
« Plutôt qu’imiter les populistes de droite, Shabana Mahmood et Mette Frederiksen inventent un « conservatisme de gauche », fondé sur le travail et non l’assistanat, sur la solidarité nationale et non la diversité mondiale, sur la souveraineté et non un monde sans frontières, sur des alliances anciennes et nouvelles par-delà le mondialisme et le nationalisme. »
Parce que la France est une nation fondamentalement européenne, et qu’elle ne manquera évidemment pas de le rester du simple fait de sa géographie et de l’-Histoire — malgré ses excroissances ultramarines lointaines et les mirages fort aléatoires de l’Indo-Pacifique ou d’autres horizons — l’évolution de nos voisins européens face à l’immigration de masse, qui constitue dans l’ordre du réel et de l’urgence le problème le plus grave des temps à venir, nous concerne au premier chef. Elle peut en effet nous être utile si elle s’oriente vers la défense de l’héritage historique, culturel et religieux des peuples du Continent, pour nous, d’abord le peuple français, puis celui de nos voisins. C’est en cela que réside l’intérêt de cet article du Figaro (27.11) portant sur le cas britannique en la matière. o JSF
Par Adrian Pabst.
TRIBUNE – La nouvelle politique migratoire du gouvernement Starmer s’inspire de celle menée par les sociaux-démocrates danois. Deux exemples qui dessinent les contours d’un possible conservatisme de gauche, explique le philosophe*, figure de la pensée post-libérale.
*Vice-directeur du National Institute of Economic and Social Research, à Londres, Adrian Pabst est l’auteur de « La Politique de la vertu », avec John Milbank (Desclée de Brouwer). Il vient de publier « Penser l’ère post-libérale » (Desclée de Brouwer).
Une partie de la gauche européenne est-elle en train de prendre un tournant populiste de droite ? À en croire les progressistes, les positions des sociaux-démocrates danois et du Parti travailliste britannique seraient réactionnaires, voire fascistes. L’annonce par le gouvernement du Royaume-Uni de supprimer l’accès automatique aux aides sociales pour les demandeurs d’asile a provoqué un tollé parmi certains députés de la majorité, tandis que le leader du parti écologiste Zack Polanski, qui imite le discours du nouveau maire ultra-progressiste de New York Zohran Mamdani, accuse les travaillistes de tenir un discours « cruel, impitoyable et lâche » et appelle les électeurs à un sursaut « contre la haine et la division ».Passer la publicité
Outre-Manche, la réforme de la législation sur l’immigration s’inspire du modèle danois, mis en place par la secrétaire générale du parti social-démocrate, Mette Frederiksen. Pour se faire entendre auprès de l’électorat traditionnel de la social-démocratie qui avait voté en grand nombre pour le Parti populaire danois (équivalent danois du Rassemblement national), elle a eu le courage de reconnaître : « Vous ne nous avez pas abandonnés ; ce sont nous qui vous avons abandonnés ! »
Une fois élue première ministre à la tête d’un gouvernement de coalition avec les écologistes en 2019, Mette Frederiksen s’est d’abord attaquée au problème de l’immigration afin de convaincre les classes populaires qu’elle avait compris une de leurs préoccupations principales.
Son gouvernement est allé plus loin que le parti conservateur danois, avec notamment la mise en place d’un séjour temporaire et non permanent pour les réfugiés, leur retour obligatoire dans leur pays d’origine dès que le gouvernement danois le considère sûr, ainsi que l’allongement du délai avant leur acquisition de la citoyenneté danoise. Récemment, Mette Frederiksen a aussi nommé un nouveau ministre de l’Immigration, Rasmus Stoklund, qui incarne la ligne dure du parti social-démocrate sur ces questions d’immigration et d’intégration.
Face aux flux migratoires, tous les deux sont favorables à l’incarcération et l’expulsion des immigrants condamnés par la justice danoise et s’opposent farouchement à la Cour européenne des droits de l’homme. Ils exigent une réforme de l’art. 8 qui protège le droit à une vie familiale et privée et qui est l’article le plus fréquemment cité par les juges de la Cour pour bloquer l’expulsion de criminels étrangers ayant déposé une demande d’asile.
