
Par Gabrielle Cluzel.
La Macronie cherche de l’argent partout. Elle furète, soulève les matelas, fouille les bas de laine sous les cadavres.
Cet article est paru dans Boulevard Voltaire le 16 octobre. Gabrielle Cluzel raison. Raison surtout de rappeler que la transmission, l’héritage, ce ne sont pas que « des picaillons, dans une banque » comme disait plaisamment feu le Comte de Paris, Henri VI. Et c’est, en fait, la notion même de tout héritage, de toute tradition – et leur réalité même – à quoi s’en prend l’idéologie dominante. t c’est pourquoi, avec elle, il n’y a aucune conciliation possible. Notre opposition n’a d’autre choix que d’être radicale.
C’est un tic, c’est un toc, c’est un vice, c’est une marotte, c’est une manie ! Yaël Braun-Pivet est repartie, tonitruante, à l’assaut de « l’héritage » : « C’est le truc qui vous tombe du ciel, il y a un moment où cela suffit », a-t-elle lancé, à l’emporte-pièce, ce mercredi 15 octobre, sur le plateau de France 2. Il faut « taxer les héritages » car, ajoute-t-elle, « ce n’est pas sain ».
La Macronie cherche de l’argent partout. Elle furète, soulève les matelas, fouille les bas de laine sous les cadavres à peine froids. Roland Lescure annonce d’ores et déjà une hausse d’impôts de 14 milliards (en rendant, par exemple, 200.000 foyers fiscaux, jusqu’ici exonérés, imposables à l’impôt sur le revenu par le biais du gel de barème… Nienvenue à ces nouveaux Nicolas et, surtout, bon courage !). Ce n’est pas si mal, mais ce n’est pas encore assez, pour la présidente de l’Assemblée.
Rétropédalage
Déjà, le 2 septembre, sur l’antenne de France Inter, elle affirmait vouloir faire « bouger sur la fiscalité des hauts patrimoines », « engager des travaux sur la question des transmissions de patrimoine ».
Hier, elle a donc récidivé. Yaël Braun-Pivet ne le sait peut-être pas, mais elle est devenue LFI : ce qu’elle développe est peu ou prou la théorie de l’économiste d’extrême gauche Thomas Piketty.
La saillie irréfléchie a fait réagir. Par son ton, tout d’abord, méprisant : « ce truc », c’est la sueur sur le front de feu vos parents. Certes, il tombe bien du ciel – en tout cas, de l’avis des croyants. Un professeur de droit fiscal à l’université de Rouen, Frédéric Douet, a résumé d’une phrase lapidaire, son projet : « J’irai taxer sur vos tombes », comme Boris Vian allait cracher. Éric Ciotti parle, l, « d’impôt de la mort ». Un peu de respect, a minima, avant de faire les poches des macchabées.
Sur X, même Julien Courbet a réagi : « Ma maman, qui avait la maladie d’Alzheimer, durant les rares moments de lucidité qu’elle avait, n’avait qu’une obsession : savoir s’il y avait un peu d’argent sur son compte pour ses enfants. Taxez-moi sur mon gros salaire, c’est plus juste, pas la transmission. »
L’émotion a été si forte, sur les réseaux sociaux, que Yaël Braun-Pivet a été obligée de se justifier, sur LinkedIn, pour calmer le jeu. Elle prétend ne vouloir s’occuper que des super héritages. Où commence le super ? Là est la question. On connaît le refrain, on nous l’a déjà chanté mille fois, notamment avec la CSG : on pose le principe, puis on abaisse tout doucement le curseur.
Elle parle, écrit-elle, des « héritages rebond », l’accumulation au fil du temps, depuis les grands-parents, qui pour elle n’est la sueur de personne. Bah si, pourtant, c’est la sédimentation du travail (qui peut être aussi de l’habileté à bien gérer ses biens, ce n’est pas interdit) de toutes les générations.
Notons, au passage, que Yaël Braun-Pivet vit elle-même au Vésinet – on est autorisé à le dire, ce n’est pas un mystère, puisqu’elle l’a précisé elle-même dans ses diverses professions de foi. C’est là qu’elle a donné un cadre de vie confortable à ses enfants, car elle est une bonne mère qui veut le bien de sa progéniture, comme tous les parents. Qu’écrit Le Parisien, au sujet du Vésinet ? C’est la ville la plus bourgeoise des Yvelines, le revenu fiscal des ménages par département y est le plus élevé, plus haut qu’à Versailles ou à Saint-Germain-en-Laye. Il y a beaucoup d’espaces verts, de résidences de luxe et d’hôtels particuliers XIXe. En plus, c’est bien desservi. C’est l’aisance de leurs parents qui permet aux cinq enfants de Yaël Braun-Pivet d’en profiter. Tant mieux pour eux, ce n’est pas de l’argent volé. Mais on peut dire que ces enfants sont des héritiers. Un héritage anticipé, d’une certaine façon, mais un héritage quand même.
