
Peut-être l’avez vous lu à l’été 2024, quand il est paru en feuilleton sur JSF ; quoiqu’il en soit, le roman de Pierre Loti Ramuntcho est dès à présent disponible en format papier au sein du catalogue de Belle-de-Mai Éditions.
À l’heure de la rentrée, les nostalgiques des vacances estivales qui – hélas – sont déjà derrière nous peuvent s’en offrir un prolongement de substitut avec une plongée dans le Pays Basque, cadre du récit de Ramuntcho, terre fort appréciée des estivants, eu égard à sa culture unique, son environnement à part – qui mêle mer et montagne – et son peuple enraciné, à la fois vigoureux et fier.
À sa sortie, en 1897, de nombreuses recensions lui avaient été consacrées dans la presse. Au cours de cette semaine vous en découvrirez quelques-unes, à commencer par celle parue dans Le National le 30 mars 1897 :

Avec une rare souplesse de talent, M. Pierre Loti compose ses romans dans les endroits où il passe, et c’est ainsi que son œuvre offre autant de diversités que les diamants ont de facettes. Qu’il nous conduise au Maroc ou à Constantinople, à Taïti ou au Japon, à Jérusalem ou en Algérie, qu’il fasse vivre ses personnages dans le désert, dans les plaines embaumées de la Palestine, sur le Bosphore, dans les rues borgnes de la Kasbah ou sur un bateau de fleurs, son dessin n’est jamais embarrassé et jamais sa palette ne demeure en défaut. Don plus rare encore, il s’assimile les caractères aussi facilement que les paysages et sa psychologie équivaut à ses descriptions.
Cette fois, avec Ramuntcho, nous sommes dans le pays basque. Ce sont les hautes Pyrénées, les ravins, les bois, les gués de rivières, la Bidassoa, la « marinee de Fontarabie, l’Espagne. Ce sont les guitares et les tambourins servant d’accompagnements aux séguidilles après les repas de fête avec des poissons de la Nivelle, du jambon et des lapins. Ce sont les fameux jeux de pelote, « ils entrent dans l’arène, les pelotaris, les six champions parmi lesquels il en est un en soutane, le vicaire de la paroisse. Ils essaient leurs balles, choisissent les meilleures, dégourdissent leurs bras d’athlète. Et la partie commence, au mélancolique soir. La balle, lancée à tour de bras, se met à voler, frappe le mur à grands coups secs, puis rebondit et traverse l’air avec la vitesse d’un boulet. » Ce sont les fandangos qui tournent, tournent, au clair de la lune nouvelle. « Tous ces bras, tendus et levés, s’agitent en l’air, montent et descendent avec de jolis mouvements cadencés, suivant les oscillations du corps. Les espadrilles à semelles de corde rendent cette danse silencieuse et comme infiniment légère ; on n’entend que le froufrou des robes, et toujours le petit claquement sec des doigts imitant un bruit de castagnettes. Avec une grâce espagnole, les filles, dont les larges manches s’éploient comme des ailes, dandinent leurs tailles serrées, au-dessus de leurs hanches vigoureuses et souples… » Ce sont aussi les hardis contrebandiers marchant vers les sommets, à travers les nuages, franchissant les ravins, errant dans des régions de sources et de figuiers sauvages, dormant, pour attendre l’heure convenue avec les carabiniers complices, sur des tapis de menthes et d’œillets ; ou ayant à lutter contre les hivers, les grands vents, les pluies fouettantes et marchant en procession, la nuit, au fond de la Bidassoa, au milieu d’une étendue confuse au sol traître, qui éveille des idées de chaos, parmi des vases où ils s’enfoncent.
Dans ce décor, au milieu de ces personnages : contrebandiers, pelotaris, curés ou cultivateurs, une action d’un intérêt poignant en même temps que d’une exquise poésie. Ramuntcho est le fils de Franchita, celle qui jadis aima et suivit l’étranger, puis sentant l’abandon prochain, courageusement revint au village pour habiter avec son enfant la maison délabrée de ses parents morts. Tous lui ont pardonné, sauf l’orgueilleuse Dolorès, la mère de Gracieuse. Ramuntcho est brave comme un montagnard basque et beau comme un monsieur d’Espagne, car il porte en lui le mélange de deux races. C’est encore un fier contrebandier et le roi des joueurs de pelote, ce qui est un titre glorieux dans le pays basque. Gracieuse est une adorable petite fille aux cheveux ébouriffés en nuage d’or. Ils s’aiment, se le sont dit, passant par-dessus les rivalités maternelles ; ils se sont fiancés et maintenant, ils savent, ils sont sûrs. Ils ont conscience d’avoir franchi à eux deux le seuil grave et solennel de la vie. Et, appuyés l’un à l’autre, ils chancellent presque dans leurs promenades, comme deux enfants ivres de jeunesse, de joie et d’espoir.
L’heure de la conscription a sonné.
— Je suis Guipuzcoaa, du Ramuntcho, comme ma mère. Alors, on ne me prendra pour la conscription que si je le demande… Donc ce sera comme tu l’entendras ; comme tu feras, je ferai… — Ça, mon Ramuntcho, reprend Gracieuse, j’aimerais mieux plus longtemps t’attendre et que tu te fasses naturaliser, et que tu son soldat comme les autres. C’est mon idée à moi, puisque tu veux que je te la dise !…
Trois ans — les trois ans de service — se sont écoulés. Ramuntcho revient au pays. Il n’y trouvera plus Gracieuse. Dolorès a profité du départ de l’amoureux pour opposer un veto absolu à l’union des deux enfants, et Gracieuse, qui a juré de n’être qu’à Ramuntcho ou à Dieu, s’est faite religieuse, à la grande colère de son frère Arrochkoa, qui aurait aimé que sa sœur devint la femme de son ami. Ramuntcho cherche à oublier dans les émotions de la contrebande ou les gloires de la pelote. L’amour est plus fort. Alors, de concert avec Arrochkoa, il décide d’enlever Gracieuse aux béguines qui la détiennent.
