
Par Aristide Ankou.
« En politique il n’est pratiquement aucune situation détestable qui ne puisse devenir plus détestable encore.«

Peut-on changer le régime d’un pays par la force ? Plus précisément, est-il raisonnable d’espérer qu’une victoire militaire puisse donner au vainqueur la possibilité de substituer au régime politique qu’il a vaincu un régime politique qui lui convienne, au moins dans les grandes lignes ?
La question, d’une certaine manière, est toujours d’actualité, mais cette actualité est à l’heure actuelle particulièrement brulante, pour des raisons que je n’ai pas besoin d’exposer.
Emmanuel Macron a récemment nié que la réponse à cette question puisse être positive. « Je pense que les peuples sont souverains et que tous ceux qui ont voulu par le passé changer des régimes par des frappes ou des opérations militaires ont commis des erreurs stratégiques » a-t-il déclaré.
Bien évidemment, il s’agit-là d’une déclaration politique, qui vise donc moins à énoncer une vérité universelle qu’à infléchir le cours des évènements ici et maintenant.
Mais, si nous mettons de côté la visée performative de cette affirmation présidentielle, force est de constater que celle-ci est erronée.
Oui, il est tout à fait possible de changer un régime politique par la force. Il est tout à fait possible à celui qui est vainqueur les armes à la main d’imposer ensuite au vaincu le type de gouvernement qui lui convient, et même plus encore.
Lorsque les légions de Rome eurent vaincu les peuples de la Gaule, Rome a changé à jamais l’organisation politique de ces peuples, ainsi que leurs mœurs et leur culture (réalités qui, bien que distinctes, ne sont jamais entièrement séparées). Lorsque les anglo-américains ont obtenu la capitulation sans condition du Japon, en 1945, ils ont ensuite changé définitivement le régime politique japonais, ainsi que les mœurs et la culture du Japon.
Ceci pour prendre simplement deux exemples situés, pour ainsi dire, aux extrémités de notre histoire. Mais il serait possible de les multiplier presque à l’infini.
Cependant, me direz-vous, et l’Irak ? Et l’Afghanistan ? Et…
Doucement. L’histoire nous apprend aussi qu’il existe quelques conditions pour cela, des conditions peut-être pas suffisantes mais toujours nécessaires : vous devez être prêt à gouverner directement le pays en question, aussi longtemps qu’il faudra, les autochtones doivent se persuader que vous êtes là pour rester et que vous serez impitoyables envers ceux qui contesteraient votre autorité.
Ces conditions sont aujourd’hui impossibles à réunir, en tout cas pour des démocraties libérales. (En revanche la Chine, régime parfaitement despotique, les a réunies au Tibet, par exemple).
Aujourd’hui, tout ce que nous pouvons faire, étant données les contraintes politiques et morales qui sont les nôtres, c’est détruire la force militaire et les structures étatiques adverses, puis espérer que le peuple ainsi « libéré » veuille bien se saisir de l’opportunité ainsi créée pour se donner un gouvernement moins mauvais que le précédent. Ce qui, il faut bien le dire, est le plus souvent un vœux pieu, pour des raisons qu’il n’est pas nécessaire de détailler ici.
Donc nous pouvons éventuellement provoquer la chute de l’actuel régime théocratique qui gouverne l’Iran, mais certainement pas y substituer un régime qui nous convienne. De même qu’Israël peut détruire le Hamas en tant qu’organisation para-étatique, mais pas y substituer une autorité palestinienne avec laquelle elle pourrait coexister paisiblement.
Et nous ne devons pas nous flatter que, de toute façon, ce qui surgira après sera nécessairement mieux. En politique il n’est pratiquement aucune situation détestable qui ne puisse devenir plus détestable encore. Pour prendre un seul exemple récent qui ne me parait pas sérieusement contestable : le régime soviétique était incommensurablement pire que le régime autocratique pourtant très mauvais qu’il a remplacé.
Donc Emmanuel Macron a historiquement et théoriquement tort, mais ponctuellement raison si nous nous en tenons au cas qui nous intéresse aujourd’hui.
Ce qui signifie que, tout ce qu’Israël (et maintenant les Etats-Unis) peut raisonnablement attendre de leur attaque contre l’Iran, c’est d’amoindrir sa capacité de nuisance pour quelques années. Et donc, sans doute, de devoir recommencer une fois ce laps de temps écoulé. Ce qui n’est certes satisfaisant pour à peu près personne.
Mais la capacité de destruction de l’être humain a toujours été bien supérieure à sa capacité de création. La destruction peut être parfaitement planifiée et exécutée, faire surgir quelque chose de bon, en revanche, nécessite une part de chance ou un coup de pouce de la Providence, qui peut être espéré mais pas commandé. ■ ARISTIDE ANKOU
* Précédemment paru sur la riche page Facebook de l’auteur, (le 22 juin 2025).
Aristide Ankou
