
« Il existe en France une partie de l’arc politique qui est travaillée par le régime algérien et dont LFI est la pointe la plus avancée, la plus visible et à défaut d’être démocratique la moins hypocrite au moins sur l’expression de son soutien à la dictature militaro-politique qui sévit à Alger. »
Par Ronan Planchon.

Cet article, classé « humeur », est paru dans Le Figaro d’hier, 24 juin. Il ne nous apprend pas grand-chose de bien neuf. Il décrit une réalité, une atmosphère, au sens étymologique, délétères. Destructrices, violentes, décadentes, comme le sont nos « élites ». Elles conservent le pouvoir iconique qu’elles avaient autrefois, pour tirer vers le haut toutes les couches de la société, jusqu’aux plus modestes. Décadentes, dissolues, artificieuses, comme l’est Macron et son immédiat entourage, elles font de même pour insuffler à tout un peuple, y compris à la diversité, leurs défauts et leurs vices, ceux de la grande bourgeoisie d’argent. Ne soyons pas trop dupes des « charmes » du passé proche : il nous paraît assez clair que tout, de cette décadence et de ces fractures, était déjà très engagé lorsque Jack Lang s’appropria la fête de la musique… JSF
HUMEUR – Côté pile, des scènes de joie, de communion, et des enceintes qui crachent de plus en plus des tubes standardisés. Côté face, des vols avec violences, des rixes et des pillages. On aurait tort de faire du 21 juin une simple parenthèse.

Ici, un couple « lynché » par trois voyous au pied de Saint-Eustache, d’après les vidéos diffusées par Aurélien Véron, élu d’opposition à la mairie de Paris. Là, des affrontements entre des bandes de jeunes hommes et les forces de l’ordre, forcées de se réfugier à l’intérieur d’un centre commercial des Halles, dans le 2e arrondissement de la capitale, sous un feu de jets de projectiles. Pas loin, à Châtelet-les-Halles, des passants s’éparpillent et le chaos s’installe. Les images qui circulent, au lendemain de la Fête de la musique à Paris, dans la nuit du 21 juin, sont saccadées, filmées à la va-vite, mais elles parlent d’elles-mêmes : des pillages, des bagarres, une violence qui suinte de l’asphalte. Au total, 371 personnes ont été interpellées par les forces de l’ordre au cours de la soirée, soit 14 % de plus que l’an dernier, dont 89 à Paris, selon le bilan du ministère de l’Intérieur. Dans la capitale, au moins deux magasins ont été pillés.
Et puis, à quelques rues de ces scènes, changement de décor. Sur les quais de Seine, aux Batignolles ou dans le Marais, des scènes de joie sont partagées sur Instagram : des grappes de jeunes urbains dansent, rient, des pintes de bière trop chères à la main, sur fond de tubes électro ou de reprises pop. L’ambiance est légère, festive, sans accrocs ou presque. On dirait deux villes, deux mondes : Paris, une immense fête et Paris, le ghetto (par endroits). D’un côté, les quartiers gentrifiés où l’on célèbre une convivialité bien propre, avec des DJ sets qui font vibrer les terrasses des bars branchés et où l’on se rend, sans toujours se l’avouer, pour éviter d’aller là où il est acquis que cela dérape. De l’autre, ces zones où la tension monte et où des bandes revendiquent l’espace public comme un territoire conquis. Dans ces rares endroits-là, la musique est un prétexte à l’affrontement.
Au-delà des violences, l’esprit même de l’événement a changé. Imaginée par André Henry, un professeur et un syndicaliste engagé, avant qu’il se fasse voler la vedette par Jack Lang, en 1983, qui l’a institutionnalisée, la Fête de la musique portait en elle une ambition subversive, « inclusive », comme on dit aujourd’hui. En célébrant toutes les musiques, du rock au classique, du jazz au reggae, elle voulait faire descendre la culture dans la rue, la rendre horizontale. La musique populaire, celle des jeunes, des amateurs, des marges, s’élevait au rang d’art légitime, défiant la morgue de la musique savante, celle des conservatoires et des opéras. Elle se voulait une ode à la diversité, un joyeux bordel où les guitares électriques côtoyaient les accordéons, et les fanfares improvisées croisaient les chorales de quartier, un tintamarre démocratique.
‘La fête semble en état de mort cérébrale, car (…) Dionysos n’est pas compatible avec Narcisse’. Gilles Lipovetsky
Cet âge d’or a (presque) vécu. Aujourd’hui, dans les grandes métropoles comme Paris, la Fête de la musique s’est muée en quelque chose d’autre. Elle s’est uniformisée, peut-être pour éblouir les touristes anglais ou américains venus défiler cette année, smartphones brandis, dans les rues de cette ville monde destinée aux globe-trotteurs aisés. Les groupes amateurs qui s’installent au coin d’une rue avec leurs amplis bringuebalants ont perdu du terrain comme les scènes ouvertes où l’on découvre des rockers en herbe tout juste sortis de leur garage. Place aux enceintes géantes qui débitent des tubes formatés – le titre Moulaga de Heuss l’Enfoiré et Jul est roi, mais Despacito lui fait de la concurrence -, des basses faisant trembler les murs des appartements jusqu’à l’aube. Le député LFI Aymeric Caron a noté un changement. « Il faut revoir la Fête de la musique à Paris, a-t-il déclaré. Il n’y est plus question de musique, de création, de familles, mais de machine à cash pour les bars sur fond de musique de DJ crachée à fond par des enceintes qui perforent les murs des appartements et mettent à mal les nerfs des Parisiens, parfois dès 14 heures, contre toute légalité. L’événement draine maintenant des foules avinées qui deviennent par moments dangereuses », a tweeté l’élu.
Dans son livre, La fête est finie ? (Éditions de L’Observatoire, octobre 2021), Jérémie Peltier, directeur des études du think-tank de la Fondation Jean Jaurès, disséquait le déclin de la fête collective, ce moment où l’on s’oublie, où l’on met en sourdine les galères du monde et les nœuds du cœur. La fête est un moment où l’on dépasse son petit moi, expliquait-il, en citant le philosophe Gilles Lipovetsky : « La fête semble en état de mort cérébrale, car (…) Dionysos n’est pas compatible avec Narcisse. » Les soirées Netflix vautrées dans le canapé et le « cocooning » ont amoché cet élan de communion ; les heurts vont-ils achever ce qu’il reste de la fête collective ?
Jérémie Peltier évoquait aussi un paradoxe : l’esprit de fête se délite, mais le terme de « fête », lui, est partout. « On vous explique que tel ou tel événement doit “redevenir une fête” : les César qui doivent redevenir une fête, le Festival de Cannes qui doit redevenir une fête. Hier, on nous expliquait que les Molières devaient redevenir une fête, comme si le public âgé qui est le dernier à se rendre encore au théâtre voulait d’ailleurs une quelconque fête quand il paye sa place, et comme si tout devait avoir un caractère drôle et sympa, en oubliant que les gens cherchent d’abord du beau plutôt qu’un show quand ils vont au théâtre », soulevait l’auteur dans Le Figaro en 2022. Pour le dire vite, si on parle de la fête en permanence, c’est que celle-ci est en voie d’extinction. L’essayiste la comparait, à raison, au « vivre-ensemble », un terme que l’on mâche pour se convaincre qu’il tient encore debout. On aurait tort de faire du 21 juin parisien une simple parenthèse ; elle est un miroir. Une clameur qui, le temps d’une nuit, révèle les fractures et les impostures. ■