Tous les grands-parents, les parents, veulent faire hériter leurs enfants et leurs petits-enfants, poser une petite pierre pour leur faire la courte échelle. Ça leur donne même du cœur à l’ouvrage, pour travailler quand c’est dur et ingrat.
Impôt au cube
François Bayrou, souvenez-vous, avait demandé à « la génération des boomers [d’être avec lui] pour faire baisser la dette des plus jeunes ». La succession, c’est bien cela. Il faudrait, pour rendre ce transfert vertical encore plus efficace, annuler les droits de succession. Et voilà qu’on parle de les taxer un peu plus !
On ne résout cette aporie qu’en modifiant l’hypothèse de base : « l’effort » que l’on demande aux boomers n’a pas vocation à enrichir leurs descendants. Cela servira, par exemple, aux deux milliards que coûte l’accord franco-algérien – il faut bien trouver l’argent quelque part.
Que la France soit l’un des pays les plus taxés au monde, que, sondage après sondage, les Français se révèlent très opposés à tout cela (77 % jugent cet impôt injustifié et 84 % souhaitent que les parents transmettent le plus de patrimoine possible à leurs enfants) importent peu. Que des pays sortant de l’ornière comme l’Italie, alors que leurs droits de succession sont quasi nuls, non plus.
Rappelons que l’argent du défunt a déjà été taxé avec l’impôt sur le revenu et les droits de mutation au moment des ventes immobilières, par exemple. C’est donc de l’impôt au cube. C’est ici que le « il y a un moment où cela suffit » pourrait trouver son sens.
Paradoxalement, d’ailleurs, ce n’est en général pas pour les plus fortunés – même s’ils sont très taxés – que la succession est la plus déchirante. Car ils ont le plus souvent un patrimoine équilibré entre immobilier et valeurs mobilières ou liquidités qui permet aux enfants de s’acquitter des frais de succession sans être acculés à vendre. Il n’en va pas de même des classes moyennes qui ont investi toutes leurs économies dans la maison de leur vie. Leurs enfants, même s’ils sont très attachés à ce lieu dans lequel ils ont grandi, n’auront pas d’autre choix que de la vendre, la mort dans l’âme.
La philosophie sous-tendue pour l’héritage sonnant et trébuchant est la même que pour les autres types d’héritage. La France a été construite, cultivée, labourée, préservée dans ses contours et ses mœurs au prix du sang de nos ancêtres, mais on nous somme de considérer que cet héritage ne nous appartient pas en propre. ■ GABRIELLE CLUZEL
Gabrielle Cluzel
Écrivain, journaliste. Directrice de la rédaction de BV, éditorialiste.

Tout mélanger, les catégories, les niveaux d’analyse, les différentes acceptions des grands mots…y ajouter pathos, approximations, ignorance, hypocrisie et vulgarité (ces deux termes pour la présidente de l’Assemblée Nationale !) telle est la recette pour pourrir un débat.
Transmission, patrimoine, culture, sang et sueur des ancêtres, oui ! il y a un peu de tout ça dans l’héritage, mais il y a aussi la fortification des castes (justement dénoncées par Bock-Côté) par le piston, le népotisme, la connivence, les délits d’initiés, les décisions de justice « selon ce que vous serez », le favoritisme, la captation injustifiée des biens collectifs…
Pourquoi, justement, ignorer ce point de vue collectif, le point de vue des futures générations ? Pourquoi ignorer les descendants des victimes des guerres, des scandales financiers, de l’inflation monétaire, de la mondialisation, de la malchance, de la maladie… Tout le monde reconnaît que les plus pauvres s’enfoncent ces dernières décennies quand les grosses fortunes explosent. Un État digne de ce nom peut-il rester impassible ? Veut-on instaurer un système figé de castes à l’indienne, revenir au temps des « damnés de la terre » ? Pourquoi, enfin, ignorer l’augmentation vertigineuse de la population ?