
» Les violences sexuelles ont à voir avec les violences, plus qu’avec la sexualité. »
Par Elisabeth Lévy.
On aime bien Élisabeth Lévy, pas forcément parce qu’on est d’accord avec elle – même si c’est souvent le cas – mais pour son franc-parler, ses emportements, sa drôlerie, sa lucidité quand elle perçoit ce que les autres ne voient pas. Pour ses coups de gueule enfin où elle assène quelques vérités bien senties, et même, parfois, pour sa (rare) naïveté. Elle a souvent raison contre tous (y compris contre Pascal Praud sur CNews, par exemple). Cet article, qui condense un peu toutes ces qualités, est paru dans Causeur le 29 avril.
Les verbalisations des clients de prostituées sont en baisse, se désole Aurore Bergé, notre ministre chargée de l’Égalité femmes-hommes. Punir ce qui n’est pas interdit, voilà qui est plutôt amusant. « Il ne faut rien laisser passer. Tolérance zéro ! » a-t-elle déclaré hier, à l’AFP. En France, si vous voulez acheter un câlin, vous repartez avec une amende salée – 1500 €, 3 750 en cas de récidive – et une leçon de morale gratuite. Liberticide !
C’était hier l’anniversaire de la stratégie nationale de lutte contre le « système prostitutionnel » – cette expression pompeuse ne fera évidemment pas disparaitre le plus vieux métier du monde, mais ça claque.
Aurore Bergé veut la « tolérance zéro » pour les clients de prostituées. C’était hier l’anniversaire de la stratégie nationale de lutte contre le « système prostitutionnel » – cette expression pompeuse ne fera évidemment pas disparaitre le plus vieux métier du monde, mais ça claque. Pour la ministre de l’Égalité femmes-hommes, sanctionner les « proxénètes et les clients » reste une priorité. Payer une femme qui vend librement non pas son corps mais de la sexualité (son corps, elle le garde), c’est donc selon la ministre la même chose que l’exploiter, la contraindre, la violenter.
Une loi stupide
Mme Bergé veut réactiver une loi stupide de 2016 qui sanctionne les clients. Au terme de cette loi que j’avais grandement combattue, vous avez le droit de vendre un service (on a même abrogé le « délit de racolage »), mais il est interdit de l’acheter. En gros, c’est comme si on vous disait que vous pouvez ouvrir une boulangerie mais que quiconque y achète une baguette sera condamné.
À part des déclarations ronflantes sur cette avancée majeure, l’effet réel de cette loi a été à peu près nul. Il y a tout de même eu environ 1100 verbalisations pour achat d’actes sexuels sur majeur par an. Mais, en réalité, la prostitution se passe de moins en moins dans la rue. Donc l’immense majorité des clients et des prostituées échappent à la maréchaussée.
Il faut bien lutter contre la prostitution, me dit-on. Pourquoi ? Il faut réprimer les réseaux, les esclavagistes qui exploitent des femmes vulnérables, oui. Mais au nom de quoi interdire à des adultes consentants d’échanger du sexe contre de l’argent ? La France est officiellement favorable à l’abolition – un objectif évidemment hors d’atteinte, mais qui reflète un puritanisme de dame-patronnesse scandaleusement liberticide. Aurore Bergé a toutefois raison sur un point : la prostitution n’est pas un exutoire contre les violences sexuelles[1]. Les violences sexuelles ont à voir avec les violences, plus qu’avec la sexualité.
Femmes puissantes
D’un point de vue sociologique, la prostitution a sauvé la famille traditionnelle. Mais, il faut aussi la défendre philosophiquement. La prostituée et écrivain suisse Griselidis Real dit que la concernant se prostituer est un acte révolutionnaire. Certaines femmes (et des hommes) préfèrent se prostituer qu’être caissière. Il y a même des étudiantes qui font des extras, pas pour manger comme la presse le raconte souvent pour faire pleurer dans les chaumières, mais pour se payer des sacs de marque parce que, pour elles, la sexualité n’est pas un sacrement mais une activité banale – éventuellement agréable. Et alors ? On leur dit qu’elles sont aliénées, on leur explique qu’elles sont traumatisées. La liberté c’est de choisir son aliénation. Esther, Nana… Littérature et cinéma sont pleins de putains splendides, puissantes et enivrantes.
Sous prétexte de protéger les femmes, comme d’habitude on les traite comme des enfants et comme des victimes. Tarifée ou pas, la sexualité entre adultes n’est pas un crime. Alors que l’État lutte contre le crime et qu’il arrête de se mêler de nos fesses. ■ ÉLISABETH LÉVY
Cette chronique a été diffusée sur Sud Radio
Retrouvez Elisabeth Lévy dans la matinale de Jean-Jacques Bourdin
[1] « C’est un débat qui n’est pas si simple en France. On entend encore beaucoup de remarques disant heureusement que la prostitution existe, parce que c’est un exutoire, parce que sinon on aurait encore plus de violences sexuelles dans le pays » a estimé hier la ministre.
Sans aller jusqu’à punir financièrement la prostitution, aller jusqu’à dire que « faire la pute pour se payer un sac de marque », c’est comme contrôler un billet dans un train de la SNCF, vendre une baguette chez un boulanger ou chanter à l’Olympia, est peut-être un peu exagéré. En tout cas, une attitude aussi laxiste ne peut pas faire croître le respect que nos jeunes concitoyens, FILLES COMME GARCONS, ont de la femme …