
« Si Madame Borne tient à féminiser la population du Panthéon, la tâche lui incombe de convaincre l’Élysée d’y introduire la mémoire de Jeanne d’Arc. »
Par Robert Redeker.
Cette tribune de Robert Redeker, noble et courageuse comme toujours, est parue dans Le Figaro du 2 septembre. Quel article d’heureuse et agréable lecture pour des royalistes, ou pour des Français peu enclins à goûter les charmes de notre Révolution ! Nous doutons toutefois qu’il puisse être de quelque effet sur les convictions, trop bien ancrées, de la femme de nature — et d’apparence — toujours assez hargneuse qu’est Élisabeth Borne : toutes les figures, tous les principes, toutes les suggestions qu’il lui oppose ou propose sont justement tout ce qu’elle déteste. Reste le bel article de Robert Redeker qui, tout compte fait, vaut beaucoup mieux que son objet. JSF

TRIBUNE – À en croire Élisabeth Borne, le Panthéon invisibiliserait les femmes, absentes de la formule inscrite à son fronton. Le philosophe Robert Redeker lui répond en omettant la démagogie et la repentance, pour rendre honneur au féminin qui irrigue l’histoire de cet édifice « sacré ».
* Robert Redeker est professeur agrégé de philosophie et l’auteur de notamment « Descartes. Le Miroir aux fantômes » (Cerf, 2025), et d’« Éloge spirituel de l’attention » (Artège, 2025).
La suggestion avancée par Madame Élisabeth Borne de modifier la formule inscrite au fronton du Panthéon, « Aux grands hommes la patrie reconnaissante », a suscité, par son mélange de démagogie féministe et de mépris du patrimoine, si ce n’est du passé national, une légitime réprobation. Pourtant, à l’insu de l’ancienne première ministre, cette proposition incongrue donne beaucoup à penser.Passer la publicité
Qu’est-ce que la patrie, qu’exalte cette inscription ? Réponse : la mère de ces grands hommes honorés à jamais dans ce mausolée. Autrement dit, en ne tenant aucun compte de la sottise chère au Planning Familial cherchant à désexualiser la parenté : une femme. Comme aveuglée par l’idéologie à la mode dans la caste des bavards dominants, à savoir l’union syncrétique du néo-féminisme et de la plainte victimaire, Madame Borne se trompe du tout au tout : il y a bien une femme au cœur de cette inscription, la Patrie. Comprenons : le féminin. Cette inscription est plus féministe qu’on ne le croit. Plus encore : cette femme, la patrie, est plus importante que tous les grands hommes puisqu’elle les engendre et les englobe.
La devise du Panthéon proclame de fait aux yeux de ceux qui savent lire la première place de la femme. Celle de l’origine. Si elle n’est pas éternelle, elle est à tout le moins transhistorique : les hommes (Rousseau, Voltaire, Hugo, Jaurès) changent, se succèdent, et passent, quand la femme-mère (la patrie) demeure, restant identique à elle-même, ne se vêt pas de noms différents, ne se morcelle pas en individualités différenciées. Chacun, en visitant le Panthéon, le constate : ces hommes illustres, tous dissemblables, sont des points de vue particuliers sur une seule femme, la mère patrie. Féconde, cette femme ne cesse d’engendrer de grands hommes. La formule du Panthéon est donc celle d’un culte maternel. C’est-à-dire : d’un culte féminin.
Consultez la liste des abrités par cet édifice. Censuré, le plus grand personnage de notre histoire ne figure pas en ce Panthéon. Qui est-ce ? Et pourquoi ? Le seul personnage auquel nous, Français, devons absolument notre être, par suite le plus grand, fut une femme, une jeune fille, une demoiselle, une bergère, une Française de peu, Jeanne d’Arc. Si l’on ne songeait guère à Jeanne d’Arc au moment de la Révolution, le XIXe siècle, en particulier grâce au génial historien idéologue de cette Révolution, Jules Michelet, la redécouvrit. Cette époque aurait pu penser à rendre honneur à l’héroïne absolue de la France par un cénotaphe au Panthéon.
« Si Madame Borne tient à féminiser la population du Panthéon, la tâche lui incombe de convaincre l’Élysée d’y introduire la mémoire de Jeanne d’Arc. »
D’une part, elle vécut avant la Révolution (comme Rousseau et Voltaire certes), mais combattit en faveur de la royauté, chercha à la restaurer et à la renforcer, au lieu de s’opposer à elle. Ce positionnement politique la dessert dans la perspective d’une panthéonisation. Son christianisme la dessert aussi : de fait, la Pucelle fusionne royauté, catholicisme, et France. Pourtant, Jeanne d’Arc, une femme, fit beaucoup plus pour la France que deux hommes, Voltaire et Rousseau. D’autre part, l’intention principale de la Révolution était d’effacer le christianisme, d’humilier l’Église (une mère, celle de la France, à l’image de la patrie, mère des Français) dont la France était réputée la fille aînée. Il fallait à cette Révolution un matricide : le Panthéon allait l’avaliser. La France officielle allait se débarrasser de sa mère, l’Église, quand les Français allaient conserver la leur, la patrie. Si Madame Borne tient à féminiser la population du Panthéon, la tâche lui incombe de convaincre l’Élysée d’y introduire la mémoire de Jeanne d’Arc.
L’érection du Panthéon a tout d’un hold-up, commis par la Révolution, sur le symbolique. Bâti sous le règne de Louis XV, cet édifice était promis à devenir une église portant le nom de sainte Geneviève. Une femme, là encore ! Celle qui protégea Paris des ravages sanguinaires d’Attila. Dans son désir de faire parler d’elle par une provocation tapageuse, Madame Borne n’a pas tout à fait tort cependant, exhibant sans le savoir l’inconscient révolutionnaire : effacer les femmes (sainte Geneviève), en ignorer d’autres (Jeanne d’Arc, Marie de Médicis, Aliénor d’Aquitaine, Madame de Lafayette, Mademoiselle de Scudéry, la Grande Mademoiselle, par exemple), étrangler une mère (l’Église, mère de la France) pour en conserver et valoriser une autre (la patrie, mère des Français et de leurs grands hommes). Ainsi, culte du féminin, secrètement féministe, la formule du Panthéon, trafiquant les symboles comme d’autres trafiquent le vin, contredit implicitement la méfiance révolutionnaire envers les femmes, qui dicta longtemps la pratique de la panthéonisation. oo ■ o ROBERT REDEKER
En paganisant l’église Sainte Geneviève sous le nom de Panthéon, les révolutionnaires ont fait démarrer la France à la Révolution, en admettant cependant ceux qu’ils pensaient être ses précurseurs, mais excluant à jamais les grands hommes et femmes mal-pensant, comme Foch, Lyautey, Simone Weil ( en préemptant la quasi homonyme) d’Estienne d’Orves ou le colonel Remy.
Au moment où on s’apprête à « panthéoniser » Marc Bloch, quelque journaliste rappellera -t-il que ce dernier rédigeât les discours du maréchal Pétain en 1940, et peut être après!