
« Les menaces les plus dangereuses pour l’Europe viennent de l’intérieur »
Par Kevin Roberts.

Cette tribune est parue dans Le Figaro d’hier matin, 27 juin. Elle nous appelle, avec cette concision, cette simplicité et cet enthousiasme qui sont des marques de l’esprit américain dans sa meilleure veine, à renouer avec notre héritage profond. À reprendre « le chemin qui mène chez nous », selon l’expression de Platon citée par Jean-François Mattéi, le philosophe, auteur de L’Épuisement de la culture européenne. Sans doute faudra-t-il, pour revivre, emprunter ce chemin à la française, qui n’est pas nécessairement celui des Américains. Mais que le vent soit en train de tourner dans le monde, dans le sens du retour des nations, à l’appui des peuples historiques qui ne veulent pas mourir ni être dépossédés de leur héritage, est une donnée montante de première importance qu’il nous revient de prendre en compte afin d’en tirer pour la France le parti le plus haut. JSF
TRIBUNE – Kevin Roberts, président de la Heritage Foundation, le think-tank américain qui a élaboré une partie du programme de Donald Trump, explique sa conception de la démocratie et attaque l’« illibéralisme » des dirigeants européens.

Alors que je rencontrais des dizaines de parlementaires conservateurs, dirigeants et étudiants à Paris*, je me suis senti en France comme à la maison.
Cela a été un honneur de les rencontrer, pas uniquement en tant que président de la Heritage Foundation, mais en tant que fils d’un Louisianais du Sud, où le gombo est épais, les drapeaux sont américains, et la moitié des noms de famille sonnent toujours comme s’ils venaient de quitter les rives de la Vendée, en route vers la Nouvelle-Écosse, avant de s’installer dans la région d’Acadiane en Louisiane.
J’y suis allé en tant qu’allié – et patriote – pour dire cela : « Nous sommes ensemble dans ce combat. »
Soyons clairs quant à ce qui s’oppose à nous. Le vieil ordre libéral, fondé sur le matérialisme laïque et un déclin maîtrisé, est devenu non seulement incompétent, mais aussi tyrannique.
Le régime ne se contente pas de mal gouverner. Il punit la dissidence. Il criminalise la vérité. Lorsque Marine Le Pen se voit interdite de concourir aux élections, il ne s’agit pas de la « démocratie en action ». C’est ce que Sam Francis a appelé l’anarcho-tyrannie : « une combinaison d’un pouvoir gouvernemental oppressif contre les innocents et ceux qui respectent la loi et, simultanément, une paralysie grotesque de la capacité ou de la volonté de se servir de ce pouvoir pour exécuter les fonctions publiques de base telles que la protection ou la sécurité publique ».
Identité obsolète
L’Occident est dirigé par des personnes qui ont rejeté les notions élémentaires de la gouvernance depuis trop longtemps pour défendre leurs nations, protéger leurs citoyens et protéger leurs frontières. À leur place, ils ont imposé une idéologie creuse – globaliste, technocratique, et souvent ouvertement hostile à leur propre héritage.
Comme l’a dit le vice-président JD Vance à Munich, les menaces les plus dangereuses pour l’Europe ne viennent pas de l’extérieur, mais de l’intérieur : de l’immigration illégale massive qui détruit la cohésion culturelle et des régimes censeurs qui criminalisent la parole au nom de la « tolérance ».
En Allemagne, il est désormais considéré comme extrémiste de défendre la famille traditionnelle. Au Royaume-Uni, des pasteurs sont arrêtés pour avoir cité les Écritures. En Roumanie, la plus haute Cour constitutionnelle a annulé l’élection présidentielle du pays.
Et ensuite, bien sûr, il y a les frontières – ou plutôt leur absence.
La France ne s’est pas trouvée par hasard dans la crise migratoire qui la touche. Elle a été conduite à ce résultat – par des politiciens et des élites qui vous ont dit que l’identité nationale était obsolète, que la souveraineté était égoïste, que la foi était dangereuse et que l’assimilation était optionnelle. Ils ont ouvert les portes à un niveau d’immigration qu’aucune société ne peut supporter sans se fracturer. Ils n’ont pas réagi alors que des sociétés parallèles se sont formées, alors que des émeutes se sont déclenchées, alors que des églises brûlaient, alors que les femmes étaient agressées – et ils vous ont dit que vous étiez le problème car vous l’aviez remarqué.
