
« Il existe en France une partie de l’arc politique qui est travaillée par le régime algérien et dont LFI est la pointe la plus avancée, la plus visible et à défaut d’être démocratique la moins hypocrite au moins sur l’expression de son soutien à la dictature militaro-politique qui sévit à Alger. »
Par Arnaud Benedetti.

Cette tribune est parue dans Le Figaro du 21 mai. Le fond de l’article, qui ne nous apprend rien de nouveau, nous paraît se résumer dans cette formule qui dit l’essentiel sur l’affaire Sansal prise comme révélateur : « le scandale de la détention à Alger se double d’un scandale de la soumission à Paris. » On le savait déjà mais il n’est pas inutile de le répéter afin d’en convaincre les Français. Cette République, Ve du nom, ne vit plus, en tous domaines, que de scandales. JSF

TRIBUNE – Six mois après l’arrestation de l’écrivain, la prudence de Paris n’a produit aucun résultat. Une atmosphère de fatalité et une forme de reddition permanente se sont installées dans nos institutions, déplore Arnaud Benedetti, fondateur du comité de soutien à Boualem Sansal*.
* Arnaud Benedetti est rédacteur en chef de la « Revue politique et parlementaire » et professeur associé à l’Université Paris-Sorbonne.
Cela fait donc six mois que Boualem Sansal est l’otage des hiérarques algériens. À 80 ans, souffrant d’un cancer, notre ami paye au prix fort sa liberté. Sa détention est un scandale et tout homme attaché aux valeurs de simple humanité ne peut qu’en éprouver indignation et révolte. C’est un fait qu’il y a déshonneur, comme l’a dit implicitement le président Macron, dès lors qu’un État embastille un homme, un écrivain de surcroît, parce que cet homme use de son droit naturel, imprescriptible, à dire ce qu’il pense. Du côté des autorités qui de l’autre côté de la Méditerranée détiennent Boualem, elles assument parfaitement leur position, ne cessant de tendre toujours plus l’âpre corde du ressentiment antifrançais, facteur constant et exacerbé de la légitimation de la cohésion de leur pouvoir. Être « antifrançais » fait naturellement partie de la culture politique des dirigeants algériens ; il s’agit même là d’une habilitation indispensable pour qui aspire à gouverner en Algérie, sauf à préférer le chemin périlleux de la dissidence.
Pour autant, le scandale de la détention à Alger se double d’un scandale de la soumission à Paris. Le choix dominant qui a été opéré ici est celui d’une retenue, d’une réserve qui depuis six mois maintenant s’avère non seulement improductive mais désormais moralement contestable. On peut comprendre la prudence du début, on ne peut l’accepter dès lors qu’elle ne produit aucun résultat. Pire : son prolongement relève d’un registre d’accommodement inefficient mais aussi peu acceptable sur le plan des principes qu’il est inopérant sur le plan de l’action.
C’est une atmosphère de fatalité, une forme de reddition permanente qui s’est ainsi installée dans nos institutions, à l’exception notable de l’Assemblée nationale et du Sénat, qui majoritairement sauvent l’honneur de la France institutionnelle. Fallait-il que l’Académie française sursoie à l’initiative courageuse portée par Jean-Christophe Rufin d’élire subito Boualem Sansal ? Fallait-il que la Mairie de Paris retire in extremis sa proposition consistant à faire de Boualem Sansal un citoyen d’honneur de la Ville, capitale des Arts et des Lettres ? Fallait-il qu’Emmanuel Macron ne dise pas un seul mot de Sansal lors de sa dernière intervention télévisée de trois heures et qu’il ne prenne pas le soin de répondre aux filles de l’écrivain qui l’ont interpellé voilà tout juste un mois dans ces mêmes colonnes ?
Entre lâche indulgence d’un côté et compromission indigne de l’autre, tout se passe comme si d’aucuns préféraient détourner le regard sur la réalité du pouvoir qui a arrêté et enfermé Boualem Sansal
Fallait-il finalement que le ministre des Affaires étrangères se déplace à Alger tant que le cas de notre compatriote n’était pas définitivement réglé ? Et que dire enfin de la visite d’une poignée de parlementaires de gauche et du centre ce 8 Mai au nom de la préservation d’un prétendu dialogue franco-algérien, alors que dans le même temps le pouvoir algérois exige l’expulsion de 15 de nos agents consulaires et que le romancier captif croupit dans sa geôle algéroise ? Entre lâche indulgence d’un côté et compromission indigne de l’autre, tout se passe comme si d’aucuns préféraient détourner le regard sur la réalité du pouvoir qui a arrêté et enfermé Boualem Sansal.
Or ce pouvoir est d’abord un pouvoir dominateur, sourd à toute pluralité autre que celle qui s’inscrit dans sa doxa nationalo-islamiste, et qui se repaît pour se légitimer auprès de son peuple des rapports de force provocants qu’il oppose à la France, ancienne puissance coloniale aussi maudite qu’interdite. Mais c’est un pouvoir qui a aussi l’intelligence de nos faiblesses car il nous connaît mieux que nous ne le connaissons. Les maîtres d’Alger parient sur nos appréhensions, notre auto-culpabilisation, nos inhibitions politiques, forts d’avoir imposé depuis des années une relation malsaine, asymétrique dans sa psyché, à ces Français qu’ils méprisent autant qu’ils les envient en raison entre autres de leur système social. La machine à humilier peut dès lors se déployer sans contrainte, ne rencontrant aucune autre résistance que la pusillanimité de nos gouvernants successifs dont la préoccupation princeps consiste à ne pas exacerber plus qu’il n’en faut un régime autoritaire, susceptible, au chauvinisme assumé.
L’affaire Sansal se révèle être ainsi une loupe grossissante de ce rapport maladif entre Paris et Alger ; elle dit tout du malaise franco-algérien. Elle devrait pourtant dessiller les yeux de ceux qui en France se sont de trop enfoncés dans un long corridor de dénis, et les inciter à regarder la réalité sur laquelle les bons connaisseurs du système algérien ne cessent de nous alerter. Sansal est tout autant l’otage de la brutalité des caciques d’Alger qu’il ne l’est de la fragilité des dirigeants de Paris. Si l’on veut le libérer, il est temps d’inverser le rapport de force, en raffermissant nos exigences, en prenant les mesures qui s’imposent en matière de visas entre autres, et en tenant aux hiérarques algériens le discours de vérité qu’ils ne veulent pas entendre, à savoir que l’on ne saurait poursuivre la guerre d’Algérie, achevée en 1962, par une interminable guerre mémorielle.
Révélateur, le dossier Sansal l’est tout autant des abus algériens que des déficiences françaises. Cette dramatique affaire pourrait fournir l’opportunité d’un aggiornamento ou d’un ressaisissement côté français, sous réserve qu’à Paris l’on comprenne pour une fois que pour s’assurer de faire reculer les premiers, il convient d’abord de remédier aux secondes. La liberté de Boualem y gagnerait, notre relation avec l’Algérie tout autant, et le peuple algérien également. ■ ARNAUD BÉNEDÉTTI