
La France s’écroule peu à peu, mais non sans panache !

Ce « billet de Dominique Labarrière » toujours très enlevé est paru le 20 octobre dans Causeur. Nous n’y ajouterons pas de commentaire. Fort bien écrit, fort bien pensé, il se suffit à lui-même. JSF

Alors que les Galeries Lafayette ferment à Marseille, provoquant l’émeute, le Louvre est victime du « casse du siècle ». Tout fout le camp !
Marseille. Les deux magasins des Galeries Lafayette s’apprêtent à baisser définitivement le rideau. Alors on solde, on brade. Ce sont des moins 60%, moins 80 % affichés sur quantité de marchandises en stock. Alléchant bien sûr. On pouvait s’attendre au succès. On est très au-delà du succès. Des gens par centaines, par milliers peut-être s’agglutinent devant les portes bien avant l’ouverture, se précipitent à l’intérieur à peine sont-elles entrouvertes. On se bouscule, on en serait à se piétiner. Images impressionnantes autant que consternantes. On dirait un troupeau de gnous, bref des animaux, de pauvres bêtes de la savane mourant de soif se ruant sur l’unique point d’eau à des dizaines de kilomètres à la ronde. C’est bien à cela que nous assistons. Les choses se passent comme si la vie de cette foule, avilie en populace, était en jeu. Profiter de l’aubaine ou crever ! Hallucinant ! Plus rien d’autre n’existe que le truc qu’on veut à toutes fins posséder. Tel un trophée.
Tout doit disparaitre
Comportement quasi bestial, absolument. Des plus primitifs, en tout cas. Plus rien ne compte, il n’y a plus la moindre retenue, le plus infime respect de ce qu’on appelait voilà encore peu de temps les « civilités ». On verse dans l’émeute, le pillage, le saccage. Or c’est à des scènes comme celles-là qu’on mesure combien notre société est menacée de régression. Où est le remède ? Qui saurait le dire aujourd’hui ?
Et puis, il y a le braquage du Louvre. Si j’osais, je dirais qu’on est là aux antipodes du chaos marseillais. Qu’on imagine un instant ce braquage comme élément de scénario d’un film dont la vedette sympathique serait, par exemple, notre Jean-Paul Belmondo. On applaudirait sans retenue. Pas de violence, pas de coups de flingue, de rafales de kalach’, pas d’égorgement au couteau, pas de prise d’otages, rien de tout cela. En quatre ou sept minutes montre en main, un dimanche matin, en plein jour, au cœur de Paris, l’affaire est réglée. Bien sûr, on peut évidemment larmoyer à l’infini sur la perte de ces joyaux patrimoniaux, témoignage magnifique de notre glorieux passé, de notre grandeur de jadis. Mais cette grandeur n’est plus et il n’est pas certain que la France d’aujourd’hui mérite encore de tels joyaux, qu’elle en soit réellement digne. Cela, bien entendu, n’excuse rien, n’efface nullement l’affront qui nous est fait, le préjudice culturel d’un tel vol. Ni d’ailleurs l’humiliation qui va avec, car, une fois de plus, nous faisons beaucoup rire à l’étranger. Pensez donc ! Le plus beau musée du monde incapable de protéger ses trésors. Oui, cela fait rigoler. À nos dépens, bien évidemment.

Chef d’œuvre
Ces derniers temps, nous donnons il est vrai nombre d’occasions de se payer notre tête. Les moulinets dans le vide et les péroraisons stériles du président, l’interminable pataquès gouvernemental, les bouffonneries parlementaires à répétition, la politicaillerie pitoyable des appareils. Hors de nos frontières, on a donc amplement de quoi se tenir les côtes. La grande marrade, actuellement notre splendide réussite à l’international.
Mais passons outre. Résolument optimiste comme je suis et tiens à le demeurer, je me permettrai l’outrecuidance de souligner la perfection esthétique – oui esthétique – de ce braquage du Louvre. Un ballet, un véritable ballet. Chacun des quatre lascars parfaitement dans sa partition. Pas un geste inutile. Un sang-froid de grands fauves. Le spectacle de rue en majesté, pour ainsi dire. À ce niveau, un tel chef d’œuvre aurait sa place au Louvre, justement…
Bien sûr, redisons-le, le dol patrimonial est lourd, traumatisant nul ne le contestera. Mais on se gardera tout de même d’oublier que rien n’est davantage français – et donc tout aussi légitimement patrimonial – que la fascination de l’audace, de l’intrépidité et, accessoirement, du bras d’honneur à l’ordre établi considéré comme un des beaux-arts. Alors, on perd certes en pierreries de grand prix, en symboles d’importance, mais on gagne d’autant dans le registre de la jubilation iconoclaste. Autre joyau de notre culture, et non des moindres, du moins à ce qu’il me semble. o■oDOMINIQUE LABARRIÈRE

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