Une autre voie
Ce n’est pas de la gouvernance. C’est une trahison. Mais voici la vérité : ce n’est pas inévitable. Ce n’est pas le destin. C’est un choix – et les choix peuvent être renversés.
Aux États-Unis, le président Trump prouve que les frontières peuvent être défendues et les expulsions menées à bien. Que la fierté nationale n’est pas un péché, mais une force. Que l’État profond peut être démantelé, et que les élites mondialisées ne sont pas divines – elles sont des tyrans de papier.
L’exemple a été donné. Le sort est rompu. Ce qu’il requiert – ce qu’il requiert toujours -, c’est du courage.
« La France, comme l’Amérique, doit en faire plus que réagir. Elle doit construire. Elle doit enseigner à ses enfants qui ils sont – héritiers non pas de la honte, mais de la gloire. » Kevin Roberts
Nous sommes à un moment décisif, pas uniquement pour la France ou les États-Unis, mais pour toute la civilisation occidentale. Le choix n’est pas entre la gauche et la droite. Il se situe entre l’anarcho-tyrannie et la liberté ordonnée.
Vous connaissez les signes de l’anarcho-tyrannie : immigration incontrôlée, surveillance idéologique, propagande médiatique, délabrement institutionnel, et une classe dirigeante qui emprisonne les dissidents politiques tout en exonérant les délinquants violents.
Mais il existe une autre voie.
La liberté ordonnée – le véritable héritage occidental – n’est pas de l’autoritarisme. Ce n’est pas le chaos. C’est l’autogouvernance disciplinée de peuples libres, sous des lois enracinées dans la vérité, gouvernés de manière consentie, et animés par la clarté morale. Cela demande que chaque citoyen cultive en lui-même une éthique de responsabilité pour sa propre liberté et celle de la nation, et qu’ils se tiennent tant eux-mêmes que les autres à ce niveau d’exigence.
La France ne s’est pas dérobée
Nous devons retrouver une vision de l’humain et de la société enracinée dans la vérité : dans la famille, dans la foi, dans la tradition et dans la Création.
Sans cela, nos politiques ne sont que des châteaux de sable pendant une marée montante.
Mais voici la bonne nouvelle : je crois que la France n’a pas oublié qui elle est. Pas entièrement. Pas maintenant. La nation était un temps appelée la fille aînée de l’Église – et pas comme un compliment, mais un titre d’honneur. Parce que la France portait fièrement l’étendard de la chrétienté. Parce que la France ne s’est pas dérobée lorsqu’elle a été mise à l’épreuve.
Quand l’Europe a tremblé sous l’ombre de la conquête, Charles Martel, à Poitiers, n’a pas consulté un comité de diversité. Il n’a pas demandé la permission à Bruxelles. Il savait qui il était. Il savait ce qui était en jeu. Et il a gagné.
Ce courage – cette conviction – n’est pas une relique enterrée dans vos terres. Il circule dans vos veines. Et si son souvenir est entretenu, elle peut renaître.
Réveil moral
La France, comme l’Amérique, doit faire plus que réagir. Elle doit construire. Elle doit enseigner à ses enfants qui ils sont – héritiers non pas de la honte, mais de la gloire. Elle doit protéger ses frontières, oui – mais aussi la sacralité de son langage, de sa culture, et de son culte. Ainsi que Charles de Gaulle l’a rappelé à ses compatriotes : « Une grande nation est une nation qui sert une grande cause. »
Le temps est venu de servir cette cause une fois de plus. La cause de la vérité. La cause de la chrétienté. La cause de la France.
Que ceci soit le début – non pas d’une conférence politique, mais d’un réveil moral.
Qu’il soit dit que lorsque la France était à genoux, elle s’est souvenue du Ciel – et s’est relevée, debout face aux barbares du relativisme qui ont détruit notre héritage culturel. ■ KEVIN ROBERTS
* Au mois de mai dernier, Kevin Roberts était en visite en France afin de tisser des liens entre les conservateurs français et américains.