
Par Laurent Làmi.
Cette publication n’est pas un article. Mais la transcription d’une conférence donnée dans le cadre d’un pôle formation de la jeune génération d’Action française. Ce sont donc des pistes de réflexion, des vues d’avenir, qui y sont ouvertes et mises en discussion. Ce texte en 5 parties paraîtra « en feuilleton » au fil de la semaine. [13-17.10]. JSF

II. Limites physiques.
Depuis le rapport Meadows de 1972 intitulé Les limites de la croissance, le monde scientifique et le public ont conçu (au moins en théorie) l’idée que la croissance, dans un monde aux ressources limitées, ne peut être égale à une exponentielle infinie.
L’abondance permise par l’extraction de matières premières bon marché et abondantes devient de facto limitée dans le temps. La question est alors : pour combien de temps ?
Pour mesurer et anticiper l’épuisement des ressources géologiques, nous bénéficions d’un outil qui est appelé la courbe de Hubbert, présentée dès les années 1940. Celle-ci associe à chaque ressource naturelle donnée, mais en particulier au pétrole, le passage par un point d’extraction maximum, puis un déclin selon une courbe en cloche.
Cet outil permet donc de prévoir le passage de ce « pic », le maximum géologique d’une ressource à partir duquel l’économie fondée sur cette ressource entre en décroissance.
Car lorsqu’on parle décroissance on parle toujours de projet politico-économique, sans que l’on comprenne qu’il s’agit d’un phénomène physique SUBI.
Et si, lorsque l’on parle de décroissance, on pense à un effondrement lointain, qui a peu de chances d’être vécu, sachez que ces deux affirmations me semblent toutes deux erronées.
Savez-vous, par exemple, que les États-Unis ont déjà passé leur pic de production de pétrole conventionnel ? Savez-vous quand ? En 1971, c’est-à-dire à la date prévue par Hubbert selon sa courbe, qui nécessite divers paramètres à prendre en compte. La production mondiale de pétrole conventionnel a également connu son pic de production en 2006. La production mondiale est depuis soutenue par l’exploitation de pétrole de schiste américain, de moins bonne qualité et plus coûteux à extraire. Si de nouvelles techniques comme cette dernière peuvent permettre de prolonger le système de croissance et le développement des technologies, et donc en fait notre niveau de vie, il faut avoir à l’esprit qu’elles nécessitent toujours l’exploitation de gisements plus profonds, plus compliqués à extraire et à transformer, et in fine fournissent une énergie plus chère, qu’il n’était au départ pas rentable d’utiliser.
Dans le milieu scientifique vous avez deux points de vue différents face à cet état de fait :
Vous avez le point de vue libéral, qui, partant du principe que la société moderne et industrielle a permis le développement humain et libéré l’homme de son asservissement à la nature, conclut qu’il faut poursuivre la création de richesse par l’optimisation de la croissance. Philippe Charlez, dans Les 10 commandements de la transition énergétique, considère que notre modèle de société peut être sujet à moins de gaspillage, en misant à la fois sur la baisse des déperditions énergétiques par l’optimisation des moyens à disposition, et sur un progrès technique raisonnable. Je dis raisonnable car il n’est pas utopique, et place ses espoirs dans des technologies déjà existantes ou proches de l’être, qui, sans constituer une révolution en soi, permettent, mises bout à bout, d’économiser ce qu’il nous reste de croissance et de prospérité.
Sachez que j’ai déjà rencontré Philippe Charlez, et il espère pouvoir préserver le système d’une décroissance pour environ 100 ans. Sachez donc que même les plus optimistes définissent des limites à ce monde et à notre mode de vie moderne.
Néanmoins, lui ne considère pas le fait que les pics pétroliers sont déjà passés, que celui de l’extraction pétrolière mondiale est prévu pour 2025 environ, et qu’une modification des habitudes paraît peu probable, surtout dans une Europe dominée par des démocraties corrompues et incapables de souveraineté, où toute politique de long terme semble compromise. De plus, la disparité de richesse croissante et la déconnexion des élites, déchristianisées et persuadées de leur propre supériorité (produit de la religion zéro et de ce que Todd appelle la stratification éducative) accentuent la perte de toute approche raisonnable et physique de la réalité. Enfin, d’un point de vue humain, le sursis de la société actuelle serait également synonyme de perpétuation des souffrances infligées à l’homme par le système technologique, système dont les conséquences, décrites précédemment, ne sont pas questionnées par Charlez.
L’autre point de vue est celui porté par le très médiatique Jean-Marc Jancovici, président du Shift Project. Très réaliste et pragmatique, il considère que la décroissance subie est déjà en cours et que la contraction des flux, résultant d’un déclin de la disponibilité en énergie, est la cause de l’inflation et de l’appauvrissement des ménages de la classe moyenne. Lui considère, à l’inverse, que nous devons basculer nos conceptions dans un paradigme de décroissance, où la sobriété va devoir être aménagée et imposée collectivement pour favoriser une certaine égalité dans l’accès aux richesses, allant à la baisse. En fait, même si cela ne transparaît pas de prime abord, tant son discours est logique et s’appuie toujours sur des sources et des réalités physiques, son approche est biaisée, et fait planer le risque d’une dictature générale contrôlant les « mœurs énergétiques », c.-à-d. la sobriété de chacun. À la redistribution des richesses promue par les marxistes, les décroissants de gauche substituent le juste partage de l’énergie, le juste partage du pétrole, du gaz, et donc in fine, du chauffage, des aliments, de l’eau, de la lumière, du carburant, etc.
Ce fond politique m’était inconnu jusqu’à il y a peu. Je l’ai saisi après avoir vu une de ses récentes interventions sur France Inter où il considérait les investissements dans l’IA comme un « luxe de riche ». Aucune conception de souveraineté.
Si son analyse est très fine et bien documentée, il a le tort de ne proposer aucune solution de fond.
Et si cela est guidé par une volonté de ne parler que des sujets qu’il maîtrise, cela l’empêche de penser des solutions systémiques.
Pour conclure ce court chapitre, il faut bien avoir à l’esprit que le système actuel est déjà en crise structurelle du fait du déclin de l’abondance des ressources énergétiques fossiles et des passages successifs des pics pétroliers. Les limites sont ici physiques. (À suivre) oo■oLAURENT LÀMI
Intéressante, cette étude que je suis depuis le début. Elle a des passages qui me chagrinent. mais je trouve l’ensemble vraiment très bon. Bravo aux auteurs.