
« Ne poussons pas nos anciens vers la tombe pour « régler le problème » de la plus mauvais manière ! »
Par Eddy Killer.
Ce que dénonce de plus profond cet article très enlevé de Riposte laïque daté du 24 mai, c’est, à notre avis, la dislocation de toute une société — la nôtre — qui, du recul du mariage et de la natalité jusqu’au refus du grand âge, de la maladie et de la mort, a perdu ce vouloir-vivre, cette volonté élémentaire de persévérer dans son être, comme disent les philosophes, qui est le propre de l’instinct vital d’une société en bonne santé, le signe de la prolifération d’une culture de mort devenue dominante.
Ce phénomène est moral, anthropologique ; il est, sans doute, surtout social et politique. En ce sens, la modernité débouche sur un nihilisme profond et dégradant.
À quand le retour de l’instinct de vie et de perpétuation ? Notre attachement à la forme héréditaire et dynastique du Pouvoir a quelque chose à voir avec cette attente ! JSF
Depuis des mois nous subissons une propagande débridée en faveur de l’euthanasie, une manipulation permanente par les sentiments et un flot d’injonctions à peine cachées : soyez-y favorables, sinon vous n’êtes que des monstres sans cœur.
À cet effet, on évoque le cas de tel politicien ou telle chanteuse qui sont allés en finir en Suisse, parce que là-bas c’est facile quand on est riche. On nous balance dans les médias comme autant de grenades dégoupillées les cas de M. Machin ou Mme Truc, des gens toujours vivants, souvent connus, parfois des anonymes, et qui espèrent en la Belgique comme on rêve de gagner à la loterie. Des personnes dont les histoires similaires se résument à : ils souffrent, c’est sans espoir et ils le savent, ils ne peuvent que se dégrader jusqu’à l’agonie dans des conditions sordides et ne demandent qu’une chose : mourir « dans la dignité ».
Passons sur le fait que personne n’a défini clairement de quelle manière « mourir dans la dignité ». En restant beau et jeune jusqu’au bout, comme dans « Le meilleur des mondes » de Huxley ? En expirant avec un beau sourire façon pub dentifrice ? Ou tout simplement en n’ayant jamais de « douleur inutile » ? Mais n’est-ce pas le rôle des soins palliatifs, dont la généralisation sur toute la France est attendue depuis si longtemps ? Ce ne sera toujours pas pour demain…
Peu importe car cette version idéalisée de la mort choisie a déjà été mise en images, exemple le film « Les invasions barbares » de Denys Arcand.
En résumé : un homme qui sait qu’il va mourir réunit ses amis et sa famille pour le (définitif) grand soir. Après une veillée au coin du feu à rigoler de leurs illusions de jeunesse, ils se retrouvent dans une belle pièce aux lumières tamisées, musique douce préférée du futur mort en sourdine et fauteuils confortables pour les spectateurs. La vedette de son dernier jour est mollement étendue sur un sofa esthétique et de bon goût, il dit adieu à tous et on lui fait sa piqûre s’il n’est pas capable d’avaler son cachet mortel. Et s’endort comme un bienheureux, ayant fumé ou étant injecté préalablement de tout ce qu’il faut pour ne plus ressentir aucune peine devant ses proches cachant mal leurs larmes.
Cette imagerie d’Épinal de l’euthanasie est une escroquerie, du moins pour les pauvres. Les riches peuvent déjà se payer une euthanasie de luxe, les classes moyennes rêvent d’y accéder à un prix abordable (à défaut de pouvoir espérer l’immortalité remboursée par la Sécu : le rêve ultime !). Mais il n’y aura ni famille assemblée ni musique douce dans un joli salon pour Germaine, ex-femme de ménage payée au lance-pierre aux bras et genoux usés à force de frotter, ni pour Mouloud au dos cassé par des années de labeur au SMIC sur des chantiers. Cessons d’êtres dupes : la lutte des classes ne se termine pas avec la retraite, et l’égalité pour tous vers la dernière demeure n’est qu’un leurre. Il y a des cliniques pour riches et des hôpitaux-usines aux urgences saturées pour les prolos ; il y aura des services « de fin de vie volontaire » différents, comme avec le croque-mort.
Mais il y a plus grave…
L’argent mène le monde, les réalités économiques s’imposent. Osons une question très politiquement incorrecte : combien la branche « maladie » de la Sécurité Sociale, combien les régimes de retraites principaux et complémentaires ont-ils involontairement économisé grâce au coronavirus ?
