
« Seriner aux peuples qu’ils ont tort ne servira à rien. Au contraire, cela accroîtra le nombre de votes radicaux. Dans un esprit démocratique, il convient de respecter et de prendre en compte les sentiments nationaux. »
Cette analyse de Renaud Girard parue dans Le Figaro d’hier matin (06.05.2025), politiquement assez incorrecte – en voie de devenir correcte ? – est remarquablement lucide dans son esprit et son détail. Quels que soient les pouvoirs édulcorants de la rédaction du Figaro et son habileté à rogner, par ses titres et chapeaux, les angles trop vifs des énoncés clairs et nets qui pourraient déplaire à la partie politiquement correcte de son lectorat, Renaud Girard constate la mise en échec des politiques qui dénient aux nations d’Europe le droit et la volonté de plus en plus affirmés partout de demeurer souveraines et de rester elles-mêmes. On le voit : le sujet n’est pas mince et Renaud Girard en parle d’expérience. Dossier à suivre depuis la France où l’idéologie domine hélas encore notre politique étrangère, si on peut encore lui donner ce nom… JSF
Par Renaud Girard.
CHRONIQUE – Le vote de la Roumanie pour George Simion, qui a recueilli près de 41 % des suffrages au premier tour, signale qu’une vague souverainiste, aux accents trumpistes, est en train de déferler sur une partie de l’UE.
En Roumanie, les électeurs ont à nouveau tranché. Au premier tour de l’élection présidentielle, qui s’est tenu le 4 mai 2025, le candidat nationaliste George Simion, leader du parti AUR (Alliance pour l’unité des Roumains) est arrivé en tête avec 41 % des voix. La dernière fois que les électeurs roumains s’étaient prononcés démocratiquement, leur vote avait été annulé par une décision de la Cour constitutionnelle roumaine. Cette institution avait annulé le précédent premier tour de la présidentielle, où un autre candidat nationaliste, Calin Georgescu, était arrivé en tête avec 23 % des voix. Les juges avaient avancé comme raison la vague de messages prorusses qui avait déferlé sur les réseaux sociaux, et qui aurait donc indûment influencé l’électorat, lui faisant ainsi faire le « mauvais choix ».
Le 14 février 2025, dans un discours à la conférence de Munich sur la sécurité, le vice-président américain JD Vance avait pris comme exemple l’invalidation du scrutin roumain pour dénoncer une Europe institutionnelle incapable d’autoriser chez elle la libre expression de toutes les opinions et craintive face au suffrage universel. Dans une seconde instance judiciaire, les juges roumains avaient interdit à Georgescu de se représenter au scrutin présidentiel. Il avait alors appelé à voter pour George Simion, candidat nationaliste, opposé comme lui au soutien européen à l’Ukraine, qui avait fait 14 % des voix dans le scrutin invalidé par les juges.
Pour montrer leur alliance et leur bonne entente, Georgescu et Simion sont allés voter ensemble le dimanche 4 mai. Dans sa campagne électorale, Simion avait promis de « porter Calin Georgescu au pouvoir », par exemple en le nommant premier ministre.
Acharnement judiciaire
C’est un stratagème qui avait été utilisé à l’élection présidentielle sénégalaise de mars 2024. Les juges sénégalais avaient empêché le très populaire Ousmane Sonko de se présenter. Son parti, le Pastef (Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité) avait alors présenté l’un de ses proches. Bassirou Faye fut élu dès le 1er tour, avec plus de 54 % des voix. Ce dernier nomma aussitôt Ousmane Sonko premier ministre. L’électorat sénégalais confirma le tandem, en donnant une majorité écrasante au Pastef lors des législatives de novembre 2024. La manœuvre du régime de l’ancien président Macky Sall – bloquer l’ascension fulgurante d’un opposant au moyen d’un procès et d’une arrestation – se révéla totalement contre-productive.
Ces électeurs européens reprochent à la bureaucratie bruxelloise de créer en catimini une Europe toujours plus fédérale
Sollicités une seconde fois, les électeurs roumains n’ont nullement désavoué la personne dont les juges avaient prononcé l’inéligibilité. En mai 2025, les votes pour Simion sont de quatre points supérieurs au cumul des voix de Georgescu et Simion lors du scrutin invalidé du mois de décembre 2024. Le même phénomène s’était déroulé aux États-Unis. L’acharnement judiciaire des procureurs démocrates contre Donald Trump n’avait fait que le faire monter dans les sondages, puis dans les urnes.
