
Les deux textes – éditorial et réactions à Alger – nous ont paru suffisamment intéressants pour que JSF les donne à lire dès aujourd’hui à ses lecteurs. Le Figaro n’a pas manqué de discerner et de souligner les limites, les ambiguïtés, les ambivalences des propos et des intentions du Chef de l’Etat, entre politique étrangère et politique intérieure politicienne. Le tout laissant mal augurer de la fermeté réelle de la République française envers l’Etat algérien.

Un revirement sur fond de quasi-rupture diplomatique entre Paris et Alger
Par Adam Arroudj.

Un dicton dit qu’on n’est jamais trahi que par ses amis. C’est ce qui arrive à Tebboune. Il vient de se faire lâcher par Macron. » Pour un proche du sérail algérien, la lettre adressée par le chef de l’État français à son premier ministre, appelant à plus de « fermeté » et de « détermination » envers Alger, sonne comme un « revers terrible » pour le président algérien.
Depuis des mois, Abdelmadjid Tebboune s’évertue à distinguer Emmanuel Macron de « la minorité extrémiste » française qu’il accuse de faire de l’Algérie « une obsession ». Début août encore, face à des journalistes libanais accompagnant le président Joseph Aoun, il affirmait n’avoir « aucun problème avec Macron ni avec la France ». L’agence APS, relais de la ligne officielle, fustigeait en juillet « l’extrême droite française revancharde », cette « partie de la classe politique en mal de repères », accusée de « raviver l’algérophobie » pour détourner l’attention des crises que traverse la France.
La lettre, dont la teneur devait être communiquée aux autorités algériennes avant sa publication par Le Figaro, sera inévitablement lue comme un alignement d’Emmanuel Macron sur la ligne dure défendue par son ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, et le chef de l’État algérien pourrait y voir un reniement personnel.
Alger et Paris vivent depuis avril – et l’expulsion des douze agents français en poste en Algérie relevant du ministère de l’Intérieur – en situation de quasi-rupture diplomatique. L’ambassadeur de France en Algérie Stéphane Romatet a été rappelé à Paris et n’est pas revenu depuis.
Rapport de force
La communication entre les deux pays a le plus grand mal à passer, y compris par les réseaux informels. Elle se limite donc aux canaux protocolaires : quand les Affaires étrangères algériennes ont besoin de passer un message, elles convoquent le chargé d’affaires français, qui remplace l’ambassadeur.
Si Alger se braque ou envoie, via les médias, une cinglante réponse à Macron, on peut imaginer que Stéphane Romatet ne reviendra pas de sitôt. Dans les faits, l’ambassade continue à fonctionner avec le chargé d’affaires.
Au chapitre de la coopération sécuritaire, Alger ne reprend plus « depuis des mois », selon les mots de Jean-Noël Barrot, ses ressortissants en situation irrégulière sous obligation de quitter le territoire français (OQTF). Alger, qui devait récupérer le 1er août Boualem Bensaïd, détenu dans le Haut-Rhin pour avoir posé une bombe dans le RER B en 1995, n’a pas signé le laissez-passer consulaire nécessaire à son expulsion. Là encore, le rapport de force risque de ne pas donner les effets escomptés, le dernier refus illustrant, selon plusieurs sources algériennes bien informées, « l’échec de la stratégie de pression française ».
En ce qui concerne la coopération consulaire, l’accord de 2013 évoqué dans le courrier de l’Élysée est en réalité déjà suspendu depuis la mi-mai. Les autorités algériennes avaient demandé le « rapatriement immédiat » de quinze agents français envoyés en mission de renfort temporaire en Algérie. Selon le Quai d’Orsay, l’expulsion des fonctionnaires français avait été actée sur la base d’une « décision unilatérale des autorités algériennes d’établir de nouvelles conditions d’accès au territoire algérien pour les agents publics français détenteurs d’un passeport officiel, diplomatique ou de service ». Les conditions d’application de l’accord n’étaient donc plus réunies.
Les visas diplomatiques suspendus, Paris a récemment annulé les affectations de ses agents qui devaient prendre leur poste en Algérie en septembre. Le nombre d’agents dédiés au traitement des visas ayant diminué, l’impact mécanique est déjà visible sur le nombre de visas délivrés, réduit de 30 % selon le courrier de l’Élysée.
À Alger, les observateurs de la relation bilatérale le disent depuis longtemps : la logique française du rapport de force ne fait que retarder les perspectives de normalisation. Le cas de Boualem Sansal en est l’exemple. Malgré des signaux envoyés au début de l’été – notamment le visa accordé à Pierre Cornut-Gentille, le nouvel avocat de l’écrivain franco-algérien -, aucune libération n’a été organisée, au contraire. « L’Algérie ne cède jamais sous pression », murmure-t-on régulièrement à proximité d’El Mouradia.
« Dans cette lettre, Macron fait du révisionnisme, souligne une source algérienne. Ce narratif présente un problème majeur : la France oublie qu’elle a piétiné le droit international en reconnaissant la marocanité du Sahara occidental. La dégradation de la relation bilatérale n’est pas le fait des Algériens mais celui de Macron. » ■ A.A.
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L’éditorial de Jim Jarrassé : « Fermeté de Macron avec l’Algérie, mieux vaut tard que jamais »
En entamant enfin le bras de fer, le président de la République rompt avec la ligne du Quai d’Orsay de Jean-Noël Barrot et se convertit à celle de Bruno Retailleau.

