
« Le pire serait de céder, une fois de plus, à un libre-échange qui, sans limites et sans mesure. »
Par Jean-Philippe Chauvin.
Pendant la crise de régime française, la Commission européenne en profite pour avancer sur son calendrier libre-échangiste : si la France a, jusqu’à une période récente, dénoncé l’accord avec le Mercosur (constitué de cinq pays d’Amérique latine, un sixième – le Venezuela – étant suspendu depuis 2016), celui-ci est sur le point d’être ratifié par la plupart des pays de l’UE et imposé à ceux qui continueraient à ne pas en vouloir. La protestation des agriculteurs français, à travers leurs principales organisations syndicales, semble bien impuissante à enrayer cette marche en avant dont les conséquences seront terribles, autant pour les producteurs eux-mêmes que pour l’environnement (en particulier pour la forêt d’Amazonie, désormais condamnée à une disparition programmée « au nom du Développement » du Brésil et de ses voisins). Pourtant, cette protestation est tout à fait légitime et il n’est pas encore trop tard pour soutenir la résistance à ce traité : le pire serait de céder, une fois de plus, à un libre-échange qui, sans limites et sans mesure (1), s’avère en définitive bien plus antisocial pour les producteurs de base eux-mêmes que pour les grandes sociétés transnationales, leurs distributeurs et leurs actionnaires, toujours à la recherche d’un gain immédiat parfois tout autant qu’immoral.
Mais pendant que tous les regards sont tournés vers ce traité UE-Mercosur, un autre traité de libre-échange a été signé entre l’Union européenne et l’Indonésie le mardi 23 septembre à Denpasar, sur l’île de Bali, dans une discrétion remarquable malgré les enjeux sociaux et environnementaux, avec la promesse pour les Européens d’un accès privilégié aux matières premières stratégiques que sont le nickel et le cobalt, particulièrement en cette période de transition énergétique (qui n’a rien d’écologique, contrairement à la doxa contemporaine).

En fait, le souci n’est pas forcément là, mais bien plutôt dans les contreparties accordées à l’Indonésie, comme l’importation (sans droits de douane européens) d’huile de palme, pourtant responsable d’une déforestation accélérée et de la destruction d’une biodiversité déjà fort mal en point en Asie du Sud-Est et en Océanie : les orangs-outans, en danger critique d’extinction, risquent bien de faire les frais d’un accord qui « oublie » la question écologique pour ne se concentrer que sur les enjeux économiques, et cela est éminemment regrettable.
Certains pourraient évoquer l’éloignement de ce grand pays asiatique pour justifier l’inaction environnementale de notre pays sur ce dossier comme sur tant d’autres. Mais, aujourd’hui, c’est bien la Commission européenne, une fois de plus et sans doute pour ne pas gêner cet accord de libre-échange dans un moment où les pays européens cherchent des marchés et des débouchés pour pallier les barrières douanières d’outre-Atlantique relevées par M. Trump, qui propose de renoncer à l’entrée en vigueur de sa loi contre la déforestation, déjà reportée l’an dernier. Cette fois-ci, l’argument est technique : le système informatique censé surveiller les forêts lointaines n’est pas prêt, d’après la Commission… Il n’est pas interdit d’y croire mais il est tout à fait possible d’en douter, et ce « retard » arrange bien les affaires d’une Commission pressée de conclure un maximum de traités de libre-échange dans les prochains mois et années.
Ce qui est certain, c’est que l’écologie n’est pas une priorité pour une Commission qui, pourtant, s’en targuait hier pour imposer le passage des voitures thermiques aux voitures électriques (prévu intégralement et obligatoirement pour 2035), au détriment de toute stratégie automobile – y compris écologique – intelligente et durable… Il faudra bien un jour en tirer quelques conséquences, et élaborer enfin une politique écologique française qui sache concilier les intérêts économiques avec les nécessités écologiques, au-delà des clivages idéologiques et politiciens, et en finir aussi avec quelques hypocrisies et postures faciles qui font tant de mal à la noble cause de l’écologie réelle… ■ JEAN-PHILIPPE CHAUVIN
1. Ce terme de mesure peut être défini par la nécessaire tempérance face aux excès du libre-échange, non en empêchant tout échange, ce qui serait absurde et absolument contre-productif, mais en évitant tous ceux qui n’ont guère de raisons d’être, si ce n’est spéculatives. Est-il logique, par exemple, d’importer chez nous des kiwis de Nouvelle-Zélande qui doivent faire des milliers de kilomètres pour arriver dans les assiettes françaises quand ce fruit, très bien acclimaté dans notre pays, peut désormais être produit en grandes quantités dans nos vergers ?