
Par Aristide Ankou.
Une analyse d’une grande lucidité et cohérence, dont on peut, naturellement débattre.
« Les nations engagées dans une spirale destructrice, comme nous le sommes, n’en sortent pas sans de violentes convulsions et beaucoup de souffrances individuelles. »

Les populistes sont, en général, en terrain solide lorsqu’ils dénoncent la corruption des élites, l’imbécilité pratique des « sachants », le mépris et les visées despotiques à peine dissimulés de ceux qui nous gouvernent.
Ils errent, le plus souvent, en supposant que le peuple est intellectuellement sain et moralement vigoureux et qu’il suffirait donc de balayer lesdites élites ou le gouvernement en place pour que, presto ! règnent à nouveau le bon sens et l’honnêteté.
Lorsque William Buckley Jr affirmait qu’il préférerait vivre dans une société gouvernée par les deux cents premiers noms de l’annuaire téléphonique de Boston plutôt que dans une société gouvernée par les deux cents membres du corps professoral de l’université d’Harvard, il étayait cette préférence sur le fait que, selon lui, le peuple américain avait, dans l’ensemble, plus de religion et de respect pour les institutions et les principes fondateurs des Etats-Unis que les universitaires les plus renommés du pays.
Bref, selon lui l’Américain moyen avait, au moment où il parlait, des mœurs et des opinions plus saines et plus compatibles avec la pérennité de la république américaine que les élites intellectuelles du pays. Il était toutefois suffisamment instruit et réfléchi – il était, si l’on veut, suffisamment peu du peuple lui-même – pour ne pas affirmer qu’il en allait toujours et nécessairement ainsi.

Bien de l’eau putride a coulé sous les ponts depuis que Buckley a émis ce jugement et je doute fort qu’il aurait autant de confiance dans le bon sens de l’Américain moyen en 2025 que dans celui de l’Américain moyen de la fin des années 1950.
Pour ma part, je ne sais pas si le peuple français a jamais été intellectuellement sain et moralement vigoureux – j’ai quelques doutes à ce sujet – mais en revanche je suis absolument persuadé qu’il ne présente pas ces caractéristiques aujourd’hui.
Non, ni le bon sens, ni l’honnêteté, ni le sens du bien commun et encore moins le bon goût ou la culture française, n’ont été miraculeusement préservés dans les profondeurs de la population.
Nos gouvernants ineptes nous représentent bien mieux que nous ne voudrions le croire, jusque dans leur impuissance et leur indécision. La désagrégation de nos institutions est un miroir de la désagrégation de la nation, sans que l’on puisse affirmer où est le reflet et où est l’original, car les deux phénomènes s’entretiennent mutuellement.
Une telle conclusion pourrait bien paraitre désespérante, car si le peuple est aussi pourri que les élites, sur quoi nous appuierons nous pour remonter vers la surface ?
La seule manière de sortir de ce dilemme, me semble-t-il, est de considérer, comme le général de Gaulle par exemple, que la France est autre chose que les Français, que, de manière générale, les nations, ou les peuples, comme on voudra, ne sont pas réductibles aux individus qui les composent à un moment donné.
C’est à cette seule condition que, au moment critique, les Français pourraient se ressaisir pour se montrer – enfin – à la hauteur de la France, cette princesse de contes de fées ou cette madone aux fresques des murs. C’est seulement si la nation a une réalité propre, si elle façonne et meut les individus autant que ceux-ci la composent et la font exister, qu’il est possible de croire que « la France » pourrait guérir de cette mortelle langueur qui l’afflige.
Car s’il faut compter uniquement sur nos pauvres contemporains – parmi lesquels je m’inclus, et vous aussi qui me lisez, si, si – autant aller tout de suite se coucher pour mourir.
Cela n’est pas si déraisonnable que cela pourrait le sembler à nos esprits sceptiques et matérialistes. Personne ne peut sérieusement affirmer que de Gaulle – puisque j’ai parlé de lui un peu plus haut – était un idéaliste en politique. « Il n’y a pas de politique qui vaille en dehors des réalités » n’était pas une belle formule, c’était chez lui l’expression d’une conviction profonde, et il l’a suffisamment prouvé pour que je n’ai pas besoin de le prouver. Mais, il avait de la réalité politique une conception plus vaste et plus riche que celle des ordinaires « réalistes ». Et c’est précisément ce qui a fait de lui l’homme politique français le plus important du 20ème siècle.
Le rapport entre la France et les Français – entre la nation et les individus – a sans doute quelque chose d’irrémédiablement mystérieux, mais est-il vraiment plus mystérieux que cette union du corps et de l’âme (ou de l’esprit, comme vous voulez) que nous expérimentons chaque jour de notre vie sans la comprendre ? Ce grand mystère collectif n’est-il pas le symétrique – et peut-être la conséquence – de cet humble mystère individuel ? Ce qui est mystérieux ne laisse pas d’être et la réalité ne se réduit pas à ce que nous savons expliquer, même s’il est tentant de le croire.
Les nations engagées dans une spirale destructrice, comme nous le sommes, n’en sortent pas sans de violentes convulsions et beaucoup de souffrances individuelles. Elles n’en sortent pas non plus sans que, de leur sein, surgissent des individus exceptionnels qui ont suffisamment d’audace et de clairvoyance pour les assumer seuls « dans le vide effrayant du renoncement général ». Qui, du grand homme ou de la nation, suscite l’autre à ce moment décisif ? Sans doute est-ce là aussi une question sans réponse. ■ ARISTIDE ANKOU
* Précédemment paru sur la riche page Facebook de l’auteur, (le 29 août 2025).
Aristide Ankou

