
Cette remarquable publication de Régis de Castelnau date du 11 août. Dans le contexte géopolitique où nous nous trouvons, il nous a paru important de la partager pour les lecteurs de Je Suis Français. JSF

Je publie aujourd’hui une analyse de la situation militaire dans la guerre d’Ukraine. Rédigé par mon ami Hervé Carresse, avec lequel nous avons entrepris un travail de ré information sur la chaîne vidéo YouTube Vu Du Droit. L’idée était d’amener un peu de réel face à un déferlement de propagande russophobe assez inepte.
Son avis est toujours précieux. Il a eu plusieurs métiers dans sa vie professionnelle, actuellement il fait du conseil en stratégie de gestion et communication de crise. C’est un ex officier d’infanterie, ex officier d’état-major et chef de bureau de l’état-major de l’armée de terre, breveté de l’école de guerre. Il a aussi été officier au sein de la brigade de sapeurs-pompiers de Paris. Autre qualité importante, c’est un grand guitariste de rock niveau « guitar hero »…
Guerre en Ukraine : stratégie d’attrition russe et défaite stratégique européenne
Par Hervé Carresse.

Depuis novembre 2022 avec l’évacuation de la ville de Kherson suivi du franchissement rétrograde du Dniepr (que l’on peut considérer comme le tournant de cette guerre) la Russie a basculé dans une stratégie d’attrition dans le but de sortir de manière favorable d’une guerre qui, après l’échec des négociations d’Istanbul, semblait devoir être longue.
Sur quels éléments s’appuyait ce basculement stratégique ?
1) Sur une mobilisation partielle destinée à lutter contre le talon d’Achille initial des Forces armées russes (FAR), leur sous-effectif. L’opération initiale a impliqué moins de 150 000 hommes entre février et octobre-novembre 2022. Certains observateurs allant jusqu’à une estimation de 120 000, avec les départs des contractuels courts, certains disaient 120 000 hommes. Sous-effectifs qui avaient permis l’offensive éclair des FAU sur la région de Kharkiv en octobre 2022 (RAPFOR de 1 pour 8 dans cette zone en faveur des FAU).
2) Sur la nécessité de créer un leurre stratégique pour attirer les réserves des FAU qui auraient pu menacer et percer dans la trouée de Zaporijia. Alors que les 20 000 Russes, épuisés, issus du front de Kherson, venaient de s’y rétablir et que cette zone n’était pas suffisamment fortifiée ni tenue pour résister à une éventuelle offensive des FAU.
3) Sur la longue bataille de Bakhmout (août 2022-mai 2023) qui a eu pour objet de consommer les réserves ukrainiennes potentiellement menaçantes sur Zaporijia en utilisant côté russe une unité de mercenaires (Wagner) dont les pertes, en raison de son recrutement, n’étaient pas sensibles pour la société russe.
4) Sur la construction de la ligne Surovikin, protégée stratégiquement par l’engagement majeur des FAU à Bakhmout, et sur laquelle l’offensive d’été des FAU allait s’écraser.
5) Sur une opération de « déception » à grande échelle orchestrée par la Russie et largement, benoîtement relayée par les médias occidentaux, la chaîne LCI en tête chez nous, accompagné par les idiots de service sur X. Comme les fameux NAFO, participant ainsi aux opérations « psyops » du camp adverse. Absurdité pour faire croire que même sans appui aérien les FAU pourraient percer la ligne Surovikin, le moral des FAR étant au plus bas. D’où toutes ces vidéos de soldats russes exprimant leur démoralisation et qui comme par hasard ont disparu après octobre 2023… Le deuxième piège stratégique tendu par les Russes a consisté à pousser les FAU dans l’attaque du « mur » Surovikin avec le résultat que l’on connait.
6) Sur la mobilisation du complexe militaro-industriel russe et des réserves en matériels divers précieusement conservés depuis la fin de l’ex-URSS. Sans basculer dans une économie de guerre qui aurait fragilisé le centre de gravité russe d’acceptation sociétale de la guerre. Ce qui fut fait non en tournant l’intégralité de l’outil industriel vers la production de guerre, mais en augmentant en revanche les capacités de production existantes du complexe militaro-industriel russe.
7) En ayant recours uniquement aux volontaires, après démobilisation des mobilisés de novembre 2022. Cette politique de volontaires, chèrement rémunérés, permettant de protéger le centre de gravité russe de l’acceptation sociétale de la guerre tout en favorisant l’engagement de soldats rustiques provenant majoritairement des zones rurales, défavorisées et reculées de la Russie.
8) Sur une campagne de bombardements stratégiques destinée à neutraliser le complexe militaro-industriel, les infrastructures énergétiques, les nœuds et centres logistiques, les postes de commandement de divers niveaux.
Où en est-on aujourd’hui de ce choix stratégique d’une guerre d’attrition qui a épuisé la ressource humaine mobilisable et mobilisée de l’Ukraine tout en épuisant les réserves et les capacités matérielles des occidentaux alliés de l’Ukraine, européens et surtout américains ?
Sur le terrain, le front des FAU tient encore, mais des signes de défaillance, au plan tactique, se remarquent en raison du manque de fantassins. En face, les FAR ne semblent pas envisager de reprendre les risques des grandes avancées opératives comme en octobre 2022. L’hyper surveillance du front et la menace des drones FPV ukrainiens bloquent encore cette possibilité. Jusqu’à quand ?… Cependant les dernières percées constatées sur le front méritent d’être observées dans leurs développements possiblement opératifs notamment celles au nord de Pokrovsk. Tout comme la zone de Zaporijia qui demeure indispensable pour que les Russes puissent atteindre leurs objectifs de conquête des régions de Zaporijia et Kherson.
Sur le plan diplomatique, les USA qui ont atteint tous leurs objectifs stratégiques (découplage Russie-Europe, vassalisation accrue des pays de l’UE) estiment que cette guerre doit cesser au plus tôt et que pour cela il est nécessaire de prendre en considération les résultats des opérations sur le terrain.
Du côté de l’Ukraine et de ses alliés européens qui brillent par le décalage entre les émotions qu’ils expriment et les résultats concrets de leur soutien, la sortie de guerre s’avère difficile.
Pour l’Ukraine, car de facto le retour aux frontières de 1991 (objectif toujours revendiqué aujourd’hui) paraît durablement compromis.
Pour les pays de l’UE et la Grande-Bretagne, en particulier la France, l’Allemagne, l’absence de définition d’une stratégie propre, en dehors d’un suivisme de celle de l’Ukraine et d’accompagnement soumis de celle des USA, les a enfermés dans une impasse. Qui aura consacré le déclin définitif des grandes nations de ce continent, la faiblesse structurelle de l’Union Européenne et surtout leur propre défaite stratégique.
PS : L’offensive des FAU sur Koursk, du 6 août 2024 au 16 mars 2025, surtout la volonté de tenir le terrain conquis au lieu de pratiquer un raid, pendant plus de six mois a été une erreur stratégique au plan militaire car elle a favorisé la poursuite de la conquête du Donbass et a accéléré l’attrition des FAU et en particulier le neutralisation du corps de bataille ukrainien engagé dans cette opération qui constituait la dernière réserve stratégique des FAU.
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