
« C’est notre posture vis-à-vis d’Alger qu’il faut revoir désormais. Aura-t-on cette lucidité à défaut du courage ? »
Par Xavier Driencourt.

Cet intéressant article est paru le 9 juillet dans le JDD. Emmanuel Macron a déclaré l’autre jour avec justesse que pour être respecté il faut être craint et que pour être craint il faut être puissant. Il faut croire que la France d’Emmanuel Macron ne remplit aucune de ces conditions. JSF
Après la condamnation, puis le refus de grâce de l’écrivain, on n’avait pas connu de telles tensions avec l’Algérie depuis 1962. Une cause plus profonde ?

Il faut le rappeler, car on l’oublie parfois, cette quasi-rupture entre Paris et Alger a été provoquée par la reconnaissance, le 30 juillet 2024, de la « marocanité » du Sahara occidental par le président français. Boualem Sansal n’est qu’un élément de ce drame, un pion dans cette crise, un otage pris par un pays qui, autrefois, se rangeait (comme dans la crise de 1980 entre Washington et Téhéran) du côté des libérateurs d’otages, et n’hésite pas aujourd’hui à faire la leçon au reste du monde, à commencer par la France.
C’est le 16 novembre 2024 que l’écrivain franco-algérien est arrêté à Alger, où il retournait en pensant, comme il me l’avait dit la veille au soir, revenir dix jours plus tard en France, où il voulait s’installer définitivement. Emprisonné depuis cette date, malade, l’écrivain est, depuis, poursuivi, critiqué, assassiné moralement, par un régime dont il ne cessait de dire le plus grand mal et dont il ne cessait de souligner la duplicité et la dangerosité.
Embastillé, il l’est officiellement pour avoir porté atteinte à l’honneur de l’armée, aux institutions, aux frontières algériennes ainsi qu’à la sécurité nationale. En réalité, Boualem Sansal est un gage, un otage pris par Alger pour constituer un levier dans sa politique vis-à-vis de Paris. En réalité, Boualem Sansal est emprisonné pour penser, écrire et publier en français, langue désormais quasiment interdite en Algérie. En réalité, Boualem Sansal est emprisonné pour avoir dit et écrit un certain nombre de vérités que le pouvoir autiste d’Alger ne veut pas entendre, et surtout, que son peuple ne doit pas entendre. C’est cela la réalité.
Quelle rançon devra-t-on payer ?
Boualem Sansal est donc condamné à cinq ans de prison. Le chef de l’État algérien, n’utilisant pas une de ses prérogatives, a finalement décidé de ne pas le gracier ; ce faisant, le président Tebboune apparaît aux yeux de l’opinion mondiale, et en particulier française, comme le chef d’un clan autoritaire, affairiste, dépourvu de tout sens de l’humain. C’est un échec pour MM. Macron et Barrot, qui, il faut le dire, ont été discrets dans ce triste dossier ; un échec pour la diplomatie française et un échec pour les droits de l’homme. C’est notre posture vis-à-vis d’Alger qu’il faut revoir désormais. Aura-t-on cette lucidité à défaut du courage ?
En réalité, Boualem Sansal est emprisonné pour penser, écrire et publier en français
Il restera de cette affaire trois choses. D’abord, une question : que devrait payer la France pour la libération de Boualem Sansal ? Il est un otage. Dans toute prise d’otage, il y a généralement le paiement d’une rançon. Que devrait-on promettre à M. Tebboune ? Que devrait-on supplier ? Sans doute la promesse d’une visite d’État à l’automne du président algérien à Paris avec le faste et le protocole de nature à lui plaire ; sans doute la promesse de ne pas porter atteinte aux avantages de l’Algérie en France, accord de 1968, si décrié par tous les dirigeants politiques, biens divers des VIP algériens, consulats et Grande Mosquée de Paris, etc. La France devrait, pense Alger, se montrer généreuse.
Ensuite, il ne faudra pas sous-estimer les dégâts de cette longue crise. Il est illusoire de croire que, une fois passée (quand ?), tout recommencera comme avant ; on aura beau célébrer une fois encore le « partenariat d’exception » et la « normalisation retrouvée », la crise sera bel et bien durable et Alger aurait tort de croire s’en sortir à bon compte. Poser un sparadrap sur la plaie ne suffit pas à la guérir. Jamais, depuis 1962, une tension entre l’ancienne métropole et son ancienne colonie n’aura autant affecté une relation diplomatique.
Enfin, et peut-être surtout, cette crise aura, sans doute durablement, terni l’image de l’Algérie et des Algériens. Interrogez donc les Français sur l’idée qu’ils se font des Algériens. Que vous répondront-ils ? OQTF, barbouzeries, influenceurs, fraudes diverses. C’est cela aussi la réalité.
J’avais eu l’occasion, en 2012, d’aborder cette question de l’image de l’Algérie en France, comparée à celle du Maroc, devant le président Bouteflika. Je lui avais posé directement et crûment la question : pourquoi les Français ont-ils une image négative de l’Algérie ? Il avait habilement retourné la question : « Comment pouvez-vous nous aider à l’améliorer ? »
C’est bien cela la réalité. L’affaire Boualem Sansal a donc été le révélateur de la profonde ambiguïté de la relation franco-algérienne, le révélateur bien sûr du vrai visage du régime algérien, le révélateur, une fois encore, de la naïveté, de la complaisance, de l’aveuglement de Paris vis-à-vis du régime algérien. ■ XAVIER DRIENCOURT
Xavier Driencourt est diplomate, ambassadeur de France en Algérie jusqu’en 2020.