
Par Pierre de Meuse.

Un second facteur de pollution de la politique étrangère par la politique intérieure est l’inhibition de la première par la seconde, ou au contraire sa motivation excessive. Il y a par exemple inhibition en cas de présence de minorités étrangères actives qui veulent imposer une politique à l’extérieur par leur sympathie pour un pays étranger. L’histoire du XXème siècle est pleine de ce type de conflits, à la suite de la création de pays artificiels dans toute l’Europe centrale. Et aujourd’hui, de fragilisations graves provoquées par l’immigration.
– Mais il y a aussi au contraire l’utilisation des contraintes internes pour construire une politique extérieure. C’est alors la politique intérieure qui sert de levier ou d’instrument à la politique extérieure. Tel est le cas aujourd’hui encore de pays qui cherchent à l’extérieur des contrepoids ou des compensations à leur faiblesse ou leurs insuffisances. Un conflit peut être le fruit d’affrontements politiques ou économiques, mais aussi d’une volonté populaire affirmée, et fanatisée par la propagande. C’est ainsi qu’on voit des politiques étrangères aventureuses, voire belliqueuses, déclenchées pour détourner le regard des électeurs des problèmes intérieurs. L’appel aux contraintes extérieures pour résoudre ou faciliter la solution des problèmes internes et toujours périlleuse. Cette attitude est extrêmement fréquente. Elle consiste à rejeter sur l’externe la cause des difficultés internes et de contenir ainsi la poussée des revendications internes. Là encore, cela finit mal.
Telle est, par exemple, l’attitude des dirigeants algériens. Ceux-ci détournent depuis cinquante ans l’attention de leur esprit public vers des sources imaginaires de la pauvreté, imputée aux méfaits du colonialisme français. Le détournement présente donc des avantages psychologiques incontestables – même s’il conduit à délaisser le traitement des problèmes internes. De même Israël s’est engagé avec obstination dans une politique belliqueuse depuis quatre-vingts ans car il cherche l’unité, rendue difficile en raison des divisions du pays que seul un danger imminent peut dépasser.
Le thème de l’intégration européenne a également beaucoup servi, et sert toujours de plus en plus, comme une sorte de solution miracle permettant de déplacer les problèmes en les éludant et à faire miroiter l’espoir d’un remède définitif et collectif aux difficultés nationales. Autrement dit, l’externe est utilisé par les gouvernements de l’Europe, aussi bien comme menace et comme contrainte, pour contenir la poussée des revendications internes, que comme lieu de projection des remèdes à leur fragilité.
Dans toutes ces situations, il faut évidemment tenir compte des difficultés qui varient d’un pays à l’autre et d’un moment à l’autre. Mais au-delà de ces variations, il apparaît qu’un critère général puisse être appliqué pour dresser une typologie : c’est celui du contrôle exercé par les dirigeants sur l’espace politique interne. Le contrôle peut résulter d’un régime fort qui élimine ou qui neutralise efficacement les oppositions ; mais il peut aussi bien provenir de l’existence d’un consensus qui permet temporairement aux dirigeants de gouverner en conformité avec la grande majorité de l’opinion. Nous constatons que les pays de l’Europe ont tendance depuis dix ans à fusionner ces deux contre-modèles.

Nous constatons que la politique française mise en place par Emmanuel Macron cumule avec opiniâtreté les trois inconvénients d’une politique extérieure conditionnée par les questions intérieures, celui de l’idéologie, celui de la soumission aux minorités, celui d’un déplacement des problèmes par le recours à la fusion dans un ensemble plus vaste.

