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Par Vincent COUSSEDIERE, Quentin Rousseau.
BREF COMMENTAIRE – Force est de constater que dans la presse et les médias en général, on trouve peu pour ne pas dire pas de réflexions qui prennent de la hauteur face aux péripéties de la crise en cours — que la France subit de plein fouet du fait du retour du régime des partis. Ce sont en effet les péripéties qui dominent par esprit partisan, ou par recherche de l’audimat selon qu’on se situe d’un côté ou de l’autre de ces forces en action. Cet entretien échappe un peu à la règle. Règle de médiocrité. Et voit un peu plus loin que l’échec annoncé de Lecornu, les humeurs rivales de Wauquiez et Retailleau, ou les indécentes contorsions du misérable Olivier Faure. Sans oublier les folies écolos et les fureurs robespierristes des autres. Cet entretien sort de ce registre. Il peut même susciter un sain débat. Les lecteurs de JSF le feront s’ils le souhaitent. JSF
Vincent Coussedière est professeur agrégé de philosophie. On lui doit notamment Éloge du populisme (éd. Elya, 2012), Le Retour du peuple (éd. du Cerf, 2016) ainsi qu’Éloge de l’assimilation (éd. du Rocher, 2021). Son prochain essai, à paraître le 22 octobre aux éditions La Nouvelle Librairie : Marine Le Pen comme je l’imaginais.
ENTRETIEN. La crise politique qu’a suscitée la démission du Premier ministre Sébastien Lecornu a mis en lumière plusieurs dynamiques de fond, au premier rang desquelles une dépossession politique généralisée. Pour Vincent Coussedière, professeur agrégé de philosophie, nous sommes dans une situation pré-révolutionnaire : un sursaut politique est indispensable si l’on veut éviter le naufrage dans les eaux troubles de l’impuissance.

Front Populaire : Au terme d’une séquence politique chaotique, Sébastien Lecornu démissionne le 5 octobre, à peine 14 heures après l’annonce des membres de son gouvernement. Comment interprétez-vous cette décision ?
Vincent Coussedière : Sébastien Lecornu et Emmanuel Macron s’acharnent à poursuivre jusqu’au bout une logique très « Quatrième République » au coeur de la Cinquième. Renoncer au 49-3, mettre le budget et la viabilité d’un futur gouvernement dans les mains de l’Assemblée et des partis tout en se plaignant que ceux-ci soient incapables de faire des compromis et de s’entendre, n’est pas très sérieux.
Comme d’habitude, on se lamente d’une situation qu’on a soi-même créé en ne démissionnant pas après une dissolution ratée et on renverse une responsabilité qu’on refuse d’endosser en faisant la morale aux partis et aux députés. Qu’est-ce qui a changé dans la situation depuis la chute de Bayrou pour qu’un nouveau gouvernement soit viable ? Rien. Il est donc logique que le château de cartes Lecornu s’effondre immédiatement.
L’impuissance du gouvernement possède à la fois des causes internes, par l’absence de majorité au Parlement, et externes, par la soumission aux règles européennes.
Front Populaire : Depuis la dissolution de 2024, le bloc central s’est contracté sur son noyau idéologique centriste-libéral-européiste, en gouvernant tant bien que mal au prix de discrètes concessions à droite à gauche, pendant que sa popularité plongeait. Que faut-il retenir de cette double dynamique ?
Vincent Coussedière : Vous êtes gentil en disant que le bloc central a gouverné. Il a surtout géré les affaires courantes et fait semblant de gouverner en s’agitant beaucoup en termes de communication. Que ce soit du côté droit avec Retailleau et Darmanin, sans que des résultats véritables soient obtenus sur l’immigration, l’insécurité et la justice, ce qui est logique puisque toute mesure efficace impliquerait de rompre avec l’Union européenne. Que ce soit du côté du centre avec Jean-Noël Barrot, François Bayrou ou Emmanuel Macron lui-même qui se sont beaucoup agités sur l’international et sur la dette, là aussi pour rien en termes de résultats.
