Thomas Molnar nous a quittés, il y a tout juste 15 ans. Conservons le lien que nous avons eu avec sa pensée, sa parole, et son œuvre écrite.
Nous le lisions dans Aspects de la France où il tenait rubrique (années 1980–1990) et nous écoutions en Provence, dans le cadre de l’Union Royaliste Provençale, ses conférences de chaque année.
En voici une ici même en vidéo sur un sujet éminemment et cruellement actuel. ■ JE SUIS FRANÇAIS
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Thomas Molnar fut surtout un grand esprit européen, parlant un français parfait, un patriote hongrois, et un catholique marqué du sceau de la Tradition. À ranger, sans doute, parmi les maîtres contemporains de la contre-révolution. Cette intervention de philosophie politique a eu lieu à Marseille, dans les locaux de l’Union royaliste provençale, pendant les années 1980.
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Thomas Molnar, intellectuel contre-révolutionnaire
À l’heure où le monde occidental s’interroge sur ses fondements, ses dérives et ses impasses idéologiques, l’œuvre de Thomas Molnar (1921–2010) réapparaît comme une source précieuse de réflexion. Philosophe, historien des idées, essayiste et professeur d’origine hongroise, Molnar a traversé le XXe siècle avec une lucidité rare, témoignant à la fois d’un enracinement spirituel profond et d’une vigilance intellectuelle implacable face aux utopies modernes.
Un exilé de l’âme et de l’esprit
Né à Budapest en 1921, Thomas Molnar quitte la Hongrie à la fin des années 1940, alors que le rideau de fer s’abat sur l’Europe centrale. Il s’installe aux États-Unis, où il enseigne notamment au Brooklyn College (City University of New York), tout en donnant de nombreuses conférences dans des universités prestigieuses telles que Yale et Notre Dame. Il devient rapidement une figure respectée dans les milieux conservateurs américains, mais aussi européens, où ses écrits, traduits en français, trouvent un écho chez ceux qui résistent à l’uniformisation des idées.
Molnar est un exilé au sens fort du terme, non seulement géographiquement, mais spirituellement : témoin d’un monde en perte de repères, il ne cesse d’interroger le projet moderne, son origine, ses promesses et ses conséquences.
« L’intellectuel moderne est souvent le prophète d’un monde qu’il ne comprend plus, et qu’il cherche à reconstruire à partir de schémas abstraits. »
(The Decline of the Intellectual, 1961)
La tradition contre la modernité
Profondément catholique, influencé par la tradition contre-révolutionnaire européenne (Edmund Burke, Joseph de Maistre, Donoso Cortés), Thomas Molnar ne se contente pas de critiquer le marxisme ou les dérives de la démocratie libérale : il en interroge les fondements philosophiques, qu’il juge erronés dès leur origine.
À ses yeux, la modernité repose sur une rupture avec la transcendance, une volonté prométhéenne de réinventer l’homme, la société, et même la réalité elle-même. C’est ce qu’il appelle la « religion de l’utopie », ce rêve récurrent d’un monde sans conflit, sans hiérarchie, sans souffrance, qui produit en réalité — comme l’Histoire l’a montré — les pires totalitarismes.
« L’utopie n’est pas seulement une erreur politique : elle est une hérésie anthropologique. »
(Utopia: The Perennial Heresy, 1967)
Molnar plaide pour un retour à une vision organique de la société, fondée sur la tradition, l’autorité légitime et l’enracinement spirituel. Il voit dans la civilisation chrétienne non un système figé, mais un socle vivant, capable de préserver la liberté authentique contre les séductions du relativisme.
L’intellectuel face au pouvoir
Un des thèmes centraux de son œuvre est le rôle de l’intellectuel dans le monde moderne. À rebours du modèle dominant — celui du penseur engagé au service du progrès —, Molnar rappelle que la véritable vocation de l’intellectuel est d’être gardien du réel, non ingénieur du futur.
Dans The Decline of the Intellectual, il montre comment les élites culturelles ont trahi leur mission en se mettant au service des idéologies, en abandonnant la recherche de la vérité pour celle de l’influence.
« Le rôle de l’intellectuel est devenu celui de l’agitateur ou du conseiller en communication. C’est une abdication tragique. »
Cette critique rejoint celle d’un Christopher Lasch ou d’un Eric Voegelin, deux penseurs avec lesquels Molnar partage une même méfiance à l’égard du gouvernement des experts et de l’homme sans boussole.
Une œuvre abondante, souvent méconnue
Malgré une œuvre riche d’une trentaine de livres et de nombreux articles, Thomas Molnar reste étonnamment méconnu du grand public. Pourtant, ses ouvrages, comme The Counter-Revolution (1971), Authority and Its Enemies (1976), Le modèle défiguré. L’Amérique de Tocqueville à Carter (1978), ou encore L’Europe entre parenthèses (1990), offrent une lecture pénétrante des grands bouleversements politiques et culturels du XXe siècle.
Il y explore l’idée que les sociétés modernes, en renonçant à la mémoire et à la transcendance, s’exposent à la dissolution : l’oubli du passé conduit à l’abolition du réel.
Conclusion
Thomas Molnar incarne une figure rare : celle d’un intellectuel libre, enraciné, exigeant, dont la critique du monde moderne n’est jamais amère, mais profondément éclairante. Il ne propose pas une fuite dans le passé, mais une relecture lucide de l’héritage occidental, non pour le répéter, mais pour s’en inspirer avec fidélité.
À une époque saturée de discours creux et de certitudes fragiles, relire Molnar, c’est retrouver la voix grave mais sereine d’un penseur qui savait ce que penser veut dire.
Note rédigée à partir de données universitaires courantes.
C’est en effet une conférence de haute volée et qui rend un écho particulier au moment où la communauté nationale se fracture vu et se dissout.
Merci, ah je suis français pour ce trésor qui nous ai offert.