C’est justement à ce « gouvernement des juges » que s’attaque la ministre de l’Intérieur britannique Shabana Mahmood, issue du Blue Labour, courant conservateur du Parti travailliste. Lundi 17 novembre dernier, elle a présenté son plan au Parlement pour supprimer l’accès automatique aux aides sociales pour les demandeurs d’asile. Désormais ceux-ci auront l’obligation de travailler ou d’étudier, et l’État supprimera les aides sociales « pour ceux qui ont le droit de travailler et qui peuvent subvenir à leurs besoins ».
Invention d’un « conservatisme de gauche »
Dans le cadre d’une vaste réforme visant à lutter contre l’immigration irrégulière, Shabana Mahmood a annoncé d’autres mesures radicales qui s’inspirent du modèle danois : réduction de la protection accordée aux réfugiés, qui seront « forcés de rentrer dans leur pays d’origine dès qu’il sera jugé sûr », réduction aussi de la durée du séjour des réfugiés de 5 ans à 30 mois, et multiplication par quatre du délai nécessaire pour demander à devenir résident permanent, de 5 à 20 ans, enfin accélération des expulsions moyennant une nouvelle loi qui bloque les recours interminables et les demandes de dernière minute.
De foi musulmane, [Shabana Mahmood] condamne fermement la radicalisation, exige l’assimilation des musulmans et se bat contre toute forme d’antisémitisme déguisée en critique d’Israël.
Face au légalisme libéral qui subordonne le politique à la loi et au pouvoir des juges, la ministre dit ressentir « un devoir moral » de lutter contre l’immigration irrégulière qui « déchire notre pays ». Cette immigration « divise les communautés, les gens constatent une énorme pression dans leurs communautés et ils voient également un système qui est défaillant (…) », a-t-elle déclaré sur la BBC.
Si elle vise à mettre un terme à l’immigration irrégulière, qui a atteint des niveaux records depuis que la gauche est revenue au pouvoir à Londres en juillet 2024, Shabana Mahmood s’attaque aussi aux forces qui sapent la cohésion du pays. De foi musulmane, elle condamne fermement la radicalisation, exige l’assimilation des musulmans et se bat contre toute forme d’antisémitisme déguisée en critique d’Israël. C’est elle qui demande de nouveaux moyens pour interdire les manifestations en faveur du Hamas, notamment après l’attaque sur une synagogue à Manchester par un islamiste qui a fait deux morts parmi la communauté juive.
Plutôt qu’imiter les populistes de droite, Shabana Mahmood et Mette Frederiksen inventent un « conservatisme de gauche », fondé sur le travail et non l’assistanat, sur la solidarité nationale et non la diversité mondiale, sur la souveraineté et non un monde sans frontières, sur des alliances anciennes et nouvelles par-delà le mondialisme et le nationalisme.
Repousser l’islamo-gauchisme
Les conservateurs – et conservatrices – de gauche fustigent le modèle économique ultralibéral d’une « mondialisation heureuse » qui attire la main-d’œuvre bon marché au lieu d’investir dans la formation de la population nationale. En effet, le conservatisme de gauche comprend que pour les classes populaires les principales préoccupations sont plus nombreuses que l’immigration : salaires trop faibles, insuffisance des logements sociaux, services publics en tension, incivilité et délinquance, disparition des modes de vie traditionnels et perte de sens. Les gens ordinaires sombrent dans le déclassement économique et l’insécurité culturelle.
L’aile « dure » de la social-démocratie reste aujourd’hui minoritaire au sein des gauches en Europe, d’autant qu’elle vient de perdre deux figures importantes : Sahra Wagenknecht, qui vient de démissionner de la présidence de son parti « conservateur de gauche », et Kate Forbes, vice-première ministre du gouvernement écossais, qui ne se représentera pas lors des élections du mois de mai prochain – citant l’hostilité envers sa foi chrétienne comme une des raisons de se retirer de la vie politique.
Mais les « conservateurs de gauche » emmenés par Mette Frederiksen et Shabana Mahmood s’attaquent aux vaches sacrées défendues par les progressistes, déterminés à faire baisser l’immigration et repousser l’islamo-gauchisme. Ils savent que ces réformes sont nécessaires mais insuffisantes pour regagner la confiance du peuple. C’est le modèle de société tout entier qu’il faut refonder, le tissu social qu’il faut recoudre. Serions-nous à l’aube d’un tournant conservateur ?o ■ o ADRIAN PABST