Cette impuissance du gouvernement possède à la fois des causes internes, par l’absence de majorité au Parlement, et externes, par la soumission aux règles européennes. La baisse de popularité est la conséquence de cette impuissance. Les Français constatent que les politiques se font de plus en plus les commentateurs d’une réalité qu’ils sont impuissants à transformer. C’est pourquoi le discours de Darmanin sur le fait qu’il n’y a plus de lieu « safe » en France ou de Bayrou sur la dette ne peuvent plus passer. Les politiques dénoncent une réalité dont ils sont eux-mêmes responsables, depuis le temps qu’ils sont au pouvoir. Ils ne semblent même plus se rendre compte de cette contradiction, pourtant éclatante aux yeux des Français.
Il y a bien longtemps que l’élection présidentielle dont le sens était de faire émerger un homme « au-dessus des partis » a été récupérée par ceux-ci.
Front Populaire : Si tout est encore un peu brumeux à l’heure qu’il est, l’impossibilité à trouver un terrain d’entente au sein de l’assemblage gouvernemental semble avoir été le déclencheur de cette décision. Le “régime des partis”, critiqué en son temps par De Gaulle, est-il une cause ou une conséquence de la cacophonie politique actuelle ?
Vincent Coussedière : Le paradoxe est que Macron qui prétendait par son « et en même temps » transcender les clivages partisans, a donné aux partis un pouvoir de nuisance plus grand qu’il ne l’a jamais été sous la Cinquième République. Ce retour du régime des partis s’est accéléré mais n’est cependant pas nouveau et Emmanuel Macron n’en n’est pas l’origine. Il n’a fait que le conduire à son terme. Il y a bien longtemps que l’élection présidentielle dont le sens était de faire émerger un homme « au-dessus des partis » a été récupérée par ceux-ci. Les partis s’étant adaptés en se transformant en « écuries présidentielles », en « mouvements » obsédés par la présidentielle voire créés uniquement pour celle-ci. De Gaulle lui-même avait anticipé la possibilité d’une telle évolution lorsqu’il décida la réforme de l’élection du président de la République au suffrage universel. Voici ce qu’il déclarait à Michel Droit :
« Les institutions, une Constitution, c’est une enveloppe. La question est de savoir ce qu’il y a dedans. Nous avons fait, j’ai proposé au pays de faire la Constitution de 1958, après les drames que vous savez et dans l’intention – que d’ailleurs j’avais annoncée de la façon la plus formelle et la plus publique – de mettre un terme au régime des partis. Il s’agissait d’empêcher que la République, l’État, fût, comme il l’était avant, à la discrétion des partis. C’est dans cet esprit que la Constitution a été faite, et c’est dans cet esprit que je l’ai proposée au peuple, qui l’a approuvée. Je suis sûr qu’il l’a approuvée dans cet esprit. Alors si malgré l’enveloppe, malgré les termes, malgré l’esprit de ce qui a été voté en 1958 les partis se réemparent des institutions, de la République, de l’État, alors, évidemment, rien ne vaut plus I On a fait des confessionnaux, c’est pour tâcher de repousser le diable ! Mais si le diable est dans le confessionnal, alors cela change tout ! Or, ce qui est en train d’être essayé c’est, par le détour de l’élection du président de la République au suffrage universel, de rendre l’État à la discrétion des partis. ».
Nous y sommes, et la tentative de De Gaulle a, sur ce point, échoué.
Front Populaire : La Ve République, c’est une Constitution mais aussi une certaine approche de l’exercice du pouvoir ; à la fois une lettre et un esprit. On sait bien que des réformes (instauration du quinquennat en deux mandats consécutifs, alignement des calendriers électoraux, etc.) ont malmené l’un comme l’autre – tout comme l’abandon de fait du référendum. Quelle est selon vous la part de responsabilité de la classe politique dans ce dérèglement institutionnel ? Faut-il voir dans l’actuelle Ve République autre chose qu’un “césarisme sans César”, pour reprendre la formule de Gramsci ?
