
Une chronique qui se veut ironique – et l’est vraiment, fourmillant d’idées saugrenues et drôles. Parfois désopilantes. Moment de détente rafraîchissant dans le contexte politique sous tension. Une ironie parfois fondée sur des poncifs ou des options politiques sous-jacentes qui ne sont pas les nôtres, ou même y sont contraires. Même en un tel cas, Samuel Fitoussi rend compte de la situation avec esprit et intelligence des circonstances. Le lecteur de JSF en fera la critique si bon lui semble.
Par Samuel Fitoussi.
Cette chronique du lundi est parue dans Le Figaro du 2 juin. Elle ne manque pas à son ambition de drôlerie ironique et brillante reflétant, de fait, d’évidentes réalités et donc une actualité et chargée de sens. Discutable d’ailleurs… Bonne lecture !

CHRONIQUE – Chaque semaine, pour Le Figaro, notre chroniqueur pose son regard ironique sur l’actualité. Aujourd’hui, il énumère les bonnes – et moins bonnes – raisons de rester vivre dans la capitale.
* Samuel Fitoussi vient de publier « Pourquoi les intellectuels se trompent » aux Éditions de l’Observatoire.

1) Quitter Paris n’est pas gentil pour les provinciaux. Par définition, les individus qui quittent Paris sont souvent des Parisiens. Or, en province, l’assimilation fonctionne mal, la machine à fabriquer des provinciaux s’est enrayée. Résultat : les ex-Parisiens restent très surreprésentés parmi les klaxonneurs, parmi les individus qui ne ramassent pas les excréments de leurs chiens, parmi les électeurs de gauche, ou encore parmi les lecteurs d’Annie Ernaux. Pire, ils sont souvent amateurs du restaurant Cojean, et portent ainsi une responsabilité dans l’essaimage de cette chaîne (perçue par les Français comme la plus grande arnaque du siècle, selon un sondage réalisé auprès de mes parents) dans toute la métropole. Parisiens, pensez aux autres, restez chez-vous.
2) Vivre à Paris permet de ne pas avoir à partir à la mer, puisque l’on peut se baigner dans la Seine. (Offre soumise à conditions, valable uniquement un jour par an tous les 68 ans, en cas d’organisation des JO et sous réserve de beau temps les huit jours précédents).
3) La capitale offre de belles opportunités si vous êtes amateur de chemsex (le QG de La France insoumise est situé dans le 10e arrondissement), si vous êtes un surmulot (la mairie de Paris est l’une des plus surmulot friendly au monde), un délinquant multirécidiviste sous OQTF (vous aurez droit à beaucoup d’amour et à un logement social), un amateur de sensations fortes (on conseillera une petite balade porte de la Chapelle), un cadre du Hamas (il suffira de se rendre devant Sciences Po), ou un journaliste de guerre (contentez-vous d’une promenade aux Champs Élysées après une victoire du PSG en Ligue des champions).
4) Depuis que Dembélé a appris à cadrer ses frappes de balle, la ville est beaucoup moins dangereuse, le nombre d’admissions aux urgences pour commotion cérébrale ayant été divisé par 8.
5) Les brasseries permettent de profiter de la grande tradition du service à la parisienne. On prend votre commande en grommelant, on vous propose un tartare de bœuf à 26 euros, on dit : « Ah, celui-là, je ne l’ai plus » au sujet du dessert qui vous plaisait (quel que soit le dessert qui vous plaisait). Si vous commandez un café, vous aurez peut-être la chance de recevoir en bonus un minuscule verre d’eau à peine rempli. Au petit-déjeuner, on vous apporte un jus d’oranges pressé selon une recette secrète transmise de serveur parisien en serveur parisien depuis des générations : un quart d’orange et 14 glaçons.
6) Certes, la fiscalité de la ville est écrasante et la taxe foncière a encore augmenté. Mais vous en avez pour votre argent, puisque la mairie de Paris investit dans le bien commun. En 2024, la ville a par exemple subventionné l’association Quartiers du monde qui vise à « essaimer le modèle de développement alternatif durable avec perspective de genre de la Mesa Hunzahuna via une approche écoféministe à Suba en Colombie ». Ou encore l’association Globe pour « favoriser l’inclusion artistique de jeunes ayant une déficience intellectuelle à Maboumba au Sénégal ». Ou la Wado Academy qui « forme huit professeur.es de karaté au sein de la communauté rurale d’Ambohimanga à Madagascar ». Ou bien la mise en place d’un « rucher pour les femmes leaders de Tandjouaré au Togo »(1). Quand on sait que son argent est aussi bien dépensé, on paye ses impôts avec le sourire.

7) Vivre à Paris, c’est fouler du pied la terre qu’ont côtoyée certains des plus grands esprits de l’humanité, qui ont livré ici des joutes intellectuelles d’exception : Voltaire et Rousseau (la civilisation est-elle la source de la barbarie, ou son rempart ?), Pascal et Descartes (foi religieuse ou rationalisme méthodique ?), Zola et Barrès (Dreyfus était-il coupable ?), Camus et Sartre (l’homme révolté doit-il prendre les armes ?), Daniel Cohn-Bendit et Luc Ferry (combien y a-t-il de pays Baltes ?). ■ SAMUEL FITOUSSI

Samuel Fitoussi, « Pourquoi les intellectuels se trompent » aux Éditions de l’Observatoire.