— Je te dis qu’elle te suivra, Ramuntcho. J’en suis sûr. Si elle hésite, eh bien ! laisse-moi faire !
Ils partent. Ils arrivent. Le couvent est là-haut. C’est cette maison isolée qu’une croix surmonte et que l’on voit se détacher en blanc sur le masse plus foncée de la montagne. Ils montent. Arrochkoa, accompagné de Ramuntcho, frappe du doigt à la porte de la paisible maison :
— Je voudrais voir ma sœur, s’il vous plaît, demande-t-il à une vieille nonne qui entrouvre, étonnée…
Et, avant qu’il ait fini de dire, un cri de joie s’est envolé du corridor obscur, et une religieuse se précipite, lui tend les mains. Elle l’a reconnu, lui, à sa voix. — Mais a-t-elle deviné l’autre qui se tient derrière lui et qui ne parle pas, et qui ferait si peur aux nonnes tranquilles, si elles savaient qu’un vent de tourmente l’amène ?…
« Et maintenant, pour la première fois, ils se contemplent en face, l’amante et l’amant, Gracieuse et Ramuntcho. Leurs prunelles se sont rencontrées et fixées. Elle ne baisse plus la tête devant lui ; mais c’est comme d’infiniment loin qu’elle le regarde, c’est comme de derrière d’infranchissables brumes blanches, comme de l’autre rive de l’abîme, de l’autre côté de la mort ; très douce pourtant, son regard indique qu’elle est comme retranchée, repartie pour de tranquilles et inaccessibles ailleurs. » Puis elle prend la parole, elle sourit même, rassérénée, et Arrochkoa regarde Ramuntcho qui, dompté lui aussi, comprend bien que tous les projets chancellent, que tout « retombe inutile et inerte devant l’invincible mort dont sa sœur est entourée ». Pourtant Gracieuse dit à son frère :
— Alors il est avec toi, Ramuntcho, à présent ? Il est fixé au pays, vous travaillez ensemble ?
— Non, dit Ramuntcho, d’une voix lente et sombre, je pars demain pour les Amériques…
Chaque mot de réponse, scandé durement, est comme un son de trouble et de défi au milieu de cette sérénité étrange. Elle s’appuie plus fort à l’épaule de son frère, la petite nonne, et Ramuntcho, conscient du coup profond qu’il vient de porter, la regarde et l’enveloppe de ses yeux tentateurs, repris d’audace, attirant et dangereux dans le dernier effort de tout son cœur empli d’amour, de tout son être de jeunesse et de flammes fait pour les tendresses et les étreintes. Alors, pendant une indécise minute, il semble que le petit couvent a tremblé ; il semble que les poussières blanches de l’air reculent, se dissipent comme de tristes fumées irréelles devant ce jeune dominateur, venu ici pour jeter l’appel triomphant. Et le silence qui suit est le plus lourd de tous ceux qui ont entrecoupé déjà cette sorte de drame joué à demi-mots, joué presque sans paroles…
L’heure de la séparation a sonné.
— Venez, sœur Marie-Angélique, propose gaiement la supérieure, nous allons toutes deux les reconduire jusqu’au bas… jusqu’au bout de notre avenue, assez loin, au tournant du village. Ramuntcho marche devant avec Gracieuse — sœur Marie-Angélique — et, sans avoir échangé une parole, les amants atteignent le tournant du chemin où il faut se dire un éternel adieu. La supérieure s’arrête :
— Allons, ma sœur, faites leur vos adieux. Eh bien ! vous n’embrassez pas votre frère ?
Sans doute, la petite sœur Marie-Angélique ne demandait que cela, l’embrasser de tout son cœur, de toute son âme ; l’étreindre ce frère, se serrer sur son épaule et y chercher protection, à cette heure de sacrifice surhumain, où il faut laisser partir le bien-aimé sans dire un mot d’amour… Et pourtant son baiser a je ne sais quoi d’épouvanté, de tout de suite retenu ; baiser de religieuse, un peu pareil à un baiser de morte… À présent, quand le reverra-t-elle, ce frère qui, cependant, ne va pas quitter le pays basque, lui ? Quand aura-t-elle seulement des nouvelles de la mère, de la maison, da village, par quelque passant qui s’arrêtera ici, venant d’Etchésar ?
Ramuntcho, elle n’ose même pas tendre sa petite main froide, qui retombe le long de sa robe, sur les grains du rosaire. — Nous prierons, lui dit-elle encore, pour que la sainte Vierge vous protège dans votre long voyage.
…Et maintenant elles s’en vont : lentement, elles s’en retournent, comme des ombres silencieuses, vers l’humble couvent que la croix protège. Et les deux domptés, immobiles sur place, regardent s’éloigner, dans l’avenue obscure, leurs voiles plus noirs que la nuit des arbres.
Il n’est pas possible de pousser plus loin l’intensité du dramatique et du beau. Pierre Loti compte un chef-d’œuvre de plus. Pécheur d’Islande a un pendant.
Georges Duva
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Nombre de pages : 188.
Prix (frais de port inclus) : 24 €.
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