
Par Bertrand Renouvin.
Article paru dans Royaliste n°1311 du 19 novembre 2025
« Le symbolique, ce n’est pas rien. Le mot n’est pas synonyme d’insignifiance, c’est même tout le contraire. » C’est sur cette affirmation, ou ce rappel, que nous partageons le plus volontiers l’analyse de Bertrand Renouvin. Pour le reste, qui est aussi affaire de circonstances, on peut débattre. JSF

« Il est possible d’aller plus loin… »
Nous le disons sur tous les tons depuis un demi-siècle : le symbolique, ce n’est pas rien. Le mot n’est pas synonyme d’insignifiance, c’est même tout le contraire : un objet symbolique est toujours chargé de significations, comme nous l’avons constaté lors du vol de la couronne exposée au Louvre. Cet assemblage de métal et de pierres précieuses évoque si puissamment notre histoire que la plupart des Français en sont affectés.
Dans l’ordre politique, un personnage symbolique, revêtu ou non des insignes de sa fonction, est un homme comme les autres – le théâtre, la littérature, le cinéma ne cessent de nous le dire – à cette différence près qu’il porte une charge singulière, éminente, qui le place dans une situation quelque peu étrange puisqu’il est à à la fois central et en retrait dans la société et par rapport à elle. Après le regretté Lucien Sfez (1), nous avons dit et redit que la fonction politique est par définition symbolique. Il y a les principes et les rites, le drapeau et la devise, mais aussi cette nécessité toujours problématique : il faut que le symbolique soit incarné.
Nous ne devrions pas avoir à répéter ces banalités, lassantes pour nos plus anciens lecteurs. Ils se souviendront cependant que nous avons assisté à la destruction progressive, mais somme toute méthodique, de la fonction symbolique par des présidents de la République qui en avaient été investis par la volonté du peuple français.
L’idée qu’il fallait être « comme les autres » – c’est déjà Giscard jouant de l’accordéon – a été ravageuse. Il est tout de suite devenu évident que le chef d’État qui pose en bras de chemise est un homme qui fait semblant. Surtout quand on a appris, avant de le regarder, qu’il est entouré d’une escouade de publicitaires rehaussés en « communicants ». Le fameux travail d’image a transformé la scène politique en un théâtre où se produisaient le Bon père de famille, le Réformateur inspiré, le Nettoyeur de banlieues au Karcher…
Plus on communiquait, plus le débat politique perdait de son sens. Ceux qui avaient connu les grandes confrontations sur les projets – entre Valéry Giscard d’Estaing et François Mitterrand, entre celui-ci et Jacques Chirac, entre Jean-Marie Le Pen et ses adversaires – ont vu l’écart se creuser entre les vastes et alléchants programmes des candidats et la gestion “pragmatique” à la mode de Bruxelles, Francfort et Berlin. Le cynisme de la Communication, la logique du quinquennat et la dérive oligarchique du pouvoir ont produit ce que tout le monde constate, mais que les futurs candidats à la présidentielle ne veulent pas voir : le vainqueur est élu sur le rejet de son rival et la classe politique, tout comme les grands médias, fait l’objet d’un discrédit massif. L’impopularité phénoménale de l’actuel locataire de l’Élysée contribue à noircir ce sinistre tableau, le bénéficiaire du dégagisme de 2017 étant vivement poussé à se dégager lui-même.
Cette autodestruction de la Présidence par les présidents de la République et par les présidentiables ruine la fonction politique en tant que telle et nie radicalement la dynamique institutionnelle observée dès la IIIe République. Malgré l’hostilité à l’Exécutif du vieux parti républicaniste, la fonction présidentielle avait été restaurée par Raymond Poincaré et Alexandre Millerand puis, après la guerre, par Vincent Auriol et René Coty avant que le Général lui donne sa pleine dimension.
Les partis politiques ont été aspiré par le trou noir qui se creusait au sommet de l’Etat. Transformés en écuries pour les présidentiables et en annexes de l’Élysée, ils ont connu une ultime dérive avec le « parti-entreprise » macronien qui se décompose sous nos yeux. Presque tous sont en proie à des phénomènes de rivalité mimétique, le choc des ambitions venant réduire les programmes au choix d’une thématique – immigration, réforme des retraites, sécurité publique – qui n’entre pas dans les attributions présidentielles mais dans celles d’un Premier ministre et des ministres concernés. Le Rassemblement national n’échappe pas à cette tendance normalisatrice, même si la victoire de son candidat à la prochaine présidentielle risque de créer dans le pays des tensions spécifiques – qu’il tentera de neutraliser par un surcroît de conformisme.
Pour rétablir l’autorité symbolique, nous suggérons d’agir de telle sorte que les vérités connues deviennent des vérités reconnues. Il est possible d’appliquer à la lettre la Constitution et d’instaurer une présidence arbitrale, afin que le chef de l’Etat, redevenu médiateur, soit le garant de l’unité nationale. Il est possible d’aller plus loin, en prenant l’exemple des monarchies européennes démocratiques et parlementaires dans lesquelles la fonction royale, renforce l’unité par la simple logique de sa situation. Un chef d’État qui n’est pas issu d’une compétition électorale peut arbitrer le jeu politique et transcender les conflits sociaux d’autant plus sûrement qu’il ne doit rien aux puissances économiques. Telle est la voie concrète, immédiatement intelligible, qui s’offre aux citoyens soucieux de sortir de la crise du Politique. o ■ o BERTRAND RENOUVIN
(1). Lucien Sfez, La Symbolique politique, PUF, Que sais-je ? 1988.











