
« Condamnation de Marine Le Pen : déni de justice ? Cela peut se discuter. Déni de démocratie ? C’est clair comme le jour. »
Par Dominique Jamet.

COMMENTAIRE – Dominique Jamet revient – à l’approche de phases électorales qui devraient avoir quelque importance – sur la condamnation de Marine Le Pen. Il le fait à sa façon, avec son talent et son option, au moins apparente, de neutralité bienveillante à tous, en tout cas équitable, alors que presque plus rien ne l’est sous ce régime en décomposition nauséabonde… De Gaulle, nous dit l’indispensable Peyrefitte, recevait ses visiteurs en commençant par leur posant cette question : « Alors, qu’est-ce qu’ont dit ? Que disent les gens ? ». Cet article (BV, 18.10), qui n’apprendra rien de bien neuf, à ceux qui suivent d’assez près le cours des choses, nous renseigne au moins sur ce que pensent et disent les gens dans la situation étrangère que nous aura donné à connaître la Ve République, originellement conçue et réglée comme un modèle de stabilité, d’autorité, d’éfficacité et de sérieux. Tout ce qu’elle n’est plus depuis un certain temps déjà, mais dont Emmanuel Macron a précipité le déclin sur un mode si rapide, patent, éclatant et parachevé que « les gens » ont ont sans-dote irrémédiablement pris acte. JSF

Qu’est-ce qu’un attaché parlementaire européen ? Un ange gardien, bien que l’existence et le sexe de ces envoyés du ciel ne soient pas reconnus par les institutions fédérales. Un couteau suisse – bien que la Confédération helvétique ne soit pas membre de l’Union européenne. Plus précisément, un homme, ou une femme, recruté par un eurodéputé mais rémunéré sur le budget du Parlement européen et chargé d’assister le parlementaire qui l’a engagé en tenant son agenda, en organisant sa communication, en travaillant sur ses dossiers et en préparant ses interventions et ses discours. Un militant, de toute évidence, lié à son employeur par une proximité idéologique et personnelle. Un employé de l’UE, tenu d’habiter Bruxelles, Strasbourg ou Luxembourg, et interdit, contre tout bon sens, contre toute logique et même contre la morale la plus élémentaire, de se mêler des affaires du parti politique d’où il est le plus souvent issu, adhérent, voire candidat à divers types d’élections. Bref, à la fois un salarié et un fidèle, lié dans son travail par toutes sortes d’obligations, y compris les plus contraignantes et les plus absurdes. « Attaché ? Vous ne courez donc pas où vous voulez ? », s’étonne le loup sauvage face au chien domestiqué dans une fable de La Fontaine.
Dura lex, sed lex…
Après avoir, durant des décennies, tiré le diable par la queue et même, à l’occasion, sollicité le plus rouge des diables, seul à lui faire crédit, l’irrésistible ascension du Front, puis Rassemblement, national a fait soudain ruisseler entre les mains de ses dirigeants et de ses élus, habitués et résignés à la dèche, un flot d’argent, bienvenu mais inédit, qu’il n’a pas su maîtriser. Disons les choses comme elles sont : le parti a été léger, pour ne pas dire désinvolte. De vieilles fidélités ont été récompensées et rétribuées, sans que leur soit demandé en contrepartie un travail réel ; des assistants ont été engagés sans fournir le travail pour lequel ils étaient payés. Mais, surtout, le parti a assigné des salariés de l’UE à des tâches ou leur a confié des missions qui ne relevaient en rien de leur emploi officiel. De ces errements, le mouvement, en la personne de certaines de ses figures les plus emblématiques, a été sommé de payer la note de ses erreurs. Cher, très cher. Il est de fait que le RN a ignoré et enfreint des règlements dont l’affaire a pourtant mis en lumière l’absurdité des dispositions et des contraintes. Dura lex, sed lex, ont fait valoir, la gueule enfarinée, les juges parisiens. Car c’est un tribunal des bords de Seine, une chambre correctionnelle de Paris, à défaut d’une quelconque Cour européenne (pourtant plus directement concernée), qui a présenté l’addition aux présumés coupables.
