
Ce constat de faillite, c’est, au fond, celui de la Révolution, toujours à l’œuvre dans notre histoire. Il faut saluer les efforts de ceux, redevenus nombreux et puissants aujourd’hui, qui se dressent pour en combattre les effets mortifères. JSF
Par Mathieu Bock-Côté.

Cette chronique est parue dans Le Figaro de ce 13 septembre. Il se passe de long commentaire. Nous aurions envie de dire qu’il y est dressé un constat de faillite : celui de la modernité, du progressisme, des Lumières proprement dites et, finalement, de la démocratie idéologique, religieuse, au sens que donnait Maurras à cette expression. La modernité a voulu nier la diversité des héritages, abolir toute transcendance religieuse ou sociale et politique, faire advenir un individualisme universel en abattant les frontières des cités, des nations, des cultures et des civilisations différenciées. Il n’en résulte qu’un retour à la violence barbare. Ce constat de faillite, c’est, au fond, celui de la Révolution, toujours à l’œuvre dans notre histoire. Il faut saluer les efforts de ceux, redevenus nombreux et puissants aujourd’hui, qui se dressent pour en combattre les effets mortifères. JSF

CHRONIQUE – La modernité, grâce à un équilibre politico-philosophique fragile qui présupposait une homogénéité culturelle, croyait avoir dépassé le problème de la violence en politique. Avec la mort par balle du jeune leader conservateur américain, cette dernière a ressurgi avec fracas.
L’assassinat du jeune leader conservateur, Charlie Kirk, victime du tir d’un sniper alors qu’il tenait une conférence dans l’Utah, a confirmé l’effondrement des digues contenant la violence politique. À l’échelle de l’histoire, nous n’en serons que modérément surpris, la politique ayant davantage eu à voir au fil des siècles avec la violence qu’avec la conversation. Les hommes, spontanément, sont prêts à s’étriper pour la conquête, l’exercice et la préservation du pouvoir, comme ils le sont lorsque s’affrontent des philosophies concurrentes.
La modernité avait cru surmonter le problème des guerres de Religion en privatisant la question des fins dernières, en l’individualisant, si on préfère, chacun étant libre de croire ce qu’il veut, et d’organiser la société civile à partir de cette croyance, à condition de ne pas en faire la loi de la cité. La démocratie cherchait aussi à mettre un terme à la guerre permanente entre les hommes pour la conquête du pouvoir en encadrant son obtention par un rituel électoral accepté par tous les acteurs sociaux, reconnaissant d’avance la possibilité de leur défaite, dans la mesure où ils avaient aussi la possibilité de le gagner.Publicité
La politique redevient un conflit existentiel poussé à son paroxysme
Cet équilibrage politico-philosophique était par définition fragile : il présupposait quand même derrière la diversité des conceptions du bien une forme d’homogénéité culturelle souterraine, et la reconnaissance d’institutions partagées n’étant pas exagérément biaisées. Clausewitz, on le sait, faisait de la guerre la poursuite de la politique par d’autres moyens. Lénine avait inversé la formule, en disant que la politique était la poursuite de la guerre par d’autres moyens. Autrement dit, la gauche radicale considère théoriquement que tous les moyens sont permis pour parvenir à ses fins. C’est ce qui arrive quand on se prend pour l’incarnation du bien, contre un adversaire grimé en démon, qu’on déshumanisera pour mieux se permettre de l’éradiquer.
On a voulu croire, après 1989, que la politique avait connu sa mue anthropologique, et que les hommes, convertis à la téléologie démocratique, ne voudraient plus s’égorger entre eux. Cette prédiction relevait de l’optimisme délirant. Et c’est à la lumière de cela qu’on peut comprendre l’assassinat de Charlie Kirk. Les hommes de notre temps ne s’entendent plus sur les institutions, et ne consentent plus à la privatisation des querelles existentielles, qu’elles soient religieuses ou idéologiques. Les perspectives contradictoires sont jugées mutuellement intolérables. La politique redevient un conflit existentiel poussé à son paroxysme.
Il faudra bien finir par le comprendre : dès lors qu’on hitlérise un adversaire, on se donne le droit, si les circonstances l’exigent, de l’exécuter.
Kirk se présentait sur les campus pour débattre de tout, à partir d’une philosophie théoconservatrice contestable, mais ce débat était refusé. On l’accusait de tenir des propos haineux, de mettre en péril la vie d’autrui par ses idées. Ils furent nombreux à se réjouir de sa mort, comme s’il y avait un démon de moins dans le monde. Même au centre, on a refusé l’hommage public que voulaient lui rendre ceux qui le pleuraient. Au mieux, on veut bien reconnaître qu’il eut mieux valu que Kirk ne se fasse pas assassiner, à condition d’ajouter qu’il l’a quand même bien cherché.
Il faudra bien finir par le comprendre : dès lors qu’on hitlérise un adversaire, on se donne le droit, si les circonstances l’exigent, de l’exécuter. Le progressisme, qu’il soit dépenaillé, en haillons, ou qu’il porte le col amidonné, ne s’interdit plus les danses macabres, il les pratique même sans gêne, comme on l’a vu suite à la mort de Jean-Marie Le Pen. On devine la joie mauvaise qui inonderait les rues si Donald Trump subissait le même sort que Kirk. Il existe une telle chose qu’un progressisme haineux.
La société multiculturelle est inévitablement une société multiconflictuelle
En fait, si la violence politique revient, c’est que la violence revient tout simplement, dans sa forme primaire, originelle. On l’a vu avec un autre assassinat qui a fini par faire parler aux États-Unis, celui d’Iryna Zarutska, une jeune réfugiée ukrainienne de 23 ans, égorgée dans un train par un Afro-Américain, égorgement pratiqué dans l’indifférence générale des autres passagers. Le tueur, on l’a vu sur les vidéos de surveillance, s’est ensuite félicité d’avoir « tué cette Blanche », cet assassinat relevant explicitement de la violence raciste.
Le système médiatique a toutefois tout fait pour taire cette histoire, en la traitant comme un fait divers. Mais les réseaux sociaux permettent aujourd’hui d’imposer publiquement ce que les gardiens du récit officiel de la diversité heureuse voudraient effacer. La haine raciale revendiquée vise désormais les Blancs, ce qui contredit la thèse au fondement du régime diversitaire, voulant que le racisme anti-Blancs soit une impossibilité théorique. La société multiculturelle est inévitablement une société multiconflictuelle. Ici aussi resurgit une violence inévitablement politique au cœur de la cité et qui la transforme déjà en enfer. ■ MATHIEU BOCK-CÖTÉ
Depuis leur création, les Etats Unis d’Amérique ont la culture du colt. Leurs institutions prétendument démocratiques exemplaires ne l’ont pas éradiquée.