
Elle a dévoilé sa vision pour l’Éducation nationale dans « La Provence ». Et Jen-Paul Brighelli pense que seule une Intelligence Artificielle peut à ce point parler pour ne rien dire…
Par Jean-Paul Brighelli.

Cet article est paru dans Causeur tout juste hier, 7 juillet. Il se suffit à lui-même. Il dit avec le talent et l’intelligence, l’ironie mordante, lucide, réaliste et souvent drôle que l’on connaît et reconnaît à Jean-Paul Brighelli, à peu près tout ce que nous pensons tous sur la chute caractérisée des plus hautes institutions de la société française et du Régime censé la conduire. L’Education, en particulier. Nous n’ajouterons rien. Les lecteurs commenteront s’il y a lieu. Et il aurait sûrement lieu de le faire, au-delà du sujet lui-même, sur tel ou tel point de l’actualité. Je Suis Français
Dans le cadre des Rencontres Économiques d’Aix qui se tenaient en fin de semaine dernière, la ministre de l’Éducation a répondu aux questions de Geneviève van Lede, dans La Provence du 1er juillet. Une page entière pour ne rien dire, sinon des truismes éculés, des idées reçues et des intentions à côté de la plaque. À croire, prétend notre chroniqueur, que c’est ChatGPT qui a répondu à sa place : seule une Intelligence Artificielle peut à ce point parler pour ne rien dire…
Résumons les déclarations de la ministresse (le féminin existe, je ne vois pas pourquoi on ne l’utilise pas, plutôt que d’employer des barbarismes répugnants comme « la » ministre). Elles occupent une page entière de La Provence, qui détient le monopole de l’information dans le Sud profond et appartient désormais au groupe CGM-CMA, qui s’est offert aussi BFM l’année dernière : les industriels depuis quelques années mettent les deux pieds dans les médias.
Rassemblement !
À quelques jours des résultats du Bac, dont on savait déjà qu’ils seraient bons, c’est-à-dire catastrophiques, Elisabeth Borne ne s’interroge pas sur les programmes, qu’il faut urgemment réécrire. Elle ne s’inquiète pas de cette Ecole à deux vitesses où, quand vous êtes né dans un ghetto (y compris un ghetto de riches), vous y restez, l’ascenseur social étant désormais une fiction complète. Elle ne promet rien aux enseignants, notoirement sous-payés et sous-formés. Non, elle « veut porter un message de confiance, celui d’une République rassemblée » : les profs harcelés par les parents, les élèves menacés parce qu’ils n’appartiennent pas à telle ou telle « communauté », la baisse catastrophique du niveau soulignée par les services de l’Etat, elle n’en a que faire.
Elle se félicite du plan « Filles et Maths » et compte imposer des classes à parité égale (c’est le principe d’une parité, non ?) afin de former de futures « ingénieures ». Mais la parité en Droit ou en Médecine, où les filles sur-dominent les garçons, on n’en parle pas ? Le plan « Garçons et Lettres », elle le lance quand ?
Et si cette division « genrée » (pardon de m’exprimer comme une hyène de garde intersectionnelle) était fondée sur les goûts et compétences des unes et des autres ?
Je suis un malade mental
La ministresse se soucie aussi de la santé mentale des jeunes : pourrait-elle tenter d’imaginer qu’il y a un rapport entre la friche dans laquelle on laisse ces jeunes cervelles et l’angoisse qui les étreint, quand ils ne se mettent pas au service de la première transcendance qui passe avec un voile sur la tête ?
Elle déplore la « surexposition aux écrans »… Mais en même temps, la disparition des manuels-papier oblige les acteurs de l’Education à avoir de plus en plus recours aux machines : un jour peut-être apprendrons-nous que des intérêts puissants jouaient en sous-main pour obliger les gouvernements européens à acheter en masse du hardware et à remplacer les profs introuvables par du software en général et de l’Inintelligence Artificielle en particulier. Personne ne peut raisonnablement penser que des machines programmées pour ne contrarier personne peuvent remplacer des profs compétents et imaginatifs.
En revanche, la « généralisation de l’éducation à la vie affective et sexuelle », ça, c’est une ambition plus urgente que d’apprendre à lire et à écrire à des élèves qui, du CP à la Terminale, ne maîtrisent pas les rudiments du français — pardon : du créole, pour parler comme le Lider Maximo du groupuscule LFI.
Et si on bazardait tout ?
Et la suppression du Bac, que Parcours Sup, qui rend ses verdicts avant les épreuves de Terminale, a rendu obsolète, on n’en parle pas, Madame la ministresse ? François Bayrou, qui cherche des ressources substantielles, pourrait économiser un peu plus d’un milliard en supprimant un examen qui ne correspond plus à rien, puisqu’il est distribué à plus de 95% des candidats, avec une telle inflation de mention Très bien que franchement, on est fier de vivre dans un pays si plein de HPI.
Mais peut-être que tout ça n’est qu’un théâtre d’ombres, et que le Bac ne signifie plus rien — j’ai expliqué ça sur BFM cette semaine…
Elisabeth Borne plaide pour une « année de césure » post-Bac : on avait essayé ça dans les années 1970, en imposant aux néo-Bacheliers de faire leur service militaire dès l’examen passé. Avec pour effet évident que les plus démunis avaient bien du mal à reprendre des études après une année passée à baguenauder sur le Larzac ou le plateau d’Albion… Quelqu’un parie avec moi que la césure imaginée par Elisabeth Borne aurait le même effet de démobilisation intellectuelle ? Une bonne manière de désengorger les facs, et d’éviter qu’elle affiche les taux sidérants d’échecs en première année de Licence — 60% de chute…
Franchement, elle s’ennuyait, Elisabeth Borne, à gérer sa retraite de Premier ministre ? Après Matignon, elle voulait essayer la rue de Grenelle ? Peut-être est-ce un jeu de chaises musicales, entre ministres, ou de comptine du furet — tu es passé par ici, tu repasseras par là.
Suggérons à François Bayrou de redonner du sang neuf et un vrai projet, à la rentrée. Quelque chose qui reconstruise l’Ecole pour les vingt ans à venir. Sinon, je vous le dis en vérité, les gilets jaunes reviendront — avec des fourches. ■ JEAN-PAUL BRIGHELLI
Jean-Paul Brighelli
Agrégé de Lettres modernes, ancien élève de l’École normale supérieure de Saint-Cloud, Jean-Paul Brighelli est enseignant à Marseille, essayiste et spécialiste des questions d’éducation. Il est notamment l’auteur de La fabrique du crétin (éd. Jean-Claude Gawsewitch, 2005).

L’école sous emprise : 19,00 €

L’école à deux vitesses : 7,95 €
