
« En termes de contenu d’analyse politique c’est le néant. Un néant intégral, absolu et interstellaire. C’est faire honte à la France, aux étudiants et à la mythologie Star Wars. La triplette des offenses. Ce n’est même pas le début d’une analyse, ce ne sont que des phrases ChatGPT mollement accolées les unes à la suite des autres. »
Par Ophélie Roque.

Cette « humeur » est parue hier dans Le Figaro. Ce n’est pas, pour autant, une raison de la réputer bourgeoise, libérale ou libéralo-centriste… Ophélie Roque n’a pas ces pudeurs euphémisantes du grand quotidien du matin où elle s’exprime de temps à autre. Elle a du mordant, de l’esprit — insoumis, incorrect — et du bon sens. Bref, tout l’inverse d’Élisabeth Borne, à qui elle avait, en août dernier, réglé son compte. La voilà qui récidive aux dépens de Jean-Noël Barrot, qu’elle n’a pas raté, comme on dit, sans s’encombrer de trop de (fausses) bonnes manières. Voilà qui nous change des cuistreries ambiantes. Et l’on ne s’en plaint pas. JSF
FIGAROVOX/HUMEUR – Lors d’une conférence à Harvard, le ministre des Affaires étrangères démissionnaire s’est essayé à une analyse géopolitique inspirée de Star Wars pour le moins étonnante, raconte l’enseignante Ophélie Roque.
Ophélie Roque est professeur de français en banlieue parisienne. Elle a notamment publié Antisèches d’une prof. Pour survivre à l’Éducation nationale (Les Presses de la cité, 2025).

Les dirigeants politiques autoritaires « suivent un scénario très simple. Le script est toujours le même. Pas besoin d’étudier les sciences politiques à Harvard pour le comprendre. » Cette phrase fut justement prononcée devant un parterre d’étudiants à Harvard – qu’on devine un peu sidérés quand on voudra bien faire l’effort de se rappeler que les frais de scolarité s’y élèvent à près de 100 000 dollars – réunis pour écouter une conférence portant sur la chute des démocraties.
Le conférencier à l’œuvre n’étant autre que Jean-Noël Barrot, notre ministre démissionnaire des Affaires Étrangères. On ne peut reprocher à celui-ci une certaine audace d’ainsi débuter en insultant son public mais attendons de voir la suite de sa démonstration. Quel script se reproduirait à l’identique, similaire d’un siècle à l’autre et ceci peu importe la configuration des continents ?
« Tout réside dans le scénario de Star Wars. Quand Dark Sidious, le seigneur noir des Sith, transforme la galaxie d’une démocratie en dictature en quatre étapes simples et reproductibles. Et un sabre laser rouge. »
La promesse est là, un tantinet tarte à la crème mais pourquoi pas ? Je n’ai rien contre les études sociologiques menées à partir des nouveaux mythes créés par la Pop culture, on peut très bien piocher dans le contenu des univers fictionnels pour en sortir une analyse pertinente et étayée.
Analystes politiques, rentrez chez vous ! Ici, il n’y a rien à dire puisque ce n’est nul autre que l’éternel combat des forces du Bien contre les forces du Mal.
Alors certes Jean-Noël Barrot a tout de suite commencé par une feinte puisque sa première phrase, « le feu est allumé par les ennemis de la démocratie depuis l’extérieur. Les régimes autoritaires qui craignent la démocratie comme les vampires craignent la lumière du soleil », laissait penser qu’on allait avoir droit à une métaphore « vampiristique » avant que le ministre – décidément habile – ne change de genre et n’embraye du côté de la science-fiction plutôt que du fantastique. Mais reprenons le discours là où nous l’avions laissé.
« Étape un : identifier des proxies, se déguiser en sénateur de l’intérieur. Étape deux : encourager une fausse menace séparatiste interne. Étape trois : se débarrasser de l’Ordre Jedi, le contre-pouvoir ultime. Étape quatre : proclamer la fin de la République et brandir un sabre rouge. »
En termes de contenu d’analyse politique c’est le néant. Un néant intégral, absolu et interstellaire. C’est faire honte à la France, aux étudiants et à la mythologie Star Wars. La triplette des offenses. Ce n’est même pas le début d’une analyse, ce ne sont que des phrases ChatGPT mollement accolées les unes à la suite des autres. En termes de raisonnement explicatif, c’est court. Bien court, jeune homme ! Mais il reste toutefois un espoir, le ministre va peut-être s’apercevoir que tout ceci n’est pas sérieux et étoffer ses propos.
« Ce scénario n’est pas celui d’une fiction, regardez Vladimir Poutine ». Quelle brillante démonstration ! Tout à coup, l’entièreté de la complexité des enjeux politiques me saute aux yeux. Je comprends tout à force de n’y comprendre plus rien ! Il faut accepter de débrancher son cerveau et de se laisser porter par la petite mélodie. Poutine ne serait rien d’autre que l’avatar terrestre de Palpatine. Il n’y a rien d’autre à comprendre sur cette guerre qui ravage depuis près de quatre ans les terres ukrainiennes. Analystes politiques, rentrez chez vous ! Ici, il n’y a rien à dire puisque ce n’est nul autre que l’éternel combat des forces du Bien contre les forces du Mal.
Pour avoir suivi le plan en quatre étapes, Vladimir Poutine est ainsi parvenu à déstabiliser l’harmonie établie. Un peu déçue toutefois de constater qu’il ne se promène pas avec un sabre laser (rouge) attaché à la ceinture. Ceci apporterait pourtant un supplément de panache lors d’une charge menée à dos d’ours. Probablement un oubli de sa part, il faudrait avertir le Kremlin.
Mais soudain, sans qu’on nous explique en quoi et pourquoi, le régime maléfique est voué à la chute. « Poutine a-t-il réussi (à conquérir le monde) ? Non. Va-t-il réussir ? Certainement pas. Poutine échoue à progresser sur le terrain, tout comme il échoue à progresser dans les esprits ».
Si je comprends bien, seule la Force des Jedi permet de maintenir nos démocraties, le pouvoir de l’amour étant toujours plus fort que celui du Mal. Cela, il est vrai, valait bien les coûteux frais de déplacement. Que la force soit avec vous, padawan Barrot ! ■ OPHÉLIE ROQUE