
Cet anniversaire se trouve ainsi évoqué, et les Cent-Jours lumineusement commentés et sévèrement jugés, dans ce texte de François-René de Chateaubriand, redonné par Aristide Ankou sur sa page Facebook du 11 juillet. C’est le 15 juillet 1815 que Napoléon s’est livré aux Anglais, prélude à son exil et à sa mort (1821) à Sainte-Hélène. JSF

« La hardiesse de l’entreprise était inouïe. Sous le point de vue politique, on pourrait regarder cette entreprise comme le crime irrémissible et la faute capitale de Napoléon. Il savait que les princes encore en congrès, que l’Europe encore sous les armes, ne souffriraient pas son rétablissement ; son jugement devait l’avertir qu’un succès, s’il l’obtenait, ne pouvait être que d’un jour : il immolait à sa passion de reparaitre sur la scène le repos d’un peuple qui lui avait prodigué son sang et ses trésors ; il exposait au démembrement la patrie dont il tenait tout ce qu’il avait été dans le passé et tout ce qu’il sera dans l’avenir. Il y eut dans cette conception fantastique un égoïsme féroce, un manque effroyable de reconnaissance et de générosité envers la France.
Tout cela est vrai selon la raison pratique, pour un homme à entrailles plutôt qu’à cervelle ; mais pour les êtres de la nature de Napoléon, une raison d’une autre sorte existe ; ces créatures à haut renom ont une allure à part : les comètes décrivent des courbes qui échappent au calcul ; elles ne sont liées à rien, ne paraissent bonnes à rien ; s’il se trouve un globe sur leur passage, elles le brisent et rentrent dans les abimes du ciel ; leurs lois ne sont connues que de Dieu. Les individus extraordinaires sont les monuments de l’intelligence humaine ; ils n’en sont pas la règle.
Bonaparte fut donc moins déterminé à son entreprise par les faux rapports de ses amis que par la nécessité de son génie : il se croisa en vertu de la foi qu’il avait en lui. Ce n’est pas tout de naitre, pour un grand homme : il faut mourir. L’ile d’Elbe était-elle une fin pour Napoléon ? Pouvait-il accepter la souveraineté d’un tour, comme Tibère à Caprée, d’un carré de légumes, comme Dioclétien à Salone ? S’il eut attendu plus tard, aurait-il eu plus de chances de succès, alors qu’on eut été moins ému de son souvenir, que ses vieux soldats eussent quitté l’armée, que les nouvelles positions sociales eussent été prises ?
Eh bien ! il fit un coup de tête contre le monde : à son début, il dut croire ne s’être pas trompé sur le prestige de sa puissance. »

Mémoires d’outre-tombe