
Ce n’est pas d’aujourd’hui que la politique étrangère de la République française – hors la période De Gaulle-Pompidou – est à la traîne des autres puissances. JSF
Par Jean-Thomas Lesueur.

COMMENTAIRE – Le Figaro a publié hier cette tribune de Jean-Thomas Lesueur, qui est surtout un état des lieux, déjà dressé, connu, évalué par nombre d’intellectuels et d’acteurs de l’actuelle évolution – voire révolution – de la géopolitique mondiale, où la France, en effet, joue un piètre rôle. Soumission hautement fautive, comme dans le dossier algérien, comme face à l’accord douanier UE / USA signé par Ursula von der Leyen au nom des 27, ou agitation et prétentions éminemment dangereuses, comme le bellicisme inepte et ridicule manifesté par Emmanuel Macron sur le théâtre européen, en particulier à propos de la guerre d’Ukraine. Ce n’est pas d’aujourd’hui que la politique étrangère de la République française – hors la période De Gaulle-Pompidou – est à la traîne des autres puissances. Mais au point que nous venons de dire et que JSF n’a cessé d’analyser et de dénoncer depuis des années, on peut penser que les plus affligeants records sont désormais battus. Jean-Thomas Lesueur ne pense sans doute pas autrement. Nous partageons donc les points de vue de cette tribune. oJSF
TRIBUNE – Les désaccords entre le ministre de l’Intérieur et le Quai d’Orsay à l’égard de l’Algérie mettent en exergue le manque de volonté de la diplomatie française face à un pays pourtant moins puissant que le nôtre, regrette le directeur de l’Institut Thomas More, Jean-Thomas Lesueur.
Jean-Thomas Lesueur est directeur général de l’Institut Thomas More.

Dans le conflit qui oppose la France à l’Algérie, certains s’inquiètent de la stratégie de «tension permanente» qu’imposerait Bruno Retailleau qui constate lapidairement que « la diplomatie des bons sentiments a échoué ». Le dernier épisode en date serait la mesure prise le 24 juillet par le ministère de l’Intérieur pour «entraver l’accès des agents accrédités de l’ambassade d’Algérie en France aux zones réservées des aéroports parisiens aux fins de prise en charge des valises diplomatiques», selon les autorités algériennes qui ont pris des décisions symétriques à l’encontre du personnel diplomatique français.
Certains en France, donc, redouteraient les conséquences de la « ligne dure » du ministre de l’Intérieur et cela jusqu’à l’Élysée, où le président de la République a annulé ce même 24 juillet une réunion avec celui-ci consacrée au dossier algérien. Il est de notoriété publique que le ministre des Affaires étrangères Jean-Noël Barrot, et avec lui le Quai d’Orsay dans son ensemble, affichent une ligne plus conciliante.
À écouter ces partisans de la prudence, il ne faudrait jamais « rompre le dialogue ». Mais dialoguer de quoi ? Dialoguer à quelle fin ? Mystère. Lorsque Jean-Noël Barrot répond à Bruno Retailleau qu’« il n’y a ni diplomatie des bons sentiments, ni diplomatie du ressentiment. Il y a juste la diplomatie », il ne dit pas grand-chose sur la vision et la stratégie françaises à l’égard d’Alger. On devine une sorte de business as usual diplomatique, sans direction, sans lignes rouges, craintif, qui se prend lui-même pour sa propre fin. Un dialogue pour le dialogue, en somme.
« Nous plions devant un pays qui n’a rien d’une puissance en phase ascendante, un pays au contraire secoué par des vents politiques et géopolitiques contraires »
Cette conduite terne et molle ne donne pourtant aucun résultat tangible. On l’observe dans le dossier Boualem Sansal. On le voit dans celui du journaliste sportif Christophe Gleizes, condamné à sept ans de prison ferme le mois dernier. On le constate sur la question migratoire. Cette impuissance humiliante pour la France et les Français est d’autant plus amère que l’Algérie est aujourd’hui affaiblie et isolée. Nous plions devant un pays qui n’a rien d’une puissance en phase ascendante, un pays au contraire secoué par des vents politiques et géopolitiques contraires.
