
« C’est en réalité le vin traditionnel, culturel, qui s’effondre, remplacé par des consommations plus industrialisées, plus fortes, plus nocives et déconnectées de notre modèle alimentaire.«
Par Anne-Sophie Frigout

Cette tribune est parue dans Le Figaro du 19 juillet. L’UE poursuit donc, dans le cas traité ici comme dans les autres, sa politique idéologiquement libre-échangiste et culturellement destructrice de tout héritage spécifique — c’est-à-dire, au fond, de tout héritage. On nous fera remarquer que les produits importés — ici, les alcools, mais les autres aussi — reviennent moins cher au « consommateur » français. Mais a-t-on compté ce que lui coûtent indirectement les emplois détruits par ces importations soi-disant profitables, de même que ce que lui coûte le déficit devenu abyssal de notre commerce extérieur ? L’UE est ainsi une institution mortifère et, avec ou sans elle, l’idéologie de nos dirigeants l’est aussi. JSF

TRIBUNE – Alors que la filière vin et spiritueux européenne est au bord du gouffre, qu’un plan massif d’arrachage et d’autorisation de distillation est prévu, Bruxelles finance à coups de millions d’euros nos concurrents sud-africains, pointe l’eurodéputée RN Anne-Sophie Frigout.
En vertu d’un accord de libre-échange datant de 2002, l’Afrique du Sud bénéficie d’un contingent de plus en plus généreux : 35,5 millions de litres de vin sans droits de douane à l’origine, contre 119 millions prévus pour 2024. Un quasi quadruplement en deux décennies… Mais cela ne suffisait pas : voilà que la Commission débloque maintenant des subventions, restées gelées pendant plus de 20 ans, pour soutenir directement nos concurrents sud-africains !
Des financements qui, comme l’explique l’organisme professionnel South Africa Wine, visent à « stimuler une croissance inclusive, à ouvrir de nouvelles opportunités commerciales et à soutenir le développement de marques, d’exploitations agricoles, d’établissements d’enseignement et d’entreprises détenues par des Noirs. »10 millions seront ainsi consacrés au développement de ces entreprises ; et 5 millions pour la commercialisation et la distribution de vins.
Peut-on espérer aussi un petit geste pour nos producteurs européens étranglés par l’effondrement de la consommation, les aléas climatiques, les taxes et normes et la pression d’une culture hygiéniste envahissante ? L’UE, engluée dans ses mauvais choix, doit rembourser sa dette COVID, financer son programme de défense et… veut soutenir la diversité à 12 000 km d’ici. Elle pourrait décider d’allouer une partie du fonds d’urgence de la PAC à la filière, ajuster son budget agricole à l’inflation pour le prochain cadre financier, mais non, nos vignerons peuvent attendre…
La crise du vin, en effet, n’est pas que conjoncturelle ou économique : elle est civilisationnelle et en dit long sur notre époque, où les produits de multinationales déracinées se substituent à ceux de nos précieux terroirs.
La crise est pourtant là, profonde et durable. En 2024 la production française a atteint son plus bas niveau depuis 1950, avec une chute de 23% par rapport à 2023 ; en 2025, 27.500 ha de vignes devraient être arrachées. En 60 ans les volumes de vin consommés ont chuté dans l’UE de moitié et de 60% pour la France.
Nous aurions pu nous en réjouir à moitié, si celle-ci s’était accompagnée d’une baisse de la consommation d’alcool et de l’alcoolisme. C’est pourtant l’inverse : la France demeure l’un des plus gros consommateurs d’alcool d’Europe, et ce déclassement du vin s’est massivement reporté sur les bières, les spiritueux et les « prémix ». C’est en réalité le vin traditionnel, culturel, qui s’effondre, remplacé par des consommations plus industrialisées, plus fortes, plus nocives et déconnectées de notre modèle alimentaire.
La crise du vin, en effet, n’est pas que conjoncturelle ou économique : elle est civilisationnelle et en dit long sur notre époque, où les produits de multinationales déracinées se substituent à ceux de nos précieux terroirs, issus de siècles de savoir-faire. « Le vin, c’est la terre qui chante dans le verre », disait Jean Carmet. Hélas, la marque publicitaire est en voie de remplacer l’appellation d’origine contrôlée.
C’est aussi, bien entendu, une filière essentielle à l’économie française : la viticulture représente 17% de la production agricole, constitue le 2e poste excédentaire à l’export après l’aéronautique et fait vivre 560.000 personnes, emplois directs et indirects confondus. Tout un modèle économique, culturel et civilisationnel vacille. Mais ici, en Bruxellie, on préfère détourner le regard, et s’engager pour la diversité et l’inclusivité aux quatre coins du globe. Une manière bien commode de masquer son impuissance à agir concrètement pour le quotidien des Français et des Européens. ■ SPOHIE FRIGOUT