En France, la condamnation judiciaire à l’inéligibilité de Marine Le Pen l’a également fait monter dans les sondages. Et si une décision en appel, attendue pour 2026, confirmait cette inéligibilité, Jordan Bardella ferait le même score qu’elle – quatorze points de plus que les candidats du centre les mieux placés. Le vote roumain signale qu’une vague souverainiste, aux accents trumpistes, est en train de déferler sur une partie de l’Union européenne. On la voit aussi en Hongrie, en Slovaquie, en Italie, et même en Allemagne, où l’AfD (qui fut soutenue dans sa campagne électorale par JD Vance) est arrivée en seconde place aux législatives de février 2025, derrière les chrétiens-démocrates, mais devant les sociaux-démocrates.
Succès incontestables
Ces électeurs européens, résolument à droite, acceptent l’appartenance de leur pays à l’Union européenne, mais ils reprochent à la bureaucratie bruxelloise, dirigée par Ursula von der Leyen, de créer en catimini une Europe toujours plus fédérale. Ils lui reprochent aussi de s’être trop mêlée de la guerre en Ukraine et d’avoir fait des choix désastreux en matière de politique énergétique (en boycottant le gaz russe pour le remplacer par du gaz de schiste américain).
L’Union européenne conserve à son actif des succès incontestables. Elle a maintenu la paix sur le continent européen pour la plus grande durée que ce dernier ait jamais connue. Elle a sauvegardé une agriculture saine et efficace au service des Européens. Bien avant la mondialisation, elle a habitué les entreprises européennes à se confronter à la concurrence. Par ses subventions régionales, l’UE a permis un essor incroyable à des pays jadis encore très pauvres, comme la Pologne, la Hongrie, la Grèce, le Portugal, l’Espagne, etc. Par ses prérogatives en matière de concurrence et de politique commerciale, l’UE réussit à se faire respecter économiquement par des géants comme les États-Unis ou la Chine.
Quand les pays de l’Est refusent de prendre chez eux des réfugiés du Moyen-Orient qui ne soient pas chrétiens, il est contreproductif d’essayer de le leur imposerRenaud Girard
Mais ces succès ne sauraient provoquer une hubris bruxelloise, qui voudrait entraîner, contre leur gré, les nations européennes vers le fédéralisme. Force est de constater que la majorité des citoyens de l’Union européenne ne sont pas prêts aujourd’hui à oublier leurs nations au profit d’une sorte d’États-Unis d’Europe. À l’instar du général de Gaulle, ils sont favorables à l’Europe des patries. Ils se méfient d’une Europe supranationale.
Seriner aux peuples qu’ils ont tort ne servira à rien. Au contraire, cela accroîtra le nombre de votes radicaux. Dans un esprit démocratique, il convient de respecter et de prendre en compte les sentiments nationaux. Quand les pays de l’Est, sceptiques face au multiculturalisme, refusent de prendre chez eux des réfugiés du Moyen-Orient qui ne soient pas chrétiens, il est contreproductif d’essayer de le leur imposer. Car on n’a jamais vu une nation libre obéir à des injonctions extérieures sur un sujet aussi fondamental que l’avenir de sa société. ■ RENAUD GIRARD
« L’Union européenne conserve à son actif des succès incontestables. Elle a maintenu la paix sur le continent européen pour la plus grande durée que ce dernier ait jamais connue. » écrit le journaliste.
Quelle stupidité ! Ce qui a assuré la paix la péninsule européenne, ce ne sont pas les douteuses institutions de Bruxelles ! C’est l’écrasement de l’Allemagne et la très heureuse disposition de la couper en deux. D’ailleurs pourquoi ne l’a-t-on pas dépecée encaquante morceaux ?
Et la poutre, M. Girard ? elle nous crève les yeux et vous ne la voyez pas ! Élections déshonnêtes, information très déshonnête, juges déshonorés, politiques et présidence catastrophiques et déshonorantes.
Je suis d’accord avec les deux commentaires précédents. Renaud Girard concède à l’UE des succès qui ne le sont pas du tout. Voilà pour le passé. C’est trop évident. Est-il utile de le signaler ? Ça ne mange pas de pain.
En revanche, pour le présent, et pour le futur, Renaud, Girard constate la montée irrépressible des populismes européens et l’incapacité de l’UE à leur résister efficacement.
Ce point 2, dans l’ordre pratique ou, si on veut, tactique, est beaucoup plus important que le point 1. Du moins, selon moi.
Et il est important que ce soit dit dans un grand quotidien participant au système, plutôt que par nous, ou par des eurosceptiques connus comme tels dans leurs petits cénacles. Si intelligents, honnêtes, superdocumentés et rigoureux soient-ils !