
Par Laurent Làmi.
Cette publication n’est pas un article. Mais la transcription d’une conférence donnée dans le cadre d’un pôle formation de la jeune génération d’Action française. Ce sont donc des pistes de réflexion, des vues d’avenir, qui y sont ouvertes et mises en discussion. Ce texte en 5 parties paraîtra « en feuilleton » au fil de la semaine, à dater de ce jour. JSF

Qu’est-ce que la société thermo-industrielle ?
La société actuelle peut être qualifiée de société thermo-industrielle dans la mesure où ses fondements, son fonctionnement entier, reposent sur l’utilisation d’énergies fossiles (pétrole, charbon et gaz).
Tout notre monde actuel est mû par ces énergies, des besoins primaires (se chauffer, se ventiler, se nourrir, boire, se loger) aux besoins purement artificiels dont font partie les divertissements, en passant par les secteurs de productions évidemment.
Alors vous me direz, en France nous avons assez de centrales nucléaires pour se chauffer, s’éclairer et approvisionner en électricité les usines, villes et centres commerciaux.
Mais comment construit-on des centrales nucléaires ? Il faut du béton, il faut des transports, des terrassements, des composants, des assemblages. Les applications du pétrole vont au-delà du chauffage et de l’ampoule électrique : il permet de goudronner nos routes, de produire les sachets et emballages des produits de magasins, des jouets, des sacs, des tables, il sert d’isolant et de carburant pour voitures, avions, porte-conteneurs ou porte-avions, de structure ou de support pour nos ordinateurs et leurs composants, ou même de brosse à dents. Le pétrole c’est la société thermo-industrielle, et la société thermo-industrielle C’EST la modernité.
Cette société permet également l’artificialisation de l’environnement, la rationalisation de l’espace, opérée par la modernité, et ainsi la création des grandes villes modernes. Bien sûr, la gestion des forêts, l’expansion urbaine et les villes sont antérieures, et notamment les grandes villes de consommation comme nous l’avons montré dans une précédente conférence sur Werner Sombart. Mais la différence est quantitative et esthétique. Quantitative tout d’abord parce que, là où ces villes ne concentraient que 20 % de la population en France (en 1800), aujourd’hui elles en rassemblent 80 %, pour une population totale bien supérieure. Ensuite, ce qui change c’est la vitesse d’artificialisation du monde, matérialisée par l’étalement urbain, mais aussi le rejet des déchets. Enfin l’esthétique : la beauté a (presque totalement) disparu de ce monde moderne pour laisser la place à la rapidité, à l’efficacité d’exécution. La valeur ce n’est plus la beauté du bâtiment et la noblesse de ses matériaux, mais les économies qu’on a réussi à faire sur sa construction. Mieux vaut dire « j’ai fait une affaire » que « j’ai produit une œuvre d’art ». Le naturel, le « sauvage » (dans le sens de chose sauvage en général) qui constitue, par essence, l’imprévu, le risque, l’absence de contrôle, a disparu pour ne laisser place qu’à des substituts folkloriques et ludiques.
Il y a d’ailleurs un moyen simple de montrer que la nature sauvage a disparu :
Maintenant on la recherche, sous forme de treks, de randonnées, d’expéditions en Arctique, de voyages en Sibérie, d’immersion dans la vie de trappeur au Canada ou d’expérience de survie en Amazonie. À l’inverse, dans un monde sur lequel pèsent de tout leur poids les aléas de la nature, l’homme va chercher bien davantage à s’en extraire, à survivre en recherchant le contrôle de son environnement.
On ne « profite » de la nature que lorsqu’on la contrôle, quand celle-ci est devenue un objet de consommation ne remettant pas en cause l’équilibre et les valeurs du système.
Ainsi donc, la modernité, appuyée sur la manne des énergies fossiles, a organisé l’espace pour le contrôler, dans un objectif de sécurité et de praticité.
Dans le même but, elle a réduit le temps, elle l’a contracté jusqu’à le réduire à l’instant : les communications sont passées en 200 ans des estafettes à cheval qui parcouraient des kilomètres, aux boîtes mail et aux réunions Zoom ! Les transports, en plus d’être plus rapides, sont ponctuels (sauf la SNCF qui n’a pas compris le concept). On peut prévoir et anticiper le temps de notre trajet. Imaginez qu’entre l’Empire romain et la Révolution française, on passe simplement du char à la calèche, alors que, 172 ans après la prise de la Bastille, on envoie le premier homme dans l’espace (1961, Youri Gagarine). Croissance du système industriel. Rationalisation de la production, de l’espace et du corps social. Vitesse, performance, praticité.
Mais allons plus loin. La disponibilité en énergie façonne également nos mentalités, notre anthropologie et nos systèmes politiques. En effet, je reprendrai les mots de Jean-Marc Jancovici, qui décrit la démocratie moderne comme reposant sur des millions d’esclaves mécaniques qui produisent les ressources nécessaires à nos commodités. On peut en effet avancer que la démocratie, pour réaliser la liberté et l’égalité entre ses citoyens (qui ont donc une responsabilité dans la communauté), doit s’appuyer sur l’esclavage d’un grand nombre de personnes qui récoltent, assistent, servent les citoyens occupés à l’exercice de leur liberté. Hier, les barbares de Thrace, vendus sur la Chora de l’Athènes de Périclès, ou l’Africain vendu au planteur de l’Amérique esclavagiste, aujourd’hui ; les moissonneuses-batteuses, les engins de chantier, les camions, les grues portuaires, les tankers… etc.
L’égalité des individus entre eux, et leur émancipation de droit, nécessite la constitution d’une armée d’esclaves pourvoyant aux besoins des désormais citoyens. L’égalité citoyenne et l’émergence d’une classe moyenne, nécessaire à la démocratie, requiert l’arrachement à la terre. Car, malheureusement ou heureusement, la nature est, de fait, inégalitaire. Il s’agit donc de s’arracher à ses vicissitudes pour pouvoir accéder à l’égalité.
[Les relations hommes-femmes sont également bouleversées.]
Les femmes ont également largement profité de l’avènement de la société de croissance pour changer de conditions, comme l’a montré Véra Nikolski dans son « Feminicène » où elle montre que le combat féministe aura été la seule lutte n’ayant bizarrement jamais rencontré de résistance… La tertiarisation et l’atomisation sociale ont en fait largement contribué à faire progresser la condition des femmes pour les rendre disponibles sur le marché du travail et de la consommation.
Encore une fois : optimisation du système.
Sans machines, sans automatisation de la production, et donc sans pétrole, les femmes des classes moyennes et ouvrières ne peuvent pleinement intégrer la nouvelle division du travail, dominée par les métiers physiques et usants. Taper sur un clavier, ou faire la caisse du Décathlon de Plan de Campagne est bien sûr beaucoup moins fatigant, vous le concéderez, que de devoir souder une coque de bateau dans les chantiers navals de La Ciotat.
Ainsi, notre société entière repose sur une potion magique qui nous assure confort et abondance, longévité et sécurité. Néanmoins, la nature même de cette société pose plusieurs questions : est-elle (elle et ses conséquences) souhaitable et raisonnable du point de vue politique ? Est-elle adaptable et modulable ? Comporte-t-elle des limites, et si oui lesquelles ? Et quels points de vue avons-nous dessus ?
Je vous propose donc d’explorer les limites de la société thermo-industrielle, support du monde moderne :
1. La société thermo-industrielle produit un système technologique total qui aliène l’homme.
2. Limites physiques.
3. Quelle opinion avoir ? Quelle conception politique ? (À suivre) oo■oLAURENT LÀMI