L’équivoque tient à l’usurpation de l’appellation «élite» par des paltoquets plus ou moins bien astiqués dans des universités devenues des cours de récréation mal surveillées.
Le problème n’incombe pas à «nos élites», mais à ceci qu’il n’y en a pas qui soient accessibles au «peuple».
Il n’y a pas tant de solutions à cet état de chose : ou bien «changer le peuple» – comme avait ironisé Bertold Brecht – puisqu’il ne comprend pas ses gouvernants ; ou bien, changer les «dirigeants», puisqu’ils ne comprennent pas comment gouverner.
Dans l’Ancien Régime, du reste, l’emploi respectif du singulier et du pluriel était significativement inversé : UN roi, qui avait la mouvance de SES peuples… Il y a là une splendide nécessité ; Maurras avait donné à observer les deux conditions, nécessaires et suffisantes, en respectant le nombre respectif des termes employés : « L’autorité, en haut ; LES libertés, en bas»…
Au sein de la condition populaire (au sens neutre de la formule), des modes d’organisations «démocratiques» s’imposent évidemment comme nécessaires (disons «à l’échelon local», pour employer une formule qui a fait florès), mais ils ne sont pas suffisants.
Aujourd’hui, là où devrait siéger l’autorité, c’est la démocratie qui s’agite, c’est-à-dire qu’il y a plusieurs autorités contradictoires entre elles – la totalement imbécile théorie de «séparation des pouvoirs» conduisant inéluctablement à ce qu’il s’en improvise une diarrhée, sans parler, pour faire calembour, de la logorrhée des diaristes, ces derniers constituant la classe des incorrigibles défenseurs de pareils faits constants, seul état de ceux-ci dans lequel ils puissent se saisir de ces «manettes», lesquelles, dans une société régulière ne saurait exister ; le cas du répugnant citoyen Marat et de sa cochonnerie méchante intitulée «L’Ami du peuple», comme par un fait exprès – « Mon Dieu, gardez-moi de mes amis ! Quant à mes ennemis, je m’en charge ! » disait ce satané Voltaire, très au fait de ces nouvelles et «éclairées» relations humaines.
De Gaulle n’a assurément pas été «l’homme politique français le plus important du 20ème siècle», mais il est le dernier à avoir été un tant soit peu «remarquable», au sens textuel du terme. La mention de son nom me permet d’insister sur l’absolue nécessité de ne pas confondre «hommes politiques» – pas de femme authentique dans la catégorie, il faut l’admettre comme une des tares majeures de la condition, tare, d’ailleurs, contagieuse car elle aime à passer d’un genre à l’autre, quitte à dégenrer –, ne pas confondre donc, avec «hommes d’État», et ceux-ci bien distincts encore des «personnages d’autorité».
En somme il y a les «politiques», les «étatiques» et les «autoritaires». Entre les trois, les seuls derniers mentionnés (au nombre desquels on comptera les premières femmes intéressées naturellement par la condition), s’il en reste d’accessibles, peuvent prendre la mesure des choses et agir comme il convient…
L’authentique Autorité est naturelle ; si elle peut se révéler présente de manière impromptue, elle ne s’acquiert pas, quoique elle doive se cultiver intérieurement. Je me serai fait des ennemis (mais je peux m’en charger tout seul) quand j’aurai dit que le seul Français récent étant monté au créneau que nous ayons connu, doué d’une réelle stature d’autorité, fut le maréchal Pétain… Pour s’en aviser, il faut consentir à observer un peu sincèrement les actions qu’il a effectivement accomplies dans une situation «politique» terriblement critique.
De Gaulle ne s’y trompait pas, qui a lancé contre son concurrent la machine diariste, prenant soin d’en confier les commandes aux héritiers de Marat, les effrayants «amis du peuple» que l’on sait. Chez ceux-ci, la relation obligée entre demi-vérités journalistiques et appareils judiciaires est la première rigueur à observer : par cet exercice, diffamer, calomnier, d’un côté, fait qu’il en restera toujours quelque chose d’opératif, de l’autre (selon l’adage apparu à la décadence romaine : «Calomniez audacieusement, il en restera toujours quelque chose»).
Mussolini, Franco, Pétain, voilà des personnages d’autorité, mais non des souverains, absolument pas des souverains. C’est en voulant en faire des équivalents de «rois politiques» – alors qu’ils furent strictement des «tyrans», au sens de l’antiquité grecque du terme – que «le sens de l’Histoire» parvient à dénaturer le meilleur de leurs activités ; sans doute, y en eut-il quelques autres, à la même époque, d’équivalente stature mais de moins emblématique mémoire, du moins dans celle française, aussi, comprendra-t-on que je ne m’aventure pas à en établir la nomenclature.
Notre époque est pourrait devenir un peu plus réjouissante en ceci qu’a surgi Giorgia Meloni au gouvernement d’une république, que se sont imposées les potentialités de Marine Le Pen et Marion Maréchal, comme si des «bonnes femmes» étaient en passe de faire la nique aux méshommes, éliminant pour ainsi dire «sexuellement» les écueils du politique et de l’étatique.
Sapristi ! J’ai par trop laissé courir les doigts sur le clavier et, à n’en plus finir ainsi inconsidérément, il apparaît que l’«on n’en voit plus la fin»… Si vous ne distinguez pas le terme de mes propos, la faute en est à celui qui les a laissé s’écouler, à la manière d’un vulgaire journaliste… J’en demande donc bien pardon.
«Bellum et bonum» aimait à dire Pierre Pascal en fin de certains courriers : Guerre et Bonté conjointes, en somme…