
Par Yves-Marie Adeline.
La Marseillaise est l’hymne national de la République française depuis le 14 juillet 1795. Nous étions alors en pleine Révolution, qui avait commencé en 1789 et fut supposée avoir achevé sa course après le coup d’État de Bonaparte en 1799, « s’arrêtant aux principes qui l’ont déclenchée ».

Ce régime qui, à ses débuts, se sentait à juste titre menacé par une réaction ou une contre-révolution, a pu se consolider sous la IIIe République après l’échec politique et la mort sans descendance du Comte de Chambord, par une propagande auprès des masses qui a assuré sa solidité dans l’esprit des Français jusqu’à aujourd’hui, au point que la plupart de mes lecteurs se demandent bien où je veux en venir.
Eh bien, voilà : dans mon enfance, à l’école primaire, nous suivions chaque début de semaine, alternativement, deux cours : un premier lundi matin consacré à l’instruction civique (on ne disait pas encore « éducation civique », consistant à dire aux enfants pour quels candidats ils ne devront pas voter quand ils seront grands) et le lundi suivant, un cours de morale : « Bonne renommée vaut mieux que ceinture dorée », ou bien « Je ne copierai pas mon devoir sur celui de mon camarade ».
Ça, c’était donc pour la morale. Dans le cours d’instruction civique, l’instituteur ou l’institutrice nous enseignait doctement que La Marseillaise avait été composée en 1792 par Rouget de Lisle : originellement un chant de guerre pour l’armée du Rhin envoyée combattre l’Europe, dans un conflit qui durera vingt-trois ans jusqu’à la défaite de Waterloo en 1815. Donc un chant de loosers, militairement parlant, diraient aujourd’hui les jeunes, mais remarquable par sa capacité d’entrainement des masses, un chef-d’œuvre du genre, probablement le meilleur chant patriotique du monde, regardé d’un point de vue politico-musical.
Nous avons tous pu admirer une gravure montrant Rouget de Lisle interprétant cet air accompagné au piano : l’épée au côté (c’est un chant de marche, voyez-vous), une main sur le cœur, le bras levé vers le ciel rougeoyant pour nous montrer la voie à suivre, celle de notre sacrifice suprême, et accessoirement de celui de l’ennemi (« Qu’un sang impur abreuve nos sillons ! »). À l’entonner dans la rue, ou au stade, ou à la fin d’un meeting politique, l’envie nous prend évidemment de féliciter le génial Rouget de Lisle… mais hélas ! Un peu d’étude nous apprend que cet air a été intégralement plagié d’un extrait de l’oratorio Esther, composé en 1787 par Jean-Baptiste Grisons (1746-1815). Je n’écris pas : « largement copié », mais bien intégralement plagié, note pour note, accord pour accord.
Viotti, le véritable compositeur
Naturellement, les paroles sont plus douces, mais même un dur d’oreille est capable d’y reconnaître l’enchaînement intégral de notre Marseillaise. Mon Dieu (ou plutôt Mon Être suprême, comme disait Robespierre), comment est-il possible que notre république modèle, celle-là même qui nous enseignait un lundi matin sur deux « Je ne copierai pas mon devoir sur celui de mon camarade », ait pu nous raconter des balivernes sur ce Rouget de Lisle, poète inspiré de la Révolution, dont les cendres sont pieusement conservées aux Invalides (mais un lieu chapardé, lui aussi) ?
Ah, ma bonne mégère, c’est encore pire que ce que vous croyez : la vérité réactionnaire est que le sieur Grisons, lui aussi, était un plagiaire, de sorte qu’après tout et en définitive, Rouget de Lisle se trouvait avec lui en bonne compagnie. En effet, Grisons, le premier, avait intégralement (je répète : pas « largement », mais « intégralement ») plagié un Thème et variations en do majeur écrit en 1781 par le Piémontais (on dirait aujourd’hui : un Italien) Jean-Baptiste Viotti (1755-1824), qui passa au service de Marie-Antoinette en 1782 : c’est ainsi que sa partition arriva dans ses bagages en France, sans paroles celle-là, bien sûr, et surtout sans que son auteur, véritable compositeur de l’air, puisse se douter qu’il serait plagié une première fois par un Grisons, lui-même plagié par un Rouget.
