
« Sadi Carnot sous la IIIe République décida de vendre les diamants de la Couronne afin d’éviter que les monarchistes ne reviennent au pouvoir. »
Par Jean-Philippe Chauvin.
La France a une très longue histoire qui ne commence ni ne s’arrête en 1789 : le vol audacieux des bijoux royaux et impériaux dans la galerie d’Apollon nous le rappelle en même temps qu’il signale, une fois de plus, le peu de moyens mis par la République à préserver le patrimoine qui appartient à la France et à tous ses habitants, cette mémoire longue des objets qui ont traversé le temps pour parvenir jusqu’à nous. Déjà, en décembre 1976, avait eu lieu, dans cette même salle, le vol de l’épée de sacre du dernier roi oint à Reims, Charles X. Certains disent qu’aucune leçon n’a été tirée de cette triste mésaventure dans laquelle deux gardiens du musée avaient été blessés…
La classe politique et le monde culturel et historien ont manifesté leur émoi, leur indignation et souvent leur colère devant l’impéritie de l’Etat, incapable de sécuriser les musées tout comme les églises et demeures historiques de France. D’autant plus que les alertes n’ont guère manqué ces derniers temps ! Doit-on se résoudre à voir piller les trésors du passé par des bandes sans foi ni loi, si ce n’est celle de l’argent ? Doit-on accepter que l’Etat, de plus en plus empêché par sa dette publique immense, abandonne des pans entiers de ce qui fait, y compris matériellement, la mémoire et l’âme de notre pays ? Faut-il renoncer à conserver ces traces d’un passé royal ou impérial qui a forgé notre pays, au-delà même des régimes et des révolutions ? Non, mille fois non et, en ce domaine comme en d’autres, le désespoir paraît être d’une sottise absolue ou d’un renoncement malvenu.
Mais il est bon aussi de se souvenir que ces malfrats maudits peuvent être considérés comme les héritiers méconnus (et malheureusement inconnus, à l’heure où nous écrivons) de la République des vandales de 1792 et des années suivantes, pillant, détruisant, fondant les trésors royaux et ecclésiastiques du passé pour nourrir leurs guerres aux monarchies d’Europe et pour assurer leur table rase des siècles de règne d’une royauté honnie.

Ce mouvement, qui a vu la disparition de tant de trésors patrimoniaux, ne s’est pas arrêté à Thermidor et la Troisième République naissante y a aussi eu sa part, comme le rappelait le chercheur et professeur au Muséum national d’histoire naturelle François Farges en 2018 (1) : « Sadi Carnot sous la IIIe République décida de vendre les diamants de la Couronne afin d’éviter que les monarchistes ne reviennent au pouvoir. » En somme, le président de la République a été le grand receleur des joyaux de la Couronne, pour des raisons politiciennes avant même que d’être économiques ! Ce scandale oublié nous en dit tout de même long sur l’état d’esprit d’une République qui semble n’aimer l’histoire que si celle-ci sert ses propres intérêts… o ■ o JEAN-PHILIPPE CHAUVIN
1. Le Figaro, 4-5 août 2018.













LE BEAU MAL
Le casse du Louvre n’est ni plus ni moins qu’un spin-off de « La casa de papel » et de « Berlin », deux séries Netflix. Spin-off sonne un peu russe aussi. Vladimir Spinoff, peut-être? Ou Igor? Ou Volodia? En ces temps tendus, où la tension nerveuse le dispute au dérèglement en règle du système, ce ne serait pas étonnant que le Kremlin y soit pour quelque chose. Da?
Oui-da! Une chose est certaine : les amateurs des deux séries susnommées doivent faire ce rapprochement – hasardeux, mais inévitable. C’est clair et net(flix) : le coup des « joyaux de la Couronne de France d’une inestimable valeur » est un dérivé de ces formidables histoires de gens d’âme et de pirates madrilènes qui tiennent en haleine et mettent le spectateur en joie.
Le côté « anonymous » est important aussi. Haut les masques! Par mesures sanitaires, chacun se couvre le visage et ces vaches de virus sont bien gardés. L’air du temps est contagieux. Vide et Covid, les chinoiseries font l’ordinaire des pangolins. Quant à Arsène Lupin (Leblanc, bien sûr), champion de la métamorphose, il dérive de lupus, le loup latin accroc à l’herbe de la montagne.
La boucle est bouclée : des loups aux lupins, en passant par Netflix, la Russie et les bals masqués, le casse du Louvre appartient d’ores et déjà à la légende. En comparaison, la mascarade épileptique (haut-vilain-mal) des camarades princiers et des princes républicains est de pâle figure, maladive, exsangue. Le beau mal – c’est mal, très mal, de voler –, pour tant de bienfaits, est un excellent remède aux déficiences publiques.
Les malfaiteurs ont bien fait, même si leur casse n’est pas parfait (la couronne brillante d’Eugénie sur le trottoir – ou la chaussée? -, et, surtout, le feu manqué du camion qui eût ajouté en ce beau dimanche une touche incendiaire des plus esthétiques). Bien fait, tout de même. À travers ce casse de grande classe et d’une élégance certaine, l’idéalisation est tentante. On n’a pas à se plaindre. Que demande le peuple!
Le popu en moi veut le beurre, les diamants du beurre, la crémière – et des épinards! Un modèle de bonheur. Et, avec ou sans masque, en tenues rouges ou noires (Ni Dieu ni maître + No future), suivre gaiement rebondissements et péripéties qui exaltent son sens osé du panache et de la prouesse héroïque. Le beau mal, ici à l’oeuvre, offre de ces fleurs aux senteurs entêtantes poussées d’un chant de liberté.