
La clé, sans doute, la voilà : « On l’a presque oublié, mais Emmanuel Macron vient du PS. Il s’en est moins affranchi pour des raisons idéologiques que parce qu’il fallait changer d’étendard pour maintenir la même élite au pouvoir. Autrement dit, le gouvernement PS devait être sacrifié pour que l’État PS advienne. »
Par Mathieu Bock-Côté.

Il faut se méfier, croyons-nous, des titres et des chapeaux du Figaro : ce sont des édulcorants. Ils ne disent que rarement l’essentiel de ce qui va suivre. Cette chronique, parue ce samedi 18 octobre, n’échappe pas à la règle. Les analyses de Mathieu Bock-Côté, elles, ne font pas dans la faiblesse. Elles rejoignent assez nettement les réflexions de Régis de Castelnau, très efficacement et lucidement prolixe sur la naissance puissamment organisée — et de longue date — du phénomène Macron pour sauver le Système aux abois après le désastreux quinquennat de François Hollande, et pour parachever l’installation de l‘État PS, selon l’expression qu’utilise judicieusement Mathieu Bock-Côté.
Il ajoute la définition de ce qui unit les composantes de ce Système : son hostilité pour l’univers de la transmission et de l’héritage, de l’enracinement. La commune origine est la Révolution. Elle est, en termes simples, l’ennemie de la France historique. Ce que n’écrira pas Le Figaro, où pourtant nous comptons bien des amis, dans ses titres et chapeaux. o JSF

CHRONIQUE – L’État PS est parvenu à verrouiller les institutions. La droite n’a jamais cherché à renverser la situation. C’est pourquoi elle perd tout le temps, même lorsqu’elle gagne.
Le macronisme, qui fera un autre tour de piste alors qu’il est massivement rejeté par la population, a renoué le temps d’un mariage de raison avec ses origines socialistes. Mais on pouvait aussi y voir une passion ranimée. On l’a presque oublié, mais Emmanuel Macron vient du PS. Il s’en est moins affranchi pour des raisons idéologiques que parce qu’il fallait changer d’étendard pour maintenir la même élite au pouvoir. Autrement dit, le gouvernement PS devait être sacrifié pour que l’État PS advienne. On se souvient de la déclaration d’Emmanuel Macron sur l’inexistence de la culture française et de son hostilité déclarée pour les biens immobiliers – dans les deux cas, il marquait son hostilité pour l’univers de la transmission et de l’héritage, de l’enracinement.
Le macronisme avait moins pour vocation de construire un nouveau monde que de parachever la liquidation de l’ancien. C’est une histoire qui remonte à 1981. La gauche, alors, ne voulait pas seulement gouverner le pays, mais changer la vie – elle souhaite toujours la même chose, d’ailleurs. Il ne s’agissait pas seulement d’améliorer la société, mais d’enclencher une rupture irréversible en organisant un basculement définitif de la société d’un état à un autre – ceux qui s’entêteront à tenir tête à cette révolution, même, à vouloir la renverser, seront assimilés aux réactionnaires. La gauche est révolutionnaire de vocation, il lui arrive d’être réformiste par méthode ou par obligation de carrière.
On accusera surtout les riches de se rendre coupables du délit d’inégalité, et pour cela, on les spoliera

Comment, dès lors, créer un dispositif institutionnel transformateur indifférent aux aléas électoraux, permettant aux sachants d’imposer leur utopie, sans que le peuple ne les embête avec ses préjugés ? Il fallait non seulement s’assurer du contrôle des grandes institutions, comme le Conseil constitutionnel, le Conseil d’État, la Cour des comptes, ou les différents organes de l’audiovisuel public, mais multiplier les hautes administrations. Le progressisme technocratique arrivait ainsi à sa quintessence. L’État PS n’est pas composé que de porteurs de carte du parti du même nom. Certains se disent désormais du bloc central, d’autres demeurent fidèles à la vieille maison, mais tous voient avec les mêmes lunettes (roses). On pourrait y voir une coterie, une caste.
Et la caste se croit appelée à piloter le monde. Le socialisme contemporain, qui n’est pas socialiste que de nom, propose une version occidentalisée de l’économie planifiée. Le nouveau budget en est une illustration, avec ses 14 milliards de hausse d’impôts – le modèle social est un tabou, jamais il ne sera jugé dysfonctionnel, il souffrirait seulement de malnutrition fiscale, et pour cela, on partira à la chasse aux nouvelles taxes et aux nouveaux impôts pour l’alimenter, le pauvre. Mais il arrive qu’on saigne exagérément la bête – mieux connue sous le nom du contribuable. Alors on lancera la valse des mille niches fiscales, d’un budget à l’autre, la technocratie s’imaginant ainsi piloter la croissance avec la main bien visible de Bercy, en pénalisant ceux qui doivent l’être, en favorisant les autres, et cela, aussi, pour imposer autant que possible « l’égalité ». On accusera surtout les riches de se rendre coupables du délit d’inégalité, et pour cela, on les spoliera – au point même de déclarer une guerre à l’héritage. Le monde serait plus beau s’il repartait à chaque génération à zéro.
Le socialisme au pouvoir a multiplié les lois de censure étendant le domaine du délit d’opinion
Mais le socialisme n’est pas qu’une doctrine économique : c’est une vision de l’homme. Ainsi, le tournant philosophique imprimé à la justice au début des années 1980 n’a jamais été vraiment remis en question. De même, le socialisme au pouvoir a multiplié les lois de censure étendant le domaine du délit d’opinion, en plus d’imposer une vision de l’identité collective fondée non plus sur le peuple historique français, mais sur une forme de républicanisme diversitaire, qui a trouvé sa première expression militante chez SOS Racisme. Le socialisme s’enthousiasme pour la submersion migratoire mais se désole souvent en fin de parcours de l’effondrement du « vivre-ensemble ». Jamais coupable, il préfère l’expliquer par le racisme des natifs et blâme l’extrême droite.
Mais pourquoi la droite, qui gagne les élections de temps en temps, ou du moins, les gagnait autrefois, n’a-t-elle pas cherché à renverser la situation, à défiscaliser la France, à restaurer la justice, à reconstruire l’identité ? On sait sa carence doctrinale, sa soumission mentale, mais l’essentiel est ailleurs, dans l’État PS, justement, parvenu à verrouiller les institutions pour qu’elles puissent entraver une volonté politique allant contre le sens de l’histoire qu’il croit connaître – c’est ce qu’on appelle aujourd’hui l’État de droit. La droite accepte ce dogme et s’empêche de poser la question du régime, qui serait la seule manière pour elle de renverser la table. Alors elle perd. Elle perd même lorsqu’elle gagne. Elle perd tout le temps. ■ o MATHIEU BOCK-CÖTÉ