernement Meloni a fait de la reprise de la natalité une priorité. Aide à l’embauche des mères de famille, allocations familiales ou encore subventions pour les crèches, de nombreuses mesures ont été mises en place pour contrer la baisse des naissances. Pour la fuite des cerveaux, le bilan est plus maigre. Meloni mise principalement sur la valorisation du « made in Italy ». On peut citer, ici, la création d’une nouvelle filière ainsi nommée au lycée, centrée sur l’étude des spécificités économiques italiennes.
L’autre grande faiblesse italienne est sa politique énergétique : quelle est l’attitude du gouvernement italien face à la dépendance énergétique du pays ?
Meloni arrive au pouvoir en 2022, au moment où l’Europe impose une série de sanctions à la Russie pour son invasion de l’Ukraine. Cette année-là, 34 % du pétrole, et 48 % du gaz italien venait de Moscou. Le premier défi pour la présidente du Conseil a donc été de trouver de nouveaux fournisseurs et de sécuriser ses approvisionnements. Pour ce faire, elle a d’abord diversifié ses achats en se tournant principalement vers l’Algérie, l’Azerbaïdjan et le Qatar. À long terme, l’ambition de Giorgia Meloni est cependant double. Elle souhaiterait profiter de sa position géographique pour faire de l’Italie un « hub gazier » en Europe et voudrait réduire sa dépendance énergétique en développant un programme de production nationale ambitieux. Celui-ci prévoit, entre autres, une augmentation massive de la production d’énergies renouvelables et une relance de l’activité nucléaire. ■