Amendes, dommages et intérêts, restitution du trop-perçu, on ne contestera pas la partie proprement financière de l’arrêt rendu. On se bornera ici à faire toucher du doigt l’iniquité du jugement prononcé, la discrimination à l’égard d’un parti légal traité depuis un demi-siècle comme s’il ne l’était pas et, surtout, l’atteinte portée par un tribunal qui juge au nom de la République au principe même de la démocratie.
Selon que vous serez gauchiste, centriste ou diabolique…
La Justice française, pour des faits de même nature, sinon de même ampleur, a disculpé François Bayrou, président du MoDem, au motif que, pas plus que du scandale de Bétharram, le maire de Pau, surmené, n’avait eu connaissance de la gestion des finances de son propre parti. Autre exemple, le très sympathique et très démocratique mouvement animé par le nommé Mélenchon (Jean-Luc), poursuivi pour des faits analogues à ceux qui ont entraîné la condamnation du RN, est l’objet depuis 2017 d’une instruction qui, à ce jour, n’a encore abouti à aucune comparution devant une cour quelconque.
En revanche, on le sait, l’aspect de l’arrêt rendu le 31 mars dernier à l’encontre de Marine Le Pen qui fait problème, tant du point de vue de l’équité que de la validité, est la décision du tribunal de prononcer l’exécution « provisoire », autrement dit immédiate, de la condamnation à l’inéligibilité pour cinq ans. Rien, à ce jour, n’est venu amender, reporter, annuler une sanction sans précédent contre la présidente du premier parti politique français. Sans doute les juges, tout comme ceux qui viennent d’envoyer un ancien président de la République dans un haut cul-de-basse-fosse, ignoraient-ils tout du contexte électoral, politique, national dans lequel ils ont rendu leur sentence.
C’est pur hasard si, en quelque huit années, des tribunaux français ont brisé la carrière, sali l’honneur et extradé du domaine des lois républicaines trois dirigeants de la droite française. Interdire à un homme politique, et de ce rang, de briguer un mandat – et quel mandat ! -, c’est interdire à un professeur d’enseigner, à un médecin de soigner, à un auteur de publier, c’est condamner l’interdit, comme un lépreux au Moyen Âge, comme un hérétique au temps des guerres de Religion, comme un Juif après l’armistice de 1940 ou un militant communiste après juin 1941, à la mort sociale. Les juges qui ont voulu que Marine Le Pen soit réputée indigne de se présenter à quelque élection que ce soit savaient parfaitement ce qu’ils faisaient et que, mine de rien, éternels chats-fourrés, au mépris de leur devoir de neutralité, en dépit de la séparation des pouvoirs, sans souci de la proportionnalité du châtiment au crime, ils prétendaient s’immiscer et interférer dans le plus fondamental des droits d’un système démocratique : la souveraineté du peuple.
Des millions de Français privés de leur liberté
Car, à travers la condamnation de Marine Le Pen, et quelques sentiments – adhésion, sympathie, indifférence, hostilité, haine envers le Rassemblement national, ses candidats, sa direction et sa candidate aux plus hautes fonctions -, ce n’est pas seulement celle qui a obtenu 33 % des voix à la présidentielle de 2017, 42 % des voix à la présidentielle de 2022, qui est créditée de 36 % des voix au premier tour d’une élection présidentielle, avancée ou non, et d’une victoire possible le moment venu. Ce sont des millions de citoyens français, onze millions, treize millions, seize millions, davantage qui, par la décision arbitrale – je veux dire arbitraire – d’un tribunal, se voient privés de leur droit civique le plus élémentaire et accompagnés jusque dans l’isoloir par une petite voix qui les ampute de leur possibilité, de leur liberté, de la confidentialité de leur vote et sont frappés, sans avoir rien fait pour cela, d’une forme modernisée d’indignité nationale. Déni de justice ? Cela peut se discuter. Déni de démocratie ? C’est clair comme le jour. ■ DOMINIQUE JAMET
