
Dans les allées de Liverpool, on distribuait des drapeaux britanniques au public. Et le dirigeant travailliste a promis de conduire la Grande-Bretagne sur le chemin du « renouveau », « le drapeau à la main ».
Par Arnaud De La Grange.

Cette « analyse » d’Arnaud de La Grange est parue dans Le Figaro de ce 2 octobre. Elle confirme ce basculement que l’on voit monter dans toute l’Europe, comme on le voit se produire outre-Atlantique : rejet des « élites » en place, autrement appelé « dégagisme », et volontés identitaires fortes, notamment face à l’immigration de masse et au wokisme sous toutes ses formes, deux phénomènes destructeurs pour l’instant conjugués. Comme ceux qui nous ont longtemps seriné – y compris dans nos rangs – que l’immigration était un problème secondaire qu’il valait mieux ne pas mettre en avant, se sont trompés, ont manqué de sens politique et de réalisme ! Aujourd’hui : retour au Réel…
ANALYSE – Devant la poussée du parti de Nigel Farage, Reform UK, le premier ministre britannique reconnaît que son parti ne s’est pas assez attaqué aux vraies préoccupations des électeurs, au premier rang desquelles l’immigration.
Arnaud De La Grange est correspondant à Londres du Figaro.

L’aveu est déroutant, presque naïf et inquiétant de la part de politiciens élus et chevronnés. À l’occasion du Congrès annuel du Labour et alors qu’il est au plus bas dans les sondages, le premier ministre britannique a reconnu que son parti n’avait pas assez répondu aux vraies préoccupations des électeurs. Cette faillite vaut particulièrement pour le sujet de l’immigration. Le résultat en est la poussée spectaculaire du parti « populiste » de Nigel Farage, Reform UK.
Le parti de Nigel Farage, qui a fait du contrôle de l’immigration son cheval de bataille, est largement en tête dans les sondages, devançant de 12 points le Labour. Pour le gouvernement travailliste, Reform UK est désormais l’ennemi numéro un, le traditionnel adversaire conservateur étant relégué au rang de menace secondaire. Pour combattre efficacement Reform UK, a prévenu Starmer mardi, il faut s’attaquer à tous les problèmes sur lesquels il prospère.
Et le principal « problème » pour les Britanniques, les sondages le montrent, c’est l’immigration « incontrôlée ». Il y a quelques jours, Starmer a d’ailleurs battu sa coulpe. Dans le cadre du Global Progress Action Summit, réunissant à Londres des dirigeants internationaux de centre gauche, le premier ministre a invité ceux-ci à s’attaquer fermement à « l’immigration incontrôlée ». Il a reconnu que son gouvernement de gauche, comme beaucoup d’autres, avait trop longtemps été « réticent » à prendre en compte les préoccupations des électeurs sur l’immigration et à dire des choses « clairement vraies ». Déserter ce terrain, a-t-il reconnu, a fait le lit des partis « populistes ».
« Perturber ou être perturbé »
Starmer, pourtant, avait été prévenu. Dès son accession au pouvoir, à l’été 2024, son mentor en centrisme de gauche, Tony Blair, lui avait conseillé de préparer « un plan pour contrôler l’immigration ». « Les sujets culturels, autant si ce n’est plus que les sujets économiques, sont au cœur » de ce vote, avait alerté l’ancien premier ministre travailliste. Au début de l’année, une étude de son influent think-tank, le Tony Blair Institute, a averti que les partis traditionnels devaient « perturber ou être perturbés ».
Lasses de cette inefficacité, les classes populaires qui avaient voté pour le Brexit se tournent vers Reform

Depuis quelques semaines, Starmer multiplie les annonces attestant d’un durcissement de la politique migratoire. Il entend toutefois tracer une « ligne morale » avec Farage, qui selon lui répand une « huile de serpent » dans les esprits britanniques. Le premier ministre traite désormais le pionnier du Brexit de « raciste », dénonçant notamment la récente proposition de ce dernier de supprimer le titre de séjour permanent.
Solennellement, Starmer a déclaré que le pays était « à la croisée des chemins », devant « choisir entre la décence et la division ». Mais les commentateurs notent que ce discours n’est plus guère audible, que les électeurs sont las de ces déclarations récurrentes et grandiloquentes. Ils veulent des actes, des résultats. Or l’immigration clandestine atteint des niveaux records. Lasses de cette inefficacité, les classes populaires qui avaient voté pour le Brexit se tournent vers Reform. Pour ne pas laisser l’étendard patriotique dans les mains de la droite nationaliste, Starmer fait assaut de profession de foi sur ce sujet. Dans les allées de Liverpool, on distribuait des drapeaux britanniques au public. Et le dirigeant travailliste a promis de conduire la Grande-Bretagne sur le chemin du « renouveau », « le drapeau à la main ».
Profession de foi patriotique
S’il doit contre-attaquer à droite, Starmer doit aussi se garder sur sa gauche. De nombreux élus du parti doutent de plus en plus de sa capacité à mener le combat lors des élections générales de 2029. Et les prétendants à la succession, qu’il s’agisse du maire du Grand Manchester, Andy Burnham, ou de la ministre de l’Intérieur Shabana Mahmood, ne cachent pas leurs ambitions. Ces contestataires peuvent capitaliser sur le mécontentement de nombre de Britanniques face aux tentatives de réforme des aides sociales ou le maladroit gel des aides au chauffage pour les retraités. Sur le registre de l’économie, le premier ministre ne peut être accusé de se voiler la face et de promettre des lendemains radieux. « Si nous ne savons pas maîtriser les dépenses, nous ne sommes pas dignes de gouverner » a-t-il dit mardi.
À Liverpool, Keir Starmer s’est montré presque inhabituellement offensif. Il sait que la maison brûle et que le technocrate doit se muer en combattant s’il veut survivre. Selon les derniers sondages, il serait le premier ministre le moins populaire de l’histoire du pays. ■ ARNAUD DE LA GRANGE