
Par Aristide Ankou.
L’article, remarquable et stimulant, s’achève sur l’idée que le départ forcé d’Emmanuel Macron affaiblirait encore un exécutif déjà ébranlé par les réformes successives de la Constitution de la Ve République, toutes orientées dans ce même sens. C’est sans doute vrai. Une nouvelle dissolution ne résoudrait pas non plus, nécessairement, les blocages actuels. On peut objecter, non sans raison, que le maintien d’Emmanuel Macron, tel qu’il est lui-même, risquerait fort de causer des torts encore plus graves au pays. Le régime en est arrivé au point où tout ce qui découle de lui — de ses pratiques comme de son essence — est devenu inévitablement néfaste pour la France. JSF

C’est lors de ma première année à Sciences Po que j’ai découvert le droit constitutionnel. Discipline à laquelle j’ai immédiatement « accroché » et dont le goût ne m’a plus quitté depuis ce temps, maintenant lointain, de mon séjour rue Saint-Guillaume.

Notre professeur était Olivier Duhamel. Oui, celui-là même que les révélations de Camille Kouchner dans La Familia grande ont fait descendre de son haut piédestal. L’homme avait de la faconde et connaissait son sujet, malgré ses biais politiques évidents, et j’aimais assister à ses cours. Mais plus que le professeur déjà célèbre, celui qui m’a marqué fut notre chargé de travaux dirigés (à Sciences Po on dit « conférence de méthode », c’est plus chic), un inconnu du grand public, directeur de cabinet de quelque ministre de second ordre.
Ce grand commis de l’État nous a appris les vertus de la Cinquième République avec rigueur et méthode, et il était clair que son jugement se fondait sur une bonne connaissance du fonctionnement des régimes précédents.
Nous exposant un jour le parlementarisme rationalisé (c’est-à-dire toutes les dispositions constitutionnelles qui réduisent le pouvoir du Parlement et donnent au gouvernement la maîtrise du processus législatif), il répondit à l’un de mes condisciples, qui s’étonnait de cette camisole de force passée au Parlement :
« Vous savez, je connais ces gens-là (à savoir les parlementaires) : on ne peut absolument pas leur faire confiance. »
C’était dit très tranquillement et très posément, comme on énonce une vérité d’évidence.
Je ne sais pas exactement pourquoi cette parole m’a marqué ce jour-là. Ce que je sais simplement, c’est que tout ce que j’ai pu apprendre et comprendre depuis m’a confirmé que son jugement était sûr.
En effet, il est totalement déraisonnable de faire confiance à un Parlement pour gouverner une nation ou, plus largement, pour se comporter de manière « responsable ». Un Parlement est un être collectif, et un être collectif n’a ni honte ni remords, ni sens de l’honneur, ni souci de sa réputation. Les individus qui le composent, oui, mais le propre du collectif est justement de rendre ces sentiments largement inopérants en chacun.
Comme le dit très bien James Madison : « Si chaque citoyen athénien avait été un Socrate, chaque assemblée athénienne n’aurait encore été qu’une foule. »
Le danger est d’autant plus grand en démocratie que le Parlement est irrésistiblement tenté de se prendre pour l’incarnation de la nation et d’oublier que la « représentation » suppose précisément une différence irréductible entre l’objet et son image.
Ce à quoi nous assistons actuellement n’est que le fonctionnement normal d’un Parlement livré à lui-même, sans un pouvoir exécutif fort pour discipliner ses délibérations et rabattre son orgueil.
Ceux qui voient dans cette libération du Parlement un « progrès de la démocratie » n’ont aucune idée juste de ce qu’est réellement une démocratie et des conditions de sa perpétuation.
Le Parlement a renversé les digues que la Cinquième République avait sagement érigées pour canaliser ses ardeurs et contenir ses débordements. Il les a renversées parce que le fondement de ces digues, c’est la vigueur du pouvoir exécutif, et que cette vigueur du pouvoir exécutif dépend de son lien avec la nation. Le pouvoir exécutif ne peut être politiquement fort, dans une démocratie comme la nôtre, que s’il manifeste en actes sa capacité à la fois à guider la nation et à agir pour elle, à prendre à bras-le-corps les problèmes qu’il aura désignés comme cruciaux et qui auront été reconnus comme tels par le sentiment général. S’il n’a plus cette capacité, il n’est plus fort : il est simplement pesant, tracassier et prédateur.
Cette articulation entre une nation qui veut se gouverner elle-même et un gouvernement qui est à la fois l’instrument de cette volonté et la condition de son existence a été attaquée et démantelée de toutes les manières possibles : au nom de la « construction européenne », au nom de « l’État de droit », au nom du « progrès », au nom de « l’humanité », etc.
Emmanuel Macron, ayant pris une part très active à ce processus de démantèlement, il est juste qu’il en souffre aujourd’hui les conséquences — qu’il en souffre tout court, dans son ambition et dans la très haute idée qu’il a de lui-même.
Mais il faut ajouter que ni son départ ni une nouvelle dissolution ne résoudraient le problème. Il est même probable que cela ne ferait qu’aggraver une situation déjà fort grave. ■ ARISTIDE ANKOU
* Précédemment paru sur la riche page Facebook de l’auteur, (le 7 octobre 2025).
Aristide Ankou

Le départ de Macron serait la solution pour obtenir un pouvoir exécutif fort, au moins avoir une chance de l’obtenir?
Macron se pense très intelligent, il a d’ailleurs amené au pouvoir par des gens qui se pensaient de même, Attali, Minc, etc mais l’intelligence ne vaut que par les valeurs au service desquelles elle se met. Quelles sont les valeurs des ci-dessus? Européisme, multiculturalisme, négation de leur histoire, refus de leur passé, de la nation!