Neuf mois après l’arrestation de l’écrivain Boualem Sansal, et au terme d’une succession d’atermoiements présidentiels destinés à ne pas froisser le régime algérien, Emmanuel Macron a fini par se résoudre à hausser le ton. Mieux vaut tard que jamais. En demandant au gouvernement d’agir avec plus « de fermeté et de détermination » à l’égard d’Alger et en actant la suspension de la coopération migratoire, l’Élysée opère une volte-face salutaire. On s’interrogera sur le sens du timing du président, qui aura attendu la torpeur d’août, plus d’un mois après l’annonce du maintien en détention de Boualem Sansal et la condamnation du journaliste Christophe Gleizes, pour changer de braquet.
Le constat était pourtant établi de longue date. Aucune main tendue n’a empêché le régime du président Tebboune de poursuivre sa stratégie d’intimidation et ses décisions arbitraires à l’égard de certains de nos compatriotes et de notre personnel diplomatique. Aucun acte de repentance n’a convaincu Alger de reprendre sur son sol ses ressortissants délinquants expulsés par Paris. Ou d’endiguer l’ignominieuse campagne de dénigrement de la France par ses influenceurs sur les réseaux sociaux. Or, pour que la diplomatie puisse porter ses fruits, il faut être deux.
Pour la diplomatie, il faut être deux
En entamant enfin le bras de fer, Emmanuel Macron rompt avec la ligne du Quai d’Orsay de Jean-Noël Barrot et se convertit à celle de Bruno Retailleau, qui actait il y a deux semaines dans nos colonnes l’échec de la politique « des bons sentiments ». La fermeté, si elle est appliquée de manière effective, aura-t-elle plus d’effet ? La réaction d’Alger le dira.
En attendant, pour reprendre la main vis-à-vis de son ministre de l’Intérieur, le président le presse aujourd’hui d’« agir sans répit » sur le volet migratoire, alors même que le patron de LR réclame un tour de vis depuis de longs mois. Curieux paradoxe. Et preuve, s’il en était besoin, que cet épineux dossier est aussi un objet de politique nationale, qui devrait s’inviter dans la campagne présidentielle de 2027. Emmanuel Macron sera alors jugé à l’aune du bilan de sa politique algérienne. Il lui reste vingt mois pour obtenir des résultats. ■