
Une chronique qui se veut ironique – et qui l’est vraiment, fourmillant d’idées saugrenues et drôles. Parfois désopilantes. Moment de détente rafraîchissant dans le contexte politique sous tension. Une ironie parfois fondée sur des poncifs ou des options politiques sous-jacentes qui ne sont pas les nôtres, ou même y sont contraires. Même en un tel cas, Samuel Fitoussi rend compte de la situation avec esprit et intelligence des circonstances. Le lecteur de JSF en fera la critique si bon lui semble.
Par Samuel Fitoussi.
Cette chronique est parue dans Le Figaro du 8 septembre. Elle ne manque pas à son ambition de drôlerie ironique et brillante, reflétant de fait d’évidentes réalités et donc une actualité chargée de sens. Il s’agit ici de la division des Français en deux camps artificiellement créée par la Révolution française, un mal dont la France souffre toujours après bientôt deux siècles et demi. JSF

CHRONIQUE – Une semaine sur deux, notre chroniqueur pose son regard ironique sur l’actualité. Aujourd’hui, il imagine notre pays divisé en deux : la France de gauche, libérée du fascisme, et la France de droite, libérée du gauchisme.
* Samuel Fitoussi vient de publier « Pourquoi les intellectuels se trompent » aux Éditions de l’Observatoire.
Mai 2027. Quelques jours avant l’élection présidentielle, le destin de la nation bascule. Un petit candidat, donné à 0,3 % dans les sondages, formule une proposition choc : une solution à deux États pour la France. La France de gauche (FDG), libérée du fascisme, pourra déclarer son indépendance, la France de droite (FDD), libérée du gauchisme, aussi. Ce candidat est élu dès le premier tour avec 100 % des voix.
Septembre 2027. Les négociations de divorce sont amorcées. La gauche se montre intraitable. Elle souhaite récupérer la R&D (notamment les départements de sociologie de Nanterre et Lyon 2), les détenus dangereux (par humanisme, car la droite risquerait de durcir leurs conditions de détention) et les intermittents du spectacle (sans lesquels la vie n’aurait pas de saveur). Hors de question, évidemment, d’hériter des pots cassés de la droite (les centrales nucléaires, le lycée Stanislas, les cathédrales vieillottes ou les entrepreneurs créant des inégalités). Des considérations de souveraineté économique sous-tendent les négociations, puisque la FDG tient à récupérer les usines de fabrication de keffieh. Une chose est certaine : personne ne veut récupérer la chaîne de restaurant Cojean, élue plus mauvais rapport qualité-prix du monde occidental par un jury composé d’un chroniqueur au Figaro.Publicité
Octobre 2027. L’équation géographique semble insoluble. La gauche refuse d’abandonner Marseille, Trappes, Roubaix, Saint-Denis, tandis que la droite n’envisage pas un avenir sans Deauville, La Baule, Megève et la Côte d’Azur. Finalement, sous l’égide de Mahmoud Abbas et de Benyamin Netanyahou, un accord de partition est signé. À l’ouest, la FDD proclame son indépendance ; à l’est, la FDG, la sienne.
Novembre 2027. Des corridors humanitaires sont mis en place pour permettre des transferts massifs de population. Entre l’Est et l’Ouest, le cœur de certains Français balance. C’est notamment le cas de la rédaction de Franc-Tireur, qui opte finalement pour la France de gauche dans l’espoir de la changer de l’intérieur et de reconstruire une « vraie gauche ».
La gauche obtient un statut spécial pour le secteur du Champ-de-Mars et les 800.000 mineurs isolés qui y habitent, placés sous protection de l’Unesco. Des Casques bleus contrôlent la zone, et envoient régulièrement à leurs familles des petites tours Eiffel achetées auprès des vendeurs à la sauvette.
Décembre 2027. La ligne de démarcation passe par Paris. Problème : le studio de France Inter est à l’ouest, ses journalistes doivent évacuer. Thomas Legrand obtient le statut de réfugié ; de génération en génération, la famille Legrand se transmettra l’espoir de revenir un jour à la Maison de la radio. Afin d’éviter un autre drame diplomatique, la FDD accepte de conférer une souveraineté partielle à la gauche sur son lieu le plus saint (Sciences Po), mais installe des barrières de sécurité autour de la rue Saint-Guillaume, avec fouille systématique des tote bags pour s’assurer qu’aucun tract en écriture inclusive ne franchisse la frontière. La gauche obtient un statut spécial pour le secteur du Champ-de-Mars et les 800.000 mineurs isolés qui y habitent, placés sous protection de l’Unesco. Des Casques bleus contrôlent la zone et envoient régulièrement à leurs familles des petites tours Eiffel achetées auprès des vendeurs à la sauvette.
Janvier 2028. À gauche, quelques tensions éclatent puisque la moitié des habitants souhaite que la nation adopte le drapeau algérien tandis que l’autre moitié souhaite qu’elle adopte le drapeau palestinien. On trouve finalement un compromis avec le drapeau houthiste. De son côté, la France de droite conserve le drapeau fasciste bleu-blanc-rouge.
Février 2028. La FDG découvre un problème : 100 % de sa population exerce une activité subventionnée, et plus personne ne travaille pour la subventionner. Il est décidé d’appliquer la taxe Zucman pour augmenter les recettes fiscales, mais personne n’y est éligible. Finalement, la FDG menace la FDD d’une invasion si elle ne lui envoie pas de l’argent.
Mars 2028. La FDG interdit l’utilisation de tout pesticide et consacre la moitié de ses terres agricoles à la récolte de cannabis. Pour l’instant, le pays ne produit qu’une cinquantaine de tomates et une centaine d’œufs par mois. Temporairement, la FDG accepte donc la nourriture de l’État fasciste (les camions de nourriture sont accueillis aux cris de « Free Palestine »), mais n’est pas dupe des intentions colonialistes de ce dernier.
Avril 2028. La France de gauche veut s’imposer sur la scène internationale. Son premier geste diplomatique est d’offrir une éolienne à l’Afghanistan.
Mai 2028. La France de gauche construit un mur pour empêcher les traîtres de se rendre à l’ouest. ■ SAMUEL FITOUSSI

Samuel Fitoussi, « Pourquoi les intellectuels se trompent » aux Éditions de l’Observatoire.