
Parce qu’il avait du talent, il eut beaucoup de succès et autant d’ennemis.
Par Jonathan Siksou.

COMMENTAIRE – Cet article, paru dans Causeur le 26 octobre, évoque une période de quelques années de la vie de Sacha Guitry — dont il ne dit peut-être pas assez à quel point il fut, la plupart du temps, adulé —, période au cours de laquelle il subit, à l’inverse, le contrecoup de ces conflits civils où culminent la sottise, l’envie, la basse vengeance, la liberté des fanatiques, des médiocres et des corrompus. Ce fut le cas lors de l’Épuration — une expression qui pourrait à elle seule relever des tribunaux — après la Libération de 1945. Grand patriote, amoureux de l’Histoire de France, Guitry fut accusé de collaboration et dut subir ces Trente jours de prison sur lesquels il écrivit un livre empreint d’ironie. L’article rapporte ces faits. Peut-être faut-il rappeler que, quelques années plus tard, il renoua avec la gloire en produisant coup sur coup une trilogie historique — trois films, trois grandes fresques cinématographiques — qui furent de véritables événements : Si Versailles m’était conté, Napoléon et Si Paris m’était conté. Sa mort, en 1957, fut vécue comme un événement national. JSF
Une pièce inédite de Sacha Guitry refait surface, mettant à mal son injuste et mauvaise réputation. Mon auguste grand-père, interdit par la censure allemande, témoigne du bras de fer qui l’opposa toute la guerre à l’occupant.

Les mauvaises réputations ont la vie dure, même lorsqu’elles sont infondées. Sacha Guitry en sait quelque chose : son passé de collabo fut tel que les tribunaux d’épuration ne trouvèrent rien, aucune preuve de quoi que ce soit pour le condamner. Cette accusation mensongère lui colle encore à la peau. Certes il ne prit pas le maquis, mais il passa toute l’Occupation à résister à l’occupant. Avec ses armes : son esprit et son théâtre.
Parce qu’il avait du talent, il eut beaucoup de succès et autant d’ennemis. Avant d’essuyer les foudres des gardiens de la culture d’après-guerre – à peu près les mêmes qu’aujourd’hui –, il eut à ferrailler avec les critiques de la presse collaborationniste (« il faut voir leur gueule, cela explique et rassure »).
Quelques semaines après l’instauration des premières lois antijuives, ladite presse l’accuse, en décembre 1940, d’être juif. À lui de prouver le contraire. Il griffonne cette note : « Donc faire tout de suite une pièce qui tournerait en dérision la question juive. En souligner la gravité en montrant le ridicule. Détourner les Français d’en être les complices. Leur faire entendre un son de cloche différent – en insistant sur les ravages que peut causer la délation. La faire sans tarder, cette pièce – en raison même des dangers auxquels une pareille démonstration m’expose. »
En seulement trois jours, Guitry écrit Mon auguste grand-père. Une pièce en cinq actes pour vingt et un comédiens[1]. On suit Christian, un artiste peintre à qui la chance sourit. Du moins au début de la première scène de l’acte I. La jeune femme qu’il aime est prête à se marier avec lui, une commande va lui rapporter une fortune, et le nouveau directeur des Beaux-Arts veut le rencontrer. Mais la dulcinée déboule rapidement pour lui dire que tout est fini entre eux, il apprend au téléphone que la commande est annulée et un autre appel lui annonce que le rendez-vous n’aura pas lieu. À ses côtés, son copain Titi lui fait comprendre la soudaineté de ces revirements : le bruit court qu’il est juif.
Christian ne l’est pas, mais comme Guitry, il néglige ses papiers de famille et va difficilement reconstituer son arbre généalogique. Le dénouement, avec son monologue final, est inattendu, brillant et poétique.
Fin décembre, les cinq décors sont construits et les répétions s’enchaînent jusqu’à la mi-janvier au théâtre de la Madeleine que dirige le maître. Mais quelques jours avant la première, le 25 janvier 1941, Mon auguste grand-père est interdit par la censure. Guitry est convoqué par M. Epting, le directeur de l’Institut allemand. « J’entends ces mots », écrit Sacha : « Nous ne pouvons tolérer que vous tourniez en dérision les lois raciales. Vos intentions sont claires et nous ne sommes pas dupes de la légèreté apparente de l’ouvrage. Votre pièce est drôle, elle est précisément trop drôle et nous n’accepterons pas qu’on se moque de nous. Quant aux Français, ils ne sont pas encore mûrs pour entendre une pièce pareille. »
Elle ne sera jamais jouée ni publiée[2].
Jusqu’à ce qu’Albert Willemetz (petit-fils du grand librettiste et président de l’Association des amis de Sacha Guitry) mette la main sur le manuscrit et décide de le faire imprimer. À quand la première, quatre-vingt-quatre ans après la répétition générale ? ■ JONATHAN SIKSOU
[1] Pendant quatre ans, il tentera toujours de monter de grandes productions afin de faire travailler le plus possible d’acteurs de la profession (comédiens, machinos, costumiers, décorateurs etc.).
[2] Par la suite, la censure interdira d’autres pièces telles Le Nouveau Troubadour et Le Soir d’Austerlitz, ainsi que son film Ceux de chez nous.
À lire
Mon auguste grand-père, Sacha Guitry, 2024.

MON AUGUSTE GRAND-PERE : 29,00 €
Sacha Guitry et Yvonne Printemps, Albert Willemetz, 2024.

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Disponibles sur Amazon et sur le site de l’association : association-des-amis-de-sacha-guitry.com 1












