
Outrage au camp du bien
Par Didier Desrimais*.

Les lecteurs qui nous reprochent d’accorder trop d’importance au cas France Inter, et plus largement aux médias du service public, sous prétexte qu’« il suffit de tourner le bouton », raisonnent en parfaits individualistes, hors du champ politique et sans souci du Bien commun.
Non, le sujet est important. Il touche à la tyrannie de la bien-pensance gaucho-wokiste et au formatage des Français à ces idéologies.
Cet article est paru dans Causeur le 4 de ce mois. Didier Desrimais, selon sa méthode, décortique avec grande précision le feuilleton d’un scandale qui, pour une fois, a mis fortement en cause les tenants d’un Système encore très puissant et particulièrement destructeur. Sa destruction s’impose. JSF
Ébranlées par «l’affaire Legrand/Cohen», Radio France et France Télé se sont vite ressaisies pour dénoncer le coupable: la fachosphère. Retour sur un scandale politico-médiatique qui a sorti l’audiovisuel public de sa zone de confort.

3 septembre. Un jour comme un autre sur France Inter. Dans le studio de « La Grande Matinale », l’émission d’information la plus écoutée du pays, avec 5 millions d’auditeurs, Patrick Cohen s’apprête à prononcer son éditorial politique. En cette rentrée chargée, il y a beaucoup d’événements à commenter. Tout le monde a compris que le gouvernement Bayrou tombera dans quelques jours. Mais Emmanuel Macron dissoudra-t-il l’Assemblée nationale dans la foulée ? Marine Le Pen, maîtresse du jeu, y a-t-elle intérêt ? Jean-Luc Mélenchon réussira-t-il à récupérer le mouvement « Bloquons tout », qui annonce une journée d’action le 10 septembre ? L’Histoire se souviendra-t-elle du passage fugace du maire de Pau à l’hôtel Matignon ? Peut-être un peu trop franco-français tout cela. Pour élever le niveau, le castor en chef de la radio publique a trouvé un angle original. Ce matin, il va se désoler que « l’extrême droite » soit « une idée qui fait son chemin en Europe ».
Cohen se lance : « Dans les trois premières économies d’Europe, en Allemagne, en France et au Royaume-Uni, le mécontentement est tel que l’extrême droite anti-immigration arrive en tête des sondages. » Manière habile d’amalgamer le RN français et l’AfD allemande… Puis l’ancien animateur de RTL et Europe 1 explique pourquoi tant d’Européens se tournent vers les partis populistes. Que l’on se rassure, il ne dira pas un mot de la réalité, de la montée de l’insécurité, des flux de migrants incontrôlés, du péril islamiste. Car il a une toute autre analyse : si l’extrême droite monte, c’est qu’elle a su « imposer son récit » sur l’immigration. Comprenez : Marine Le Pen mystifie ses électeurs.
Le soir, sur le plateau de « C à vous » (France 5), le journaliste se détend un peu en écoutant la chronique « humoristique » de Bertrand Chameroy, comique subventionné qui, le matin même sur France Inter, s’est moqué du député RN Julien Odoul. Cette fois, M. Chameroy vise – tiens, comme c’est bizarre ! – Éric Zemmour. Tandis qu’Anne-Élisabeth Lemoine glousse, Pierre Lescure tente de s’arracher un sourire : sans doute a-t-il encore à l’esprit le fait d’avoir dû renoncer, suite à une méchante cabale alimentée par Libération, à une émission de débat hebdomadaire sur Sud Radio avec Maud Koffler, une journaliste qui a eu l’audace, que dis-je, l’outrecuidance, de travailler pour Boulevard Voltaire et Radio Courtoisie.
Pierre Lescure a tenu à récuser toute pression extérieure, en particulier de la société Mediawan, qui produit justement « C à vous » et compte dans son tour de table l’homme d’affaires Matthieu Pigasse. Soutien du NFP, propriétaire des Inrockuptibles et de Radio Nova, actionnaire du Monde et du HuffPost, ce dernier a pourtant récemment déclaré dans Libération vouloir mettre les médias qu’il contrôle « au service d’une conception ouverte du monde, progressiste ».
4 septembre. « Le RN ne fait plus peur » aux patrons, s’alarme M. Cohen sur France Inter. Même si ce parti « a fait se dresser contre lui l’an dernier un barrage de 17 millions d’électeurs ». Et pour cause… Lors des dernières élections législatives, l’audiovisuel public a ardemment participé à la propagande contre l’« extrême droite », aux délires sur le retour des heures sombres, du nazisme et de la peste bubonique. Le fameux « barrage républicain » a permis au PS de récupérer, ce qui était inespéré, 66 sièges au Palais Bourbon.
