
Entretien par Victor Lefebvre
« La vérité, c’est que l’immigration change un pays de manière permanente »

Cet entretien paru hier dans le JDD rend compte des études universitaires en cours aux Etats-Unis sur les conditions, les difficultés et les conséquences – variables – d’assimilation des étrangers issus de l’ l’immigration. L’immigration massive que la France subit – et toute l’Europe – n’est visiblement pas de celles dont l’assimilation est la plus rapide, la mieux accomplie, ni la plus féconde. Quant à ses conséquences et quant a leur gravité pour la survie de la France, les Français en ont maintenant – mais sans effet, pour l’instant sur les politiques – pleine conscience à une très large majorité. JSF
Professeur d’économie à la George Mason University, Garett Jones développe la théorie de la « transplantation culturelle » : les immigrés importent et transmettent leurs valeurs sur plusieurs générations. Un processus qui, selon lui, façonne durablement l’identité des nations d’accueil.

Dans une note qui vient de paraître, l’Observatoire de l’immigration et de la démographie propose une application au cas français du concept de « transplantation culturelle » de Garett Jones, professeur d’économie à la George Mason University.
Votre théorie de la « transplantation culturelle » tend à montrer que les immigrés conservent et importent leurs valeurs morales, religieuses et sociales une fois arrivés dans leur pays d’accueil. Quels sont les chiffres et données statistiques qui l’attestent ?
Yann Algan et Pierre Cahuc, de Sciences Po, ont montré en 2010 que la confiance interpersonnelle se transmet jusqu’à la quatrième génération d’immigrés aux États-Unis. La Scandinavie est une région où la confiance est très élevée, et parmi les Américains ayant des ancêtres scandinaves, ce niveau de confiance reste également très haut. Cette confiance interpersonnelle a aussi été étudiée parmi les immigrés en Europe : on y constate que dans la deuxième génération, les enfants d’immigrés conservent environ la moitié de l’attitude de leurs pays d’origine. Les recherches de Paola Giuliano, à Ucla, ont montré que le rapport à la frugalité se transmet jusqu’à la troisième génération – aux petits-enfants des immigrés – en Grande-Bretagne. Par exemple, la Chine est un pays au taux d’épargne très élevé ; en moyenne, les petits-enfants d’immigrés chinois épargnent davantage que les autres petits-enfants d’immigrés. En Allemagne, Nicola Fuchs-Schündeln, de l’université Goethe de Francfort, a trouvé le même type de transplantation culturelle au sein des immigrés de deuxième génération. Parmi les valeurs qui se transmettent le plus fortement figurent, selon une étude sur l’immigration intra-européenne, celle du travail et la croyance que le gouvernement devrait résoudre les problèmes de nos vies. D’autres valeurs sont transmises plus modérément : l’importance accordée à Dieu et à la famille. Et certaines à peine : la confiance dans la police ou l’idée que les femmes devraient travailler. Dans les sciences sociales, il existe toujours des différences : la transplantation culturelle est une règle… avec beaucoup d’exceptions.
« On peut choisir des immigrés selon leurs valeurs »
L’assimilation est donc un leurre ?
Un demi-leurre. Comme l’ont écrit en 2015 Alberto Alesina (Harvard) et Paola Giuliano : « Les valeurs culturelles sont persistantes ; lorsque les immigrés s’installent dans un lieu doté d’institutions différentes, leurs valeurs culturelles ne changent que progressivement, si tant est qu’elles changent, et rarement en l’espace de deux générations. »
Peut-on imaginer une lecture positive et optimiste de votre étude ?
Oui. On peut choisir des voisins qui peuvent nous améliorer ; on peut choisir des immigrés selon leurs valeurs. Ceux qui croient que les immigrés s’assimilent très vite doivent croire qu’il est impossible d’améliorer le taux d’épargne moyen, le niveau d’éducation ou la confiance interpersonnelle grâce à une politique d’immigration sélective – les immigrés s’assimileraient trop vite, selon eux ! Mais la vérité, c’est que l’immigration change un pays de manière permanente ; donc une immigration sélective peut aussi l’améliorer de manière permanente.
A-t-on des exemples de diasporas dont l’apport culturel et social a été bénéfique pour le pays d’accueil ?
Oui : trois professeurs de Yale – Arkolakis, Lee et Peters – ont récemment démontré que les immigrés européens arrivés vers la fin du XIXe siècle ont joué un rôle essentiel dans l’ascension économique des États-Unis. Ils ont montré que les immigrés venus d’Allemagne et de Grande-Bretagne étaient bien plus innovants que les Américains natifs. Les États-Unis ont une dette importante envers ces immigrés doués. On voit aussi cet effet dans le Sud-Est asiatique : la diaspora chinoise y a profondément transformé les économies locales. À Singapour, en Malaisie, en Thaïlande et aux Philippines, les entrepreneurs d’origine chinoise ont créé une part disproportionnée des entreprises les plus dynamiques et ont diffusé des normes d’épargne et d’éducation particulièrement exigeantes. Leur présence a souvent stimulé la croissance, favorisé la formation d’une classe moyenne et contribué à moderniser les institutions économiques. C’est un exemple classique de transplantation culturelle réussie – une diaspora capable d’élever le niveau général de productivité et de confiance. o ■ o VICTOR LEFEBVRE












