
« L’Insee nous apprend que 40 % des naissances françaises sont aujourd’hui liées à l’immigration récente, souvent extra-européenne ».
Par Pierre Vermeren.

Cette tribune, qui aborde à la fois la mise en accusation – ancienne – de la famille, sa dislocation désormais presque accomplie dont nous subissons les conséquences dramatiques, et la dénatalité qui en découle, a paru dans Le Figaro de ce matin, 15 mai. Il s’agit là de données existentielles, pour la France comme pour ses voisins. À rapprocher de cette autre réalité corrélée : une immigration qui se poursuit à haute dose. Ce sont les stigmates d’une vitalité en voie d’extinction et d’une culture de mort qui passe peu à peu du ressenti à la réalité. Cela s’appelle une fin de vie. Sauf sursaut, sauf retour du désir de vivre… ou de revivre.
TRIBUNE – Dans un monde où procréer a cessé d’être naturel, il convient de se pencher sur les raisons culturelles de la crise de la natalité qui frappe la France, de la transition démographique du XIXe siècle jusqu’à la révolution des mœurs du XXe, explique l’historien*.
* Normalien, agrégé et docteur en histoire, Pierre Vermeren est l’auteur d’une dizaine d’ouvrages remarqués, comme « La France qui déclasse. De la désindustrialisation à la crise sanitaire » (Tallandier, « Texto », 2020), «On a cassé la République : 150 ans d’histoire de la nation» (Tallandier, 2020) et « L’Impasse de la métropolisation » (Gallimard, « Le Débat », 2021).

« Sans vitalité démographique, il n’y a plus de puissance ; puis la vie même est menacée ».
La dénatalité s’est imposée dans l’actualité mondiale en lieu et place de la surpopulation redoutée. Avec la décohabitation des deux sexes, elles sont des phénomènes générationnels mondialisés, hors Afrique subsaharienne pour l’heure. La France ne fait pas exception. Mais le pays qui a initié la transition démographique – la mortalité y dépassait la natalité dès la fin du XIXe siècle – a pris de l’avance.
Désormais, 1 naissance dans le monde sur 200 est française. L’Insee nous apprend que 40 % des naissances françaises sont aujourd’hui liées à l’immigration récente, souvent extra-européenne. Ajoutons qu’au moins 10 % des naissances proviennent de citoyens issus des départements et régions d’outre-mer – ce que leur statut colonial jusqu’en 1945 nous oblige à mentionner pour établir une juste analyse en longue durée.
Les Français, qui représentaient 2,8 % de la population mondiale en 1850 et 1,6 % en 1950, semblent ainsi se marginaliser au terme de leur brillante histoire. Une sourde haine de soi travaille le pays depuis les années 1960, portée de manière consciente ou inconsciente par les élites nées après-guerre. Diffusée de nos jours dans une jeunesse désaffiliée, elle pousse toujours plus de Français à ne plus supporter l’idée même de transmettre la vie.
La perte de vitalité démographique
La genèse de cette histoire s’est élaborée par paliers depuis le XIXe siècle, quand la France est entrée seule en « transition démographique ». C’est le principal échec de la IIIe République : ses 39 millions d’habitants de 1870 ont stagné jusqu’en 1945, malgré l’immigration amorcée durant la période. La chute s’est accentuée par l’envoi des jeunes Français à la Grande Guerre, ce tournant irréversible. Dans un monde très jeune, un quart des Français a alors été décimé ou handicapé à vie au sein d’un peuple déjà âgé. La suite du XXe siècle est une tentative pour surmonter l’hécatombe, par l’immigration latine puis par le baby-boom, qui ont, un temps, cassé la spirale du déclin. Dès 1973, la chute a repris, et s’affole depuis quinze ans.