5 septembre. Scandale en approche. Pour prouver la véracité d’un article accusé d’être une « fake news » par la gauchosphère, le magazine L’Incorrect porte à la connaissance du public une vidéo montrant Patrick Cohen et son confrère de France Inter, Thomas Legrand, attablés dans un café parisien (le Coucou, avenue Duquesne, dans le 7e arrondissement de Paris) avec deux dirigeants PS, méconnus du grand public mais très puissants : Pierre Jouvet, secrétaire général du parti à la rose, Luc Broussy, président du conseil national. Rachida Dati semble faire les frais de leur conversation, où l’on spécule à bâtons rompus sur les prochaines élections municipales. « On fait ce qu’il faut pour Dati, Patrick et moi », promet Legrand à ses interlocuteurs, ne laissant aucun doute quant à la signification de cette phrase qui veut dire en réalité : « Promis, à l’antenne de France Inter, nos critiques contre la ministre de la Culture et future candidate LR à la mairie de Paris seront nettement plus sévères que nos quelques réserves s’agissant du PS. »
La discussion porte également sur les prochaines présidentielles, en particulier le second tour : « Le problème, avec un Le Pen-Glucksmann, c’est que je ne sais pas ce que fait le centre droit. Je pense qu’ils vont sur Glucksmann mais… Le marais centre droit centre-gauche, on ne les entend pas beaucoup mais ils écoutent France Inter. Et ils écoutent en masse ! » lâche Thomas Legrand, sous-entendant clairement que la radio publique pourrait soutenir M. Glucksmann – chouchou de Thomas Legrand, Patrick Cohen en a brossé un portrait extrêmement flatteur quelques mois plus tôt – et influencer, l’air de rien, une partie de l’électorat.
Par ailleurs, le quarteron politico-médiatique est d’avis qu’il faut encourager l’implantation en France d’éoliennes et de panneaux photovoltaïques. Aucune équivoque possible : cette vidéo montre d’influents journalistes du service public audiovisuel échafauder avec des cadres socialistes les stratégies des prochaines élections et promettre un soutien au catastrophique programme énergétique imposé par Bruxelles.
Le Monde, qui n’avait pas eu de mots assez durs contre le journaliste Jean-François Achilli lorsque celui-ci avait été licencié de France Info pour un hypothétique projet de livre avec Jordan Bardella, tente immédiatement de convaincre ses lecteurs que, cette fois, ce n’est pas pareil. La polémique concernant MM. Cohen et Legrand serait « le genre de tempête que CNews, Europe 1, et la constellation de médias d’extrême droite avec lesquels ces antennes collaborent, déclenchent pour s’en délecter ad nauseam ».
6 septembre.La direction deFrance Inter suspend à titre conservatoire le lampiste Thomas Legrand. Patrick Cohen – qui n’a rien dit de compromettant devant son café au Coucou – échappe, lui, à toute sanction. Dans les hautes sphères de l’audiovisuel public, on espère que les événements politiques qui vont secouer la France – la chute du gouvernement Bayrou et les manifestations du 10 septembre – feront oublier cette vidéo accablante, preuve incontestable de collusion entre des journalistes-militants de l’audiovisuel public et la gauche socialiste. Pour les aider dans ce travail d’amnésie, les JT de TF1 et de France 2 évitent tout bonnement d’en parler. Foudroyés par la réalité, les journaux bien-pensants font quant à eux le service minimum en reprenant les dépêches « neutres » de l’AFP, mais en rajoutant toutefois le qualificatif « d’extrême droite » pour désigner L’Incorrect. Trois mots d’infamie pour neutraliser l’information principale, qui confirme ce que tout le monde sait : l’audiovisuel public, payé par tous les Français, est entre les mains d’une caste journalistique n’hésitant pas à orienter l’information dans le sens de son idéologie socialiste, wokiste, immigrationniste, européiste et écologiste.
