
Une stratégie du surplomb qui séduit une opinion publique épuisée et conforte le parti en tête des sondages.
Par Jules Torres.

Cet article est paru hier, 11 octobre, en fin de soirée, dans le JDD. Le « surplomb » qu’affichent Marine Le Pen et Jordan Bardella est de bonne guerre et de tactique appropriée au dégoût qu’inspire le monde politique établi, égoïste, violent, déchiré, menteur, manœuvrier, lamentable au-delà de toute décence. Pierre Boutang, autrefois, aurait hurlé sans ambages : « Dégueulasse ! » Et les Français en disent autant. Rien n’assure toutefois que ce rejet presque unanime suffise à faire s’effondrer un régime aussi incompétent à gouverner qu’habile pour s’accrocher aux privilèges du pouvoir. JSF
MAÎTRISE. En pleine crise politique, Marine Le Pen et Jordan Bardella choisissent la distance. Tandis que le pouvoir s’agite à Paris, le RN cultive le calme, la rareté et une image de stabilité. Une stratégie du surplomb qui séduit une opinion publique épuisée et conforte le parti en tête des sondages.

« Le RN a tout compris : il est sur le terrain, auprès des Français, pendant que nous, on assiste à des scènes de cirque à l’Élysée », soupire un ministre de poids frappé du contraste de vendredi dernier. Quand Emmanuel Macron réunit, à l’Élysée, la quasi-totalité des partis – du Parti communiste aux Républicains – pour une réunion de la dernière chance, Marine Le Pen choisit la province. Direction Le Mans et le congrès national des sapeurs-pompiers, loin des conciliabules parisiens. Elle dénonce un « spectacle affligeant, désespérant, pathétique », en visant les tractations du palais. Dans cette scène en deux tableaux, tout est dit : pendant que le pouvoir s’épuise à Paris, le RN reste à distance, cultivant son lien avec les Français.
La méthode est désormais bien rodée au RN. Depuis des mois, Marine Le Pen et Jordan Bardella cultivent la retenue, soucieux de ne pas être éclaboussés par le combat de boue politicien. Là où leurs adversaires saturent l’espace médiatique, les deux têtes du RN pratiquent la rareté. Jamais de réaction à chaud ou de surenchère inutile. Quand La France insoumise hurle à la destitution du président, le parti frontiste, soucieux de ne pas être perçu comme acteur du désordre, évoque la dissolution à voix haute et la démission à voix basse. Cette sobriété tranche avec l’agitation générale. Et les électeurs, lassés du vacarme, y voient la promesse d’un changement de ton. « Notre force, c’est la distance. Dans un pays épuisé, il faut rester en dehors du vacarme pour incarner la stabilité », confie un stratège du RN. Pas question, dit-il, de se mêler au désordre : mieux vaut en tirer les dividendes.
En cas de législatives anticipées, le bloc RN-alliés caracolerait en tête, autour de 33 à 34 %, selon un sondage OpinionWay
Les chiffres lui donnent raison, à mesure que le nom d’Emmanuel Macron suscite lassitude et rejet dans le pays. Selon le sondage CSA, 61 % des Français souhaitent la démission du président – un niveau inédit. Ils sont encore plus nombreux à réclamer une dissolution. Et en cas de législatives anticipées, le bloc RN-alliés caracolerait en tête, autour de 33 à 34 %, selon un sondage OpinionWay. Semaine après semaine, Marine Le Pen et Jordan Bardella grignotent du terrain sur leurs adversaires : le macronisme s’est vidé de son énergie, la droite classique se cherche, la gauche se replie sur ses fractures. Le RN ne se contente plus de rassurer : il cherche désormais à convaincre, des électeurs hésitants, encore rétifs mais écœurés par le spectacle du pouvoir. ■ JULES TORRES