Chacun sait ce qu’il en est sur le front intérieur. Un système politique verrouillé par l’armée de plus en plus autoritaire et qui multiplie les emprisonnements d’opposants (ainsi que les bastonnades de réfugiés en France comme le prouve le jugement du tribunal de Nanterre qui vient de condamner deux Franco-algériens impliqués dans l’agression d’un journaliste réfugié). Une jeunesse qui ne se voit pas d’autre avenir que dans l’immigration. Un modèle économique, basé sur la rente pétrolière et gazière, à bout de souffle.
« La gestion couarde du dossier algérien n’est pas la seule à prouver – il n’est qu’à voir les protestations impuissantes et gênées après la signature de l’accord commercial entre l’Union européenne et les États-Unis »
Le bilan n’est pas plus flatteur sur le front extérieur. Du point de vue régional, le Maroc remporte succès après succès avec son plan pour le Sahara occidental (reconnu par le Royaume-Uni et le Portugal récemment, après les États-Unis, l’Espagne, l’Allemagne et la France). Le roi Mohammed VI s’est même offert le luxe, lors du discours du trône du 29 juillet dernier de tendre la main au « peuple algérien frère » et de proposer un « dialogue fraternel et sincère » à ses dirigeants. Autres points d’inquiétude : le flanc sud du pays reste agité par l’action de divers groupes djihadistes.
Du côté des amis historiques, la Russie assure toujours Alger de son soutien mais lorgne aussi du côté de Rabat. C’est que Moscou n’entend pas laisser à Washington l’exclusivité de la relation avec l’étoile montante du Maghreb. Idem pour la Chine qui s’est vue retirer la construction du port en eau profonde d’El Hamdania, projet lancé en 2015 pour rivaliser avec Tanger-Med (aujourd’hui en cours de reconfiguration), alors que les échanges commerciaux entre Pékin et Rabat s’envolent.
Ce n’est donc pas avec un pays particulièrement puissant ni rayonnant que la France a maille à partir. Sa pusillanimité peut alors s’expliquer, et l’ambassadeur Driencourt l’a fait récemment de manière limpide, par la présence d’une forte communauté immigrée algérienne et française d’origine algérienne sur son sol. Chose probable mais inadmissible. La diplomatie est au service de la France et des Français et n’a d’autre vocation que de servir ses intérêts.
Derrière tant de faiblesses, tant de contorsions, il est une réalité que la gestion couarde du dossier algérien n’est pas la seule à prouver – il n’est qu’à voir les protestations impuissantes et gênées après la signature de l’accord commercial entre l’Union européenne et les États-Unis : la diplomatie française n’a pas compris le changement d’époque dont nous sommes les contemporains. Nous vivons un nouvel âge des souverainetés avec un retour des nations, des rivalités de puissance, de la guerre interétatique. Dans la guerre d’Ukraine, au Moyen-Orient, en mer de Chine, les appétits s’aiguisent, les armes parlent ou se préparent.
Et alors que nous voyons les armées et ceux chargés de les diriger et de penser la guerre de demain prendre conscience de ces nouvelles réalités et, dans la mesure des moyens de la puissance fatiguée qu’est devenue la France, tâcher de s’y adapter, la diplomatie française donne l’impression d’en être restée au monde d’hier. Son thème favori de «l a France, puissance d’équilibre » en témoigne : du chiraquisme qui se prend pour du gaullisme.
Que cela nous plaise ou non, la France a désormais des pays qui se disent clairement ses rivaux, ses adversaires, voire ses ennemis. Ce n’est pas encore le cas de l’Algérie mais ses choix politiques nous sont constamment hostiles. Nous pouvons dialoguer avec elle, comme nous y engage Jean-Noël Barrot. Mais que ce soit enfin avec le langage de la force. ■ JEAN-THOMAS LESUEUR