7 septembre. Dans Libération,Thomas Legrand se défend comme il peut, c’est-à-dire mal. En substance : nous n’avons pas entendu ce que nous avons entendu, ses phrases sur Raphaël Glucksmann étaient tronquées, hors contexte, celles sur Rachida Dati peuvent choquer, mais le journaliste « assume de dire la vérité sur l’attitude néotrumpienne (sic) de la ministre ». Etc. Thomas Legrand et Patrick Cohen annoncent vouloir porter plainte pour atteinte à la vie privée. Immédiatement, la vidéo d’une émission de « C à vous » circule sur la Toile. On y entend Patrick Cohen justifier un enregistrement contre Laurent Wauquiez réalisé à son insu : « Il y a une démarche journalistique qui me semble tout à fait légitime. » Quant à Thomas Legrand, L’Incorrect rappelle ce qu’il écrivait en 2010, à propos des conversations enregistrées illicitement par le majordome de Liliane Bettencourt : « Les bandes sonores récupérées par Médiapart sont des objets journalistiques tout à fait conformes à l’exercice de notre métier. Ils [les journalistes de Mediapart] ont obtenu cette bande, ils ne l’ont pas volée, ils ont vérifié sa véracité et ils ont jugé leur source fiable. Et cet enregistrement apporte des tas d’informations ! Des informations très éclairantes sur la façon dont une partie du monde économique et financier utilise le monde politique. » Les avocats de MM. Cohen et Legrand se grattent la tête. « C’est pas gagné », aurait dit l’un d’eux.
8 septembre. Le gouvernement Bayrou tombe. Ouf ! Cela dispense d’évoquer la polémique qui enfle. Polémique ? Quelle polémique ?

9 septembre. Thomas Legrand renonce à son émission hebdomadaire sur France Inter. Pour dérider Patrick Cohen, Bertrand Chameroy tente désespérément d’être drôle : « Ça fait 72 heures que Pascal Praud ne débande plus. »
10 septembre. Dans l’émission « Quotidien » sur TMC, Benjamin Duhamel est complaisamment sollicité par Yann Barthès pour dire ce qu’il pense de la vidéo où l’on voit ses confrères s’entendre comme larrons en foire avec des membres du PS. « Je n’ai pas le sentiment qu’ils établissent des stratégies », répond-il, légèrement mal à l’aise. Plus gêné, en tout cas, que le directeur éditorial de Radio France, Vincent Meslet, connu pour avoir déclaré en 2015 à Libération qu’il a « toujours voté socialiste ou écologiste », mais qui affirme à présent dans Le Parisien : « Le pluralisme est omniprésent sur nos antennes », avant de déclarervouloir faire la guerre aux « médias d’opinion ».
11 septembre. Début des hostilités, donc. Au micro de France Inter, le comique troupier François Morel traite de « fils de pute » et d’« enculés » les journalistes de L’Incorrect. Ce ne sont pas des insultes graveleuses mais de l’humour de gauche, faudrait voir à pas confondre.
12 septembre. Patrick Cohen est blanchi par le comité d’éthique de France Télévisions. Au même moment, Thomas Legrand est invité à s’expliquer dans l’émission de la médiatrice de France Inter… qui ne l’interroge pas sur les propos tenus chez Coco au sujet de Rachida Dati. Comme on dit avenue Duquesne, la consoeur « a fait ce qu’il faut ».
15 septembre. Sibyle Veil, la patronne de Radio France, dont France Inter est l’une des filiales, envoie un e-mail à toutes ses équipes. « Nous n’avons rien à voir avec un média d’opinion », écrit-elle, autrement plus drôle que Bertrand Chameroy.
16 septembre. L’Arcom auditionne les dirigeantes de Radio France et France Télévisions. Personne n’est dupe. Cette audition, qui s’est étrangement déroulée à huis clos, débouche comme prévu sur des déclarations spécieuses et de faux serments.
17 septembre. Dans une interview au Monde, Delphine Ernotte, qui n’est que partiellement concernée par l’affaire (puisque Thomas Legrand n’a jamais travaillé pour elle), fait bloc avec Sibyle Veil en lançant une contre-attaque envers CNews. « Il faut admettre que CNews est un média d’opinion, lâche-t-elle. Qu’ils assument d’être une chaîne d’extrême droite ! » Pas sûr que la stratégie du nom d’oiseau fasse oublier le scandale initial.
18 septembre. « Si c’était à refaire, je le referais, dans un endroit plus discret », se flatte Thomas Legrand dans « Quotidien ». Fin du gag.
Rien ne changera. Entre deux ricanements, les journalistes-militants du service public vont continuer de tordre la réalité pour orienter l’information et d’insulter les Français réfractaires à leur doxa. Et, au moment des élections, Patrick Cohen pourra faire barrage à tout-va et tancer vertement les électeurs récalcitrants. On parie ? ■ DIDIER DESRIMAIS
Article extrait du Magazine Causeur

N° 138 – Octobre 2025 4,49 €