Le choix de l’immigration internationale pour compenser la chute du taux de natalité a atteint son but : notre population croît toujours. Mais celle-ci a modifié la composition et les équilibres culturels, sociaux et anthropologiques du pays. Ce choix remonte à 1976-1979, quand l’immigration du travail a cédé la place à celle de peuplement – dite regroupement familial. Son accélération jusqu’à nos jours atteste de la volonté inébranlable de nos élites dirigeantes, sans que le peuple ait été consulté. La natalité endogène s’affaisse continûment, passé le mini-baby-boom du millénaire.
Comment analyser cette perte de vitalité des Français qui obère l’avenir de leur pays ? Sans vitalité démographique, il n’y a plus de puissance ; puis la vie même est menacée. Cette volonté des Français d’en finir avec leur longue histoire mérite un passage en revue des causes de notre dénatalité. Tentons de le faire en dix points.
Lois « sociétales » et liens familiaux
Commençons par sa dimension globale. Alice Evans rattache la brutale chute mondiale de la natalité au XXIe siècle à la décohabitation hommes-femmes, qui s’accélère presque partout, et à la désocialisation induite par les smartphones. Dans les pays industrialisés, elle se surimpose à la formation poussée des femmes et à leur travail salarié, à une conjugalité tardive et à l’obsession de la réussite apportée au (souvent seul) héritier.
En Europe, cette situation cohabite avec la crise de la conscience européenne née après 1918, devenue paroxystique après Hitler, du fait du legs moral des crimes de masse et du génocide accomplis sous sa dictature. Le spectre des millions de victimes a hanté la génération des boomers (cristallisé dans le slogan de 1968 « CRS-SS »), et se diffusa comme un poison, de l’art moderne à la culture punk, dans l’obsession de l’hitlérisme et des moyens d’empêcher sa résurgence – le plus efficace étant de ne pas transmettre la vie -, dans l’inclination à qualifier de « génocides » tout massacre de masse, dans la surenchère victimaire et la propension à la repentance pour des crimes commis par d’autres générations ou par d’autres peuples.
S’ajoutent les effets inattendus de la révolution des mœurs. L’histoire médiévale (La Théorie du mariage chez les moralistes carolingiens, Pierre Toubert, 1977) nous apprend, que, au tournant du IXe siècle, l’évêque Hincmar de Reims a inventé le mariage catholique, qui repose sur le libre consentement des femmes, pour frapper d’interdit les meurtres, les viols et les enlèvements de celles-ci. Des siècles plus tard, le code civil, qui visait à protéger la perpétuation de la société, en dépit de ses aspects patriarcaux, avait établi la protection de la mère et de l’enfant.
Or la destruction méthodique du code Napoléon depuis les années 1970 et le continuum des lois « sociétales » ont accompagné la désagrégation des liens familiaux. La société a offert aux pères potentiels une sexualité libre, sans contrainte ni devoir de famille. Les mères délaissées par leurs conjoints payent la facture de l’éducation : l’apparition de millions de mères célibataires – souvent pauvres de ce fait – a été coproduite par deux générations. Si l’on ajoute la ruine de la politique familiale établie depuis quinze ans, et la fermeture de 500 maternités, le passif est lourd.
L’effet de structure générationnelle
Ajoutons la valorisation médiatique, culturelle et juridique de tout ce qui détricote la famille dite « traditionnelle » – comprendre archaïque, quoiqu’elle soit le standard des familles immigrées. La lutte idéologique contre le mariage conjugal et ses représentations a été dûment poursuivie. Quelques décennies de travail ont porté la France au premier rang mondial du taux de naissances hors mariage (avec l’Islande), célébré par les médias en progrès universel.
L’effet de structure générationnelle est à prendre en compte. Les boomers nés entre 1942 et 1962 sont la plus nombreuse génération française (soit l’essentiel des 17 millions de retraités). Depuis les années 1960, cette énorme vague fait vivre la société à son rythme, de Johnny l’idole des jeunes jadis jusqu’au débat actuel sur l’euthanasie. Leur poids électoral considérable (près de la moitié des votants effectifs) tétanise les gouvernements, de sorte qu’en plein effondrement démographique on débat au Parlement des moyens de mourir « enfin » dans la dignité (après tant d’indignités ?).