On sait avec le recul que la covid-19 a beaucoup frappé les personnes âgées et celles atteintes de maladies graves (obésité, diabète, cancer…). En clair : des retraités (inactifs, donc) ou des personnes dont l’état de santé impliquait une vie professionnelle réduite ou un arrêt de travail de longue durée, souvent suivi d’une invalidité. Plus que cela : des gens nécessitant des soins coûteux pendant des années, des charges importantes pour les finances collectives, notamment les derniers mois de vieillesse. Comment pourrait-on espérer qu’une fin rapide et volontaire évitant ces lourdes dépenses ne fasse pas saliver certains financiers ?
Pourquoi la vie végétative (ou quasi) de Vincent Imbert a-t-elle été arrêtée ? Pour des raisons (compréhensibles) de fatigue de certains proches, l’envie de tourner la page, d’oublier ce (plus tout à fait) vivant qui perdurait malgré tout, comme un long remords de n’avoir plus l’énergie de s’en occuper ? L’aveu a été lâché : le coût des soins sur la durée, les moyens trop longtemps immobilisés, etc. Voilà l’envers du décor. Comment ne pas craindre des pressions sur la famille pour que le malade « libère un lit » ? Comment ne pas imaginer la culpabilité du malade d’être devenu une charge pour ses proches, préférant mourir pour les débarrasser d’un fardeau ? Ou des conflits (y compris mercantiles !) entre membres d’une même famille ?
Comment ne pas craindre ce « délit d’entrave » à l’euthanasie que les députés s’apprêtent à voter ? Les familles n’auraient plus le droit d’exprimer la moindre opposition ? Peut-on oublier que chez nos voisins du Plat Pays, l’euthanasie a été pratiquée sur des jeunes parce que gravement dépressifs ? Glissons rapidement sur la question du don d’organes : les coordinations hospitalières de prélèvement se heurtent à un taux d’opposition de plus de 36 % (venant des familles) alors que seulement 1 % des gens ont notifié leur refus et que la loi a officialisé un « consentement par défaut ». Comment ne pas supposer une future tentation d’aller vers les familles bientôt endeuillées pour leur expliquer (délicatement si possible !) qu’en récupérant tel ou tel morceau du défunt, cela pourrait sauver une vie ou permettre à un grabataire de revivre ? Si on peut programmer la mort, on peut aussi programmer la récupération et la réutilisation des « pièces détachées »…
Il y a encore pire…
Pourquoi des gens atteints du cancer peuvent-ils actuellement profiter d’années supplémentaires de vie au lieu d’y passer sous six mois comme il y a vingt ans ? Comment réussissons-nous à guérir des maladies autrefois impossibles à soigner ? Par quel miracle la médecine sauve-t-elle aujourd’hui des blessés très graves jadis condamnés ? La réponse est d’un cynisme affreux, mais réelle : parce qu’il y a eu des malades qu’on a tenté de soigner ou de prolonger au prix de souffrances qui se sont parfois avérées inutiles. Mais l’expérience acquise a fait progresser la médecine… Si demain on tue les personnes indésirables pour délivrer la société d’une charge (notamment financière !), comment la science médicale va-t-elle continuer d’avancer ?
Conclusion
Les Romains jetaient les bébés mal formés du haut de la roche Tarpéienne. Ce manque d’humanité a fait stagner la médecine dans l’Empire romain. Ne poussons pas nos anciens vers la tombe pour « régler le problème » de la plus mauvais manière ! Ne laissons pas nos malades se résigner à demander la mort par manque d’espoir. Le Pr Charcot a donné son nom à une maladie. Plus d’un siècle après son décès, cette maladie est toujours inguérissable. Voilà le vrai scandale : où ont été gaspillés les millions qui auraient dû être investis dans la recherche pour traiter ces malades ?
Le Pr Lejeune, découvreur de la trisomie 21, considérait que comme toute maladie, la trisomie devait être combattue, soignée et un jour guérie. Aujourd’hui, la société veut faire le chemin inverse, avec l’euthanasie comme solution simple et peu coûteuse aux maladies de l’âge ou incurables. Enlevons les lunettes roses que la propagande pour l’euthanasie nous a collées d’office sur le nez, ouvrons les yeux : jusqu’où allons-nous régresser et abandonner les malades ? ■ EDDY KILLER