Viotti ? au service de Marie-Antoinette ? compositeur de cet air devenu, après deux copiages, insurpassablement révolutionnaire ? Quelle horreur ! Il vaut mieux en rester à nos cours d’instruction civique combinés à ceux de la morale, un lundi matin sur deux : « Bonne renommée vaut mieux que ceinture dorée » ; « Je ne copierai pas sur le devoir de mon camarade ». ■ YVES-MARIE ADELINE
Article précédemment paru dans Politique magazine.


Et oui , la vidéo de l’oratorio Esther (par Grison),si je me souviens est sur « you tube ». surprenant, version musique d’ eglise !
Jusqu’à quand ? Certaines vidéos , certaines mises en image de musiques disparaissent où sont remplacées.
Au CM2 , trois chants obligatoires en cours de chant ou musique : La Marseillaise, le chant du départ, et le chant des partisans.
L’institut prenait sur lui de ne pas faire apprendre le chant des partisans ( pas de notre âge, cruel )
Pour la Marseillaise, les paroles semblaient incompréhensibles .
Au fond de la classe , certains rajoutaient avec emphase une conclusion » Ron patapon, peau de bidon . »
Parfaite mise au point d’Yves-Marie Adeline ! Mais j’y ajouterais une précision qui aggrave encore la question du «plagiat», en général, mais, surtout, ici, celle de ce particulier plagiat.
Il faut que nous réussissions à nous coller dans le crâne que rien n’appartient à personne dans le domaine de ce que l’on appelle, aussi pompeusement qu’avec une répétitive et chevrotante grossièreté, aujourd’hui, «la création» – dès lors que Dieu n’y a rien à voir, évidemment, le phénomène «créateur» est scientifiquement estampillé !…
Rien n’appartenant à personne, tout «artiste» des temps anciens, savait bien que, lorsqu’il «inventait», comme le dit l’étymologie, il ne faisait que découvrir à lui-même quelque chose de préalablement existant – nous disons encore aujourd’hui «invention de trésor» et, toujours pragmatique, la République s’en est réservé la part du lion.
Rappelons, – surtout ! et pour élever la question aux hauteurs qui devraient sans cesse s’imposer à la comprenette – L’INVENTION DE LA CROIX par Hélène, mère de Constantin.
Avec la Révolution – et avant son intellectuel émule Carolus Marxus –, tout se matérialise dialectiquement : désormais, chacun va acquérir la jouissance de la «propriété intellectuelle» – comme si l’intelligence était une marchandise de «hautes études commerciales» !
Il faut décidément être bien vulgaire pour avoir une conception pareille de la réflexion et de l’«invention» – Bach intitulait ainsi («Inventionen», en allemand) certaines pièces couchées sur le papier en guise d’«études pour le clavier», pièces dont la musicologie a «découvert» récemment que plusieurs d’entre elles avaient été couchées sur le papier réglé par Anna Magdalena, madame la deuxième femme du «Cantor de Leipzig»…
Dès la Révolution, donc, il va pouvoir se constituer une ligue de «petits propriétaires», nantis de toutes sortes de spoliations (jusques et y comprises des «intellectuelles»), spoliations qu’il va y avoir lieu de dûment offi-ci-a-li-ser – s’il vous plaît !
À commencer donc par l’officialisation de l’État de Droit pour cette nouvelle espèce de «créateurs». Et, le premier de ces «créateurs» officiels, en somme, est le pékin qui est allé, vite fait, trouver un air pour assortir les satanées paroles qui lui étaient si grossièrement venues à la gamberge idéologico-guerrière.