Il y a un an, la constitutionnalisation de l’IVG était un gage donné à cet électorat, quoique celle-ci ne fût jamais menacée. Les avortements atteignent en France leur niveau record – à l’inverse d’autres grandes nations où il a beaucoup chuté (États-Unis, Italie, Allemagne, Russie), or la natalité s’affaisse partout. Lorsque le président Macron a expliqué la dénatalité par l’infertilité des Français, il a omis cette spécificité française : en cinquante ans et 10 millions d’IVG, la précautionneuse loi Veil a été dénaturée pour en faire un moyen de contraception, malgré les risques liés à cet acte pour les femmes (il n’y a pas d’acte médical sans risque).
« Projet parental »
Les sondages disent que les Français broient du noir pour leur société. Dans une partie de la jeunesse, le néoféminisme et l’écologie radicale tendent à criminaliser la maternité, qui asservirait les femmes pour les premières, et mettrait en péril la planète pour les autres (quoique la natalité française soit devenue infime). Ces idéologies fabriquent la solitude : femmes célibataires, divorcées, mères de famille ou veuves étaient 3.674.000 dans notre pays au dernier recensement (dont de plus en plus de jeunes femmes actives), les hommes seuls atteignant en outre 2 millions.
En devenant un fait culturel, la procréation se mue en acte de foi en l’avenir. Or sans espérance, ni la vie, ni un pari sur l’existence ne sont possibles.
Procréer a cessé d’être naturel depuis le contrôle de la natalité, ce qui est nouveau dans notre histoire. En devenant un fait culturel, il se mue en acte de foi en l’avenir. Or sans espérance, ni la vie, ni un pari sur l’existence ne sont possibles. L’effondrement des religions joue là un rôle clé. Si les études mentionnant la religion étaient admises, on aurait tôt fait de constater que les groupes minoritaires de croyants catholiques, juifs et musulmans ont une fécondité très supérieure à la moyenne.
Les impasses et apories de la propagande consumériste sont un autre écueil. Selon la publicité et les films proposés aux jeunes gens, la vie s’allonge et rien ne presse. L’illusion d’une longue jeunesse est un puissant moteur pour les industries cosmétiques, touristiques ou de loisirs. Pas question d’ébruiter le fait que le pic de fertilité des femmes est à 25 ans, et qu’à partir de 30 ans celle-ci décline, et qu’à 40 ans elle est problématique. Les Françaises ont leur premier enfant en moyenne à 31 ans, et beaucoup s’inquiètent après 40 ans. Si l’on ajoute que les jeunes parents sont l’objet d’un intense marketing mobilier et immobilier qui érige l’enfant en consommateur exigeant et onéreux – quand leurs grands-parents étaient élevés avec quelques linges et jouets -, tout incite les futurs parents à repousser leur progéniture – pardon, « leur projet parental » – que les accidents de la vie rendent aléatoire.
Des raisons plus prosaïques pèsent sur les ménages des classes populaires de la France périphérique. Ceux-ci sont assignés à résidence dans des zones à l’abandon, tant par l’immobilier que par la crise de l’école. Ils sont des victimes potentielles de la délinquance, qui leur interdit souvent l’accès aux banlieues dites populaires des villes – a fortiori aux centres clos des métropoles. Comment, dans ces conditions, projeter avec insouciance l’avenir d’enfants en devenir ?
L’éducation nouvelle
Notre société promeut une culture adolescente tardive basée sur un mode de vie ludique et immature. La sexualité « récréative » est prise en main par le capitalisme libertaire, qui promeut par l’internet tout ce qui était rejeté par la société jusqu’à la fin des années 1960 : pornographie, onanisme, voyeurisme, exhibitionnisme, perversités – y compris, sur internet, celles parfois susceptibles de qualifications pénales. Les comportements sociaux sont affectés : en atteste l’effondrement des rapports sexuels chez les jeunes.
