
Une chronique qui se veut ironique – et qui l’est vraiment, fourmillant d’idées saugrenues et drôles. Parfois désopilantes. Moment de détente rafraîchissant dans le contexte politique sous tension. Une ironie parfois fondée sur des poncifs ou des options politiques sous-jacentes qui ne sont pas les nôtres, ou même y sont contraires. Même en un tel cas, Samuel Fitoussi rend compte de la situation avec esprit et intelligence des circonstances. Le lecteur de JSF en fera la critique si bon lui semble.
Par Samuel Fitoussi.
Cette chronique est parue dans Le Figaro du 8 septembre. Elle ne manque pas à son ambition de drôlerie ironique et brillante, reflétant de fait d’évidentes réalités et donc une actualité chargée de sens. Discutable, d’ailleurs… Ces lignes prennent un relief particulier après l’énorme manifestation anti-immigration qui s’est tenue hier à Londres. Tandis que l’U.E. se débat dans les affres de son échec ukrainien face à Trump et Poutine, tout en mimant les intentions bellicistes les plus folles et les plus agitées, une autre Europe est peut-être en train de se former, dans le respect de ses États et de la souveraineté de chacun d’entre eux… celle des peuples qui ne veulent pas mourir. JSF

CHRONIQUE – Une semaine sur deux, notre chroniqueur pose son regard ironique sur l’actualité. Aujourd’hui, il raille la police britannique, qui a arrêté, le 1er septembre, le comédien et scénariste irlandais Graham Linehan, après des propos jugés « transphobes ».
* Samuel Fitoussi vient de publier « Pourquoi les intellectuels se trompent » aux Éditions de l’Observatoire.
16 h 00. À Londres, dans le secteur de Portobello Road, les rues sont quadrillées. L’alerte est au niveau maximal. Les forces de l’ordre travaillent de concert avec l’armée et le Giec pour sécuriser le périmètre sans émettre trop de CO2. À l’extérieur d’un petit comedy-club – épicentre du chaos -, les forces spéciales sont massées. À Downing Street, le premier ministre suit la situation. Donner l’ordre d’intervenir ? Ce serait plonger des femmes et des hommes (les troupes sont paritaires) dans un enfer qui risquerait de les marquer à vie. Attendre ? Ce serait monstrueux à l’égard des victimes. Il tergiverse, interroge.
16 h 01. Tandis que le premier ministre interroge Grok, la situation se dénoue sur le terrain. Le terroriste apparaît, mains en l’air. Il se rend. Pour éviter qu’il ne récidive, on le bâillonne. À sa suite, les victimes sortent une à une, les yeux hagards ; elles sont immédiatement prises en charge par des psychologues. La reconstruction mentale sera longue : elles ont été victimes d’une série de blagues transphobes.
16 h 05. Le soi-disant « humoriste » est menotté, puis escorté vers une pièce attenante, simplement éclairée par une ampoule nue qui grésille au plafond. Au milieu, une table et deux chaises miteuses. Sur l’une d’elles est assis Rupert Barrington, chef du MI6 et interrogateur féroce.
– Avez-vous des complices qui vous ont aidé à écrire ces blagues ? Planifiez-vous d’autres crimes de haine ?
– Je ne dirai rien.
– Si vous ne parlez pas, je vous contrains à écouter huit heures de discours d’Ursula Von der Leyen.
Le terroriste craque et révèle tout.
– Très bien, très bien, dit Barrington. Maintenant, dites-moi, combien y a-t-il de genres ?
– Il y en a deux, homme et femme.
– Mauvaise réponse. Souhaitez-vous que je vous enferme dans une pièce avec Sébastien Delogu ?
– Non ! Pitié ! D’accord, toute binarité est réductrice, le genre est un spectre, il y a autant de genres que de façons de se définir.
16 h 30. Le portrait psychologique du coupable est établi. Force est de reconnaître, se dit le chef du MI6, que dans ce genre d’affaires, le profil des fauteurs de troubles est toujours le même. Blanc, de droite, soi-disant défenseur de la « liberté d’expression », admirateur de J.K. Rowling, partisan du Brexit. Ce sont toujours les mêmes qui posent des problèmes. Il demandera à ses équipes de renforcer le contrôle au faciès contre cette population. Au fond, se dit sagement Barrington, le problème est migratoire. Par aveuglement, nous avons trop longtemps refusé d’inciter les Britanniques de souche à émigrer dans d’autres pays, exposant égoïstement les minorités ethniques et la communauté LGBTQIA+ à des micro-agressions inhumaines.
17 h 00. Le terroriste est en prison, mais le Royaume-Uni n’est pas au bout de ses peines. Dans une petite ville, un immigré pakistanais, victime d’inégalités sociales et rejeté par une société raciste, vient de commettre un meurtre. Au sommet de l’État, on panique : les habitants pourraient commettre des amalgames. Sur ordre de Charles III, quatre mille policiers sont dépêchés pour placer en quarantaine les résidents, qui seront examinés par des associations antiracistes avant d’être relâchés séquentiellement (sous réserve de résultats d’examen satisfaisants). Les services de Sa Majesté, explique le ministre de l’Intérieur, sont mobilisés pour aplanir la courbe de l’épidémie de préjugés xénophobes. Les Britanniques applaudissent à leur fenêtre, agitant des mouchoirs verts et blancs aux couleurs du Pakistan.
17 h 30. À Birmingham, des tensions religieuses éclatent car une femme refuse de porter le hidjab. En concertation avec le tribunal coranique du quartier (qui ne peut pas tout faire tout seul), une unité d’intervention rapide du Yorkshire intervient pour la discipliner. La paix sociale revient. En conférence de presse, le premier ministre se félicite de la fructueuse coopération entre le gouvernement et le recteur de la grande Mosquée Al-Muwahhidun Al-Wala wal-Bara Al-Tawhid de Birmingham.

18 h 00. Partout dans le pays, des anarchistes d’extrême droite, ennemis de l’État de droit et de nos valeurs, se révoltent. Les uns chantent l’hymne national. Les autres arborent une croix de saint Georges. Un parfum des années 1930 flotte dans les airs. La guerre civile est enfin là. Le gouvernement ordonne le déploiement de 800.000 soldats et de la totalité des troupes de l’Otan.
19 h 00. Les dangereux anarchistes d’extrême droite rentrent dormir. ■ SAMUEL FITOUSSI

Samuel Fitoussi, « Pourquoi les intellectuels se trompent » aux Éditions de l’Observatoire.