On le voit d’abord dans l’attitude pitoyable de notre gouvernement face à celui de M. Tebboune. L’Algérie maintient à l’égard de la France une politique d’agressivité inédite, qui a pour effet de paralyser totalement l’exercice du pouvoir de l’État à l’égard des étrangers délinquants, au mépris du Droit international et du simple bon sens, abusant sans vergogne des engagements préférentiels qui lui ont été accordés après l’indépendance en 1962. Une politique étrangère simplement responsable ne pourrait être fondée que sur la prise en compte de la réalité. Celle-ci ne pourrait pas faire l’économie d’une rupture, permettant de clore un chapitre de l’histoire coloniale, qui pourrait éventuellement ouvrir la porte à de nouvelles relations, impliquant cette fois le respect mutuel. Cette rupture passerait nécessairement par l’abrogation des traités en cours, même si cette révision supposait la recherche de nouveaux partenaires. Or, il est patent que M. Macron se refuse à accommoder à cette réalité, qui ne fait que s’aggraver. Est-ce de l’aveuglement ? Non, c’est bien pire. Le Président accepte d’essuyer sans réagir les affronts répétés parce qu’une importante minorité algérienne, de 10 à 15% du peuplement de l’hexagone, obstinément rétive à l’assimilation malgré les naturalisations, perméable à l’agitation et à la délinquance, représente un danger considérable pour la paix publique. Ce péril est d’autant plus grave que cette immigration postérieure à l’indépendance résulte exclusivement du laxisme et de l’indifférence que tous les gouvernements français sans exception ont professé à son égard, pour des raisons idéologiques. La politique du gouvernement est donc celle d’un État non souverain, affligé d’une maladie mortelle qu’il se refuse à soigner. La seule réponse qu’il choisit à ce défi consiste, au rebours de guérir, à inlassablement diminuer les libertés des Français et à les réduire au silence, en interdisant toute critique. Notre ministère des affaires étrangères manifeste à cet égard une docilité honteuse, alors même que les Français sont invités à payer toujours davantage pour compenser les effets d’un gaspillage insensé des dépenses publiques.
Une politique de promotion d’un État européen auquel tous les intérêts de la France seraient sacrifiés.

Si l’on porte le regard sur le projet de politique étrangère générale de la France dans le monde, on constate la même obstination dans l’erreur, avec des conséquences encore plus effrayantes. Macron, en effet, a abandonné clairement la défense des intérêts proprement français pour se consacrer avec arrogance à l’avènement d’une politique de promotion d’un État européen auquel il est prêt à sacrifier tous nos atouts. Prenant à son compte la machination néo-conservatrice antirusse montée par le gouvernement américain précédent, et alors même que ce montage a été imposé sans nous demander notre avis et au mépris des intérêts européens, Macron nous engage dans une nouvelle croisade idéologique contre la « dictature poutinienne », en brandissant le danger inexistant d’une invasion de l’Europe par la Fédération de Russie. Il plaide pour l’abandon entre les mains de la Commission européenne de notre droit de veto au Conseil de sécurité de l’Onu et de notre force de dissuasion. Il veut mettre sur pied une force militaire intégrée qui pourrait, répète-t-il, contrecarrer les visées d’indépendance manifestées par la Russie. Autrement dit, Macron, utilise le dangereux levier de la menace de guerre pour réaliser sa politique. Ce choix géopolitique n’est pas seulement périlleux, car il lui faudrait dix ans au moins pour devenir crédible. Il est aussi fondé sur du vent car, non seulement les Français ne sont pas prêts à se sacrifier dans une guerre au résultat imprévisible, mais encore les concessions annoncées sont sans contrepartie véritable. En fait, la France est dans une situation critique, étant en 2024 le pays de l’Union économique et monétaire (UEM) dans lequel le ratio déficit public/PIB a été le plus élevé : 169 milliards. L’union européenne a ainsi déclenché une procédure pour déficit excessif contre notre pays. Et chaque sursis accordé, comme celui consenti le 4 juin par la Commission européenne, est assorti d’une énumération des nouveaux dérapages survenus cette année. Autrement dit, chaque abandon par Paris de ses atouts n’a pas d’autre contrepartie qu’une temporisation des sanctions. Macron agit ainsi comme le chef d’une entreprise en règlement judiciaire qui laisse au banquier la véritable autorité, notamment celle qui lui permet de démanteler l’appareil de production. Quelle est la motivation du président actuel ? Il semble que ce soit l’ambition personnelle : comme Giscard d’Estaing, Macron fut un jeune élu et il ne peut accepter de voir sa carrière s’arrêter à l’âge de 48 ans. Comme lui, il ambitionne d’être le premier président de l’Europe fédérale. Quoi qu’il en coûte ! ■ PIERRE DE MEUSE (A suivre)
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