
Volodymyr Zelensky a débarqué à Paris dans son costume de théâtre, cette tenue noire sans marque distinctive qui est sa légende. Sur la base aérienne de Villacoublay, Emmanuel Macron l’a étreint comme un compagnon de tranchées.
Par Vincent Hervouët.

Cette chronique pertinente et informée suivant les qualités et le style habituels de Vincent Hervouet, est parue au JDD du 19 novembre.
CHRONIQUE. Alors que la guerre fait rage et que les scandales de corruption éclaboussent le pouvoir de Zelensky, la rencontre à Paris entre Emmanuel Macron et son homologue ukrainien masquent difficilement les limites du soutien occidental apporté à Kiev.

Volodymyr Zelensky a débarqué à Paris dans son costume de théâtre, cette tenue noire sans marque distinctive qui est sa légende. Elle dit au monde qu’il est l’homme ordinaire qui fait la guerre. Le soldat inconnu célèbre dans le monde entier. Sur la base aérienne de Villacoublay, Emmanuel Macron l’a étreint comme un compagnon de tranchées. Le décor imposait la retenue : les industriels de la Défense avaient étalé le meilleur de leur production, comme les primeurs au marché. Rafale, drones, systèmes de défense antiaérienne de nouvelle génération SAMP-T, radars GF 300, bombes AASM, tout un alphabet en pagaille qui ravit les spécialistes et prouve qu’il reste une industrie nationale. Volodymyr Zelensky a tout pris !
Dans le monde réel, seuls trois vieux Mirage ont été livrés à l’Ukraine
Le clou du spectacle a été la signature de la lettre d’intention. Avec ce chiffre mirifique : 100 Rafale. Mieux encore que « le contrat du siècle » signé avec les Émirats arabes unis pour 80 appareils. Le président Macron a salué « un grand jour ». Volodymyr Zelensky, un « accord historique ». Les médias ont applaudi. Qu’importe qu’il s’agisse d’une simple lettre d’intention, qui signifie que des négociations sont engagées. Que ni l’Ukraine, ni la France n’ont les moyens de financer ces achats. Ni l’Europe, sauf à s’adosser aux avoirs russes, ce qui n’est pas acté. Et tant pis si le matériel tout neuf est livré au mieux dans dix ans, quand la guerre sera finie. C’est l’intention qui compte. Dans le monde réel, seuls trois vieux Mirage dont personne ne sait ce qu’ils sont devenus ont été livrés à l’armée de l’air ukrainienne depuis le début de la guerre.
Même théâtre d’ombres au mont Valérien. Emmanuel Macron a présenté à son homologue l’état-major de la Force multinationale en Ukraine. Une trentaine de pays a promis d’y participer. Il ne manque pas un bouton de guêtre à cet état-major sauf qu’il faudrait un cessez-le-feu et l’accord improbable des Russes pour que cette armée fantôme se déploie sur le terrain…
Le front intérieur
À Pokrovsk, la guerre ne fait pas semblant. L’empoignade est obscure et meurtrière. Des commandos russes se sont infiltrés dans la forteresse du Donbass, l’infanterie ennemie achève de l’encercler.
Sur le front intérieur, c’est pire. Le président ukrainien a été élu pour mener bataille contre la corruption. C’était tout le programme du Serviteur du peuple… Volodymyr, le héros du feuilleton télé et Zelensky, le candidat populiste. La semaine dernière, le parquet spécialisé et la brigade anticorruption ont dévoilé un système qui soutirait 10 % en pots-de-vin aux entreprises signant des contrats avec la société nationale d’énergie nucléaire. La fraude aurait rapporté 100 millions d’euros, estimation basse. Le gouvernement est éclaboussé. Le ministre de la Justice a dû démissionner, la ministre de l’Énergie aussi. Le vice-Premier ministre et le secrétaire du Conseil national de sécurité sont impliqués, soit le premier cercle autour du président. Pire, le cerveau de l’affaire serait Timur Mindich, copropriétaire de la société de production fondée par Volodymyr Zelensky. Mystérieusement averti du coup de filet, il s’est enfui en Israël.
En juillet, Volodymyr Zelensky avait tenté de placer les organismes de lutte anticorruption sous son autorité directe, en prétextant la traque d’agents russes. Des manifestations sans précédent l’ont obligé à reculer. Aujourd’hui, le patron de l’enquête accuse les services secrets dépendant du président d’avoir tout fait pour l’entraver.
Avec les coupures de courant incessantes et les pénuries d’énergie, les Ukrainiens s’apprêtent à vivre l’hiver le plus rude depuis le début de la guerre. Savoir que des ministres de l’énergie ont empêché de protéger les transformateurs pour s’enrichir sur leur dos ne les laisse pas de glace. Le théâtre aux armées ne suffira pas à les réchauffer. ■ VINCENT HERVOUËT
Mais, par ailleurs… La Maison-Blanche fait pression sur l’Ukraine avec un nouveau plan de paix.
C’est ce que nous apprennent les informations et dépêches recueillies ce jour par Le Figaro International, sous la signature de Mayeul Aldebert, à Washington. Elles donnent à penser que Trump reste, en réalité, constant dans son analyse de la guerre en Ukraine et dans sa volonté d’entente pour la paix avec la Russie.