Selon l’Ifop, entre 2006 et 2023, le taux des Français déclarant avoir au moins un rapport sexuel depuis un an est tombé de 87 % à 76 %. 22 % des hommes et 26 % des femmes s’enfoncent dans la solitude. Difficile de se reproduire ainsi, en particulier pour les plus pauvres, qui sont les plus désocialisés. Cela aggrave le passif : 12 % des employés, ouvriers et agriculteurs âgés de 50 ans n’ont jamais vécu en couple, contre 7,5 % des cadres. Ce taux s’aggravera avec l’inutilité établie des classes populaires dans la nouvelle économie, qui rejette les trois millions de Neet (« not in education, employment or training », « jeunes ni en formation, ni en emploi, ni en stage ») français dans la trilogie mortifère des addictions (jeux, pornographie, drogue) ; si loin des préoccupations familiales de nos ancêtres paysans ou artisans.
Enfin, l’arrivée à l’âge adulte des enfants de boomers, qui ont tacitement si peu transmis de leur héritage culturel, dévoile une jeunesse inapte à reproduire la vie de leurs parents et à engendrer. Transmettre la vie est non seulement devenu un acte pesé au trébuchet des humeurs, des capacités matérielles et de conjectures aléatoires, mais avoir des enfants semble devenu pour certains un acte politique. En outre, faute de savoir éduquer – faute de repères -, l’enfant roi est un odieux tyran qui tue le désir d’enfant, ainsi que l’observent tant des grands-parents que des voyageurs en TGV. L’éducation à la française rendait la famille facile et possible (« tais-toi ou file dans ta chambre ! ») pour un couple au travail. L’éducation nouvelle risque de ruiner la vie de famille.
Politique familiale
Face à cette décomposition, des solutions existent. Seules une volonté et une prise de conscience les rendraient possible. Les Françaises qui ont eu 1,59 enfant en moyenne en 2024 disent en vouloir un de plus (soit 2,39). L’appauvrissement des foyers, les coûts moraux et matériels, et l’absence de projet collectif compliquent ce rêve qui sauverait pourtant notre situation économique et nos retraites. Leur réforme a invisibilisé les femmes, qui pourraient, comme les enseignantes des Trente Glorieuses, bénéficier d’une année de retraite par enfant.
À court terme, un congé parental payé 1000 euros par mois réglerait la pénurie de crèches – qui coûtent le double par enfant. La restauration du quotient familial pour tous romprait avec le malthusianisme enclenché par le gouvernement Hollande, qui a cassé la courbe des naissances. Le retour de maternités de proximité à moins de 1000 naissances par an, avec l’assistance des CHU, briserait le sentiment d’abandon des mères potentielles sur de vastes territoires, et réduirait la honteuse mortalité infantile.
Encore faudrait-il lever le spectre d’une politique familiale réputée fascistoïde. C’est Daladier, investi par la Chambre des députés du Front populaire, qui a inventé la politique familiale à la française, élargie par tous les gouvernements successifs, notamment à la Libération. Face aux tenants de la disparition et face aux comptables avides d’économies, redisons que la politique familiale a permis au pays le plus vieux du monde en 1945 de survivre en déclenchant son seul boom démographique en deux siècles, avant qu’on ne la désactive. ■ PIERRE VERMEREN
Les animaux ne se reproduisent pas dans l’insécurité . C’est la première des raisons et qui englobe toutes les autres. Le sens des responsabilités est plus important que l’envie de mettre au monde des héritiers,
Insécurité dans le couple insécurité pour l’environnement , les finances, le travail , pour la paix , pour la vie quotidienne .. Pour élever une famille il faut avoir l’espérance d’offrir à ses enfants une vie meilleure et ce n’est ni dans l’incertitude ni l’inquiétude permanente actuelle que nous en éprouvons l’envie . On a chamboulé les valeurs familiales , la femme qui élève ses enfants n’a plus la priorité face à celle qui a .une profession et le divorce facile comme la liberté des mœurs ne favorise pas la stabilité .
C’est pourtant à sa démographie qu’on mesure la qualité de vie d’un pays, son importance et ..sa durée.