Vincent Coussedière : Oui, on pourrait ajouter à la liste de démolition de l’esprit et de la lettre de Ve République la banalisation de la pratique de la cohabitation par Mitterrand et Chirac, la trahison par Sarkozy du vote des Français de 2005 contre le Traité de constitution pour l’UE qu’il fait revenir en 2007 par le Parlement (renommé Traité de Lisbonne), comme les multiples modifications du texte même de la Constitution qui l’ont alourdi et défiguré.
De Gaulle avait conscience, comme nous l’avons dit avant, que les institutions ne sont rien sans les hommes qui en font vivre l’esprit et qu’elles pourraient être contestées de l’intérieur par ceux qui devraient en être les garants, à commencer par le chef de l’État. Voici ce qu’il disait à Alain Peyrefitte concernant l’attitude d’un président après une dissolution : « Dites-vous, Peyrefitte, qu’il y a deux sortes d’élections législatives. Ou bien elles viennent à leur heure (…). Ou bien, les élections ont lieu après une dissolution, en raison d’une divergence entre le président et l’Assemblée. Chacun des deux doit s’en expliquer devant le corps électoral. Alors, si le président est désavoué par le peuple, il doit évidemment s’en aller, qu’il l’ait ou non annoncé. Sinon quelle figure aurait-il ? ».
Nous savons qu’il a aujourd’hui la figure d’Emmanuel Macron. Celle, peu enviable au regard de l’Histoire, d’un président qui s’est acharné à gouverner et à se maintenir au pouvoir contre l’esprit des institutions, jusqu’à convaincre – si ce n’est la majorité des Français, du moins celle des commentateurs – que ce sont elles qui sont en cause et d’où viennent tous nos malheurs.
Cette démolition de l’esprit de la Ve a été encouragée par des partis avides de retrouver des places à l’Assemblée, quelle que soit la situation à la tête de l’État. Le Rassemblement national a poussé au scénario de la dissolution en 2024, tout en sachant que le président n’en tirerait pas les conséquences et ne démissionnerait pas, quelle que soit la recomposition de l’Hémicycle. Il le refait aujourd’hui, se plaçant dans une perspective de cohabitation. Quant au parti Les Républicains, sa conception d’une participation à un gouvernement dont on dit publiquement qu’on ne partage pas les orientations laisse rêveur. Rappelons encore ce que disait de Gaulle à Peyrefitte pour monsieur Retailleau qui se dit gaulliste : « Le premier de tous les principes de commandement de la société, c’est celui de la solidarité gouvernementale ». Ne parlons pas de la gauche qui ne cesse de réclamer le poste de Premier ministre tout en incendiant Macron de l’autre côté.
Nous sortirons de la crise lorsque de véritables hommes ou femmes d’État qui ne méprisent pas le peuple et sont capables d’inventer des solutions réapparaîtront.
Front Populaire : Les mots “dissolution” (de l’Assemblée nationale) et “démission” (du chef de l’État) ont fait leur retour en force dans le débat public. Ces deux options peuvent-elles nous faire sortir de l’impasse actuelle ?
Vincent Coussedière : Je pense qu’une sortie de l’impasse ne se fera pas d’un coup de baguette magique et les deux scénarios sont problématiques parce qu’ils risquent de ne pas donner les conditions d’un sursaut politique. Pour le comprendre, il faut prendre toute la mesure de la situation dans laquelle se trouve le pays, celle d’un Titanic qui prend l’eau de toute part. Ce n’est pas seulement l’équipage qu’il faudra changer mais le bateau lui-même pour y faire de nouveau remonter le peuple afin qu’il puisse poursuivre son aventure. La situation est pré-révolutionnaire et pour éviter qu’elle ne bascule dans la violence et n’accouche d’une situation encore pire nous avons besoin de réussir une forme de « révolution » au sein même des institutions. Comme le Général de Gaulle su le faire en 1958.