Ce plan de paix désavantageux prévoit une réduction de moitié de l’armée ukrainienne et reste flou sur les garanties de sécurité apportées à Kiev dans le cadre d’une fin de la guerre.
Un nouveau plan de paix conçu par Washington et prévoyant des concessions majeures de la part de l’Ukraine a été proposé à Kiev. Selon le média américain Axios, qui a révélé mardi les manœuvres en coulisses qui ont abouti à ce plan, cette proposition comporte 28 points. Les conditions, largement défavorables à l’Ukraine, prévoient que Kiev cède la région du Donbass dans son entièreté, y compris les derniers territoires que l’armée ukrainienne contrôle encore.
En échange, le Donbass serait démilitarisé par la Russie. Il serait aussi reconnu comme territoire russe par les États-Unis et «d’autres pays», tout comme la Crimée. Kiev devrait également céder les régions de Kherson et de Zaporijia où la ligne de front n’a que peu bougé ces derniers mois. À ces exigences territoriales, s’ajoutent des contraintes en matière de défense que l’Ukraine a toujours considérées comme des lignes rouges. La proposition prévoit ainsi une réduction de son armée de moitié environ, à 400.000 hommes.Passer la publicité
Quant aux garanties de sécurité apportées par les États-Unis, elles restent floues. Comme l’a rapporté ensuite le Financial Times, Kiev devrait s’engager quoi qu’il en soit à renoncer à certaines catégories d’armement clé pour sa défense et à ne plus recevoir d’aide militaire étrangère, notamment américaine. Aucune troupe militaire étrangère ne devrait non plus stationner en territoire ukrainien.
« Une capitulation »
«Pendant des mois, l’administration Trump a rejeté ces exigences russes. Or, elle semble désormais y céder», résume Tom Wright, chercheur au Brookings Foreign Policy sur X, qui s’étonne d’une telle proposition, alors que la Maison-Blanche avait adopté ces derniers temps une attitude plus ferme vis-à-vis de la Russie pour rééquilibrer le rapport de force en vue des négociations à venir. Ce nouveau plan de paix, ajoute le chercheur, n’est «ni plus ni moins qu’une capitulation de l’Ukraine face à un ennemi qui ne l’a pas vaincue sur le champ de bataille».
Les négociations ont été discrètement menées par Steve Witkoff, l’émissaire spécial de Donald Trump qui travaille sur le dossier depuis le retour du républicain à la Maison-Blanche. Après être parvenu à un accord à Gaza pour mettre fin à la guerre en Israël et le Hamas, cet ancien homme d’affaires reconverti en diplomate a échangé avec Kirill Dmitriev, financier proche de Poutine qui connaît bien l’Amérique pour être passé par les universités de Stanford et de Harvard. C’est lui que Poutine avait chargé, en début d’année, d’opérer le rapprochement américano-russe dans la foulée de l’investiture de Trump. Il était venu à Washington au printemps pour rencontrer Witkoff une première fois.
Depuis, les négociations ont piétiné, la Russie exigeant à chaque ébauche de pourparlers l’annexion sans concession des régions ukrainiennes qu’elles convoitent. Après la Crimée en 2014, le Kremlin a prononcé en 2022 l’annexion de quatre régions ukrainiennes supplémentaires, celles de Donetsk et Lougansk dans l’Est, Zaporijia et Kherson au sud, bien que les forces russes n’en contrôlent pas l’ensemble du territoire.
L’Ukraine sous pression
Donald Trump est resté longtemps persuadé de pouvoir convaincre personnellement Vladimir Poutine de revoir ses exigences à la baisse. Il a finalement haussé le ton en octobre, devant les différentes manœuvres du président russe qui faisait miroiter au président américain des pourparlers qui ne se sont jamais vraiment concrétisés. Trump a choisi d’accentuer la pression sur la Russie en augmentant la coopération en matière de renseignement avec Kiev ou en sanctionnant les pays qui continuent d’acheter du pétrole à la Russie.
Il a soutenu récemment au Sénat américain un projet de loi imposant des droits de douane de 500% aux pays qui commercent avec Moscou pour isoler au maximum l’économie de guerre russe. Mais avec Trump, qui avait promis pendant sa campagne présidentielle de mettre fin au conflit en 24 heures, la menace d’un désengagement américain plane toujours.
Volodymyr Zelensky, en difficulté après un scandale de corruption dans le gouvernement ukrainien, est donc sous pression plus que jamais. Steve Witkoff a soumis le nouveau plan de paix à son conseiller à la sécurité nationale, Rustem Umerov, qui serait venu jusqu’en Floride le week-end. Une réunion devait se tenir mercredi en Turquie, selon le Financial Times, entre le président ukrainien, l’émissaire spécial américain et le ministre turc des Affaires étrangères qui participe aux discussions. Mais devant certains points inacceptables du nouveau plan pour l’Ukraine, la réunion aurait été annulée. Le quotidien britannique a révélé que Moscou exigerait que le russe soit reconnu comme langue officielle de l’État ukrainien ou encore que l’Église orthodoxe russe ait un statut officiel dans le pays. ■