Mais aujourd’hui, il ne s’agirait pas de créer une nouvelle République mais de refonder la Ve dans sa lettre et dans son esprit. Il s’agirait d’une sorte de « révolution conservatrice » qui permettrait de refaire de l’État l’instrument de la souveraineté du peuple. Un tel projet ne peut se construire qu’à l’occasion d’une présidentielle. En effet, pour y préparer l’opinion, il faut la durée d’une campagne normale qui ne soit pas empoisonnée par un climat d’urgence volontairement entretenu par certains. La démission n’offrirait pas ce climat. La dissolution aurait le mérite de donner du temps au temps mais ouvrirait le piège de déboucher sur une situation de cohabitation. Le RN, qui en ressortirait très probablement vainqueur, ne pourrait engager une politique qui soit une véritable alternative pour le pays, car il aurait très peu de marge de manœuvre, coincé entre le président et l’Union européenne, un an et demi avant la présidentielle. Lors de celle-ci, il ne pourrait échapper à son maigre bilan, même si, bien sûr, il tenterait alors de le faire porter à la mauvaise volonté d’Emmanuel Macron. Significativement d’ailleurs, le RN ne se présente plus comme un parti d’alternative mais comme un parti d’alternance ! A-t-il déjà entériné son futur échec puisqu’il a lui-même renoncé à mettre en cause les traités européens ?
Front Populaire : Nous assistons à ce qui ressemble aux derniers hoquets du macronisme politique, qui s’est en partie fondé sur le rejet par principe du populisme. Un populisme (bien compris) peut-il être une solution pour débloquer cette crise de la démocratie ?

Vincent Coussedière : Le populisme tel que je l’ai redéfini dès 2012 comme « populisme du peuple » n’est pas une « solution » car il n’est pas une politique. Il est l’exigence du retour d’une politique au sens noble du terme. Nous sortirons de la crise lorsque de véritables hommes ou femmes d’État qui ne méprisent pas le peuple et sont capables d’inventer des solutions réapparaîtront. Et pour cela, ils devront d’abord refonder un État qui soit véritablement légitime et souverain. Le populisme n’est pas le rejet des élites mais la recherche de nouvelles élites qui soient au service du peuple et ne gouvernent pas contre lui.
Le RN, en la personne de Marine Le Pen ou en son absence, si elle ne peut se représenter, pourra-t-il incarner cette nouvelle offre politique ? Je tâche de répondre à cette question dans mon prochain livre, Marine Le Pen comme je l’imaginais. ■
Propos recueillis par Quentin Rousseau.
Vincent COUSSEDIERE, Quentin Rousseau
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Aimable bavardage, enrichi de citations bien choisies. Du déjà lu, ici ou ailleurs des centaines de fois.
Ils parlent si bien : « Les Français constatent que les politiques se font de plus en plus les commentateurs d’une réalité qu’ils sont impuissants à transformer »
Celui qui le dit, c’est lui ! Philosophes, essayistes ou journalistes « Les Français constatent qu’ils ne sont que les commentateurs des commentateurs ou, principalement dans l’audiovisuel, les metteurs en scène de cette impuissance bavarde. Gardez vos mains dans vos poches, c’est le meilleur moyen de ne pas les salir! Tels ceux qui, au foot, de passionnent pour les « faudrait que » en agitant des écharpes.
Le peuple, lui, attend des buteurs, des gardiens, des défenseurs, des passeurs, de vrais attaquants …des noms donc , des choix clairs, pas ce jeu de baballe en chambre.
Commençons par un minimum d’honnêteté : Vous effacez les propos de de Gaulle sur les élections législatives « qui viennent à leur heure ». On comprend donc que votre premier souci est d’éviter la « cohabitation ». Ce mot est une invention des politiciens de seconde zone et de leurs metteurs en scène. Loin d’être un cauchemar à éviter à tout prix, ainsi que l’a fait Chirac avec son quinquennat, elle est strictement conforme à l’esprit de la Vème République. C’est ce que dit de Gaulle et que vous occultez. Il m’a d’ailleurs semblé, à l’appui de ce que disait le Général, que le peuple respirait mieux pendant les épisodes de « cohabitation » que nous avons connus. Alors les institutions et le peuple étaient tous les deux respectés.
Encore une preuve que le naufrage de notre Titanic, le paquebot France, doit beaucoup à ce type d’omissions, d’escamotages intellectuels, bien calibrés. Vaste sujet !