
Par Antoine Viso.

Après la fuite, le 20 octobre dernier, du document de paix en 28 points produit en cachette par l’administration américaine, les pays de l’E3 (France, Allemagne et Royaume-Uni) se sont affolés en constatant que des négociations, amorçant un possible dénouement du conflit débuté en 2022, allaient bel et bien avoir lieu sans leur consultation.
Mais si les regards se sont surtout attardés sur le traitement réservé à l’Ukraine comme pays vaincu (cession territoriale et limitation de l’armée), ce sont bien les aspects relatifs à la reconstruction et au commerce qui semblent former l’architecture, voire le motif qui sous-tend le plan de paix.
Réinvestissement de 100 milliards d’actifs russes gelés dans les projets d’investissement américains en Ukraine, ajouté à 100 autres milliards venus des pays d’Europe, injection du “reste des fonds russes gelés […] investis dans un véhicule d’investissement américano-russe séparé” (point 14), réintégration de la Russie dans l’économie mondiale dont on précise qu’elle sera accompagnée d’un “accord de coopération économique à long terme avec les États-Unis”, et accès préférentiel à court terme de l’Ukraine au marché européen (point 11) ; autant de raisons de faire la paix[1].
Sans compter les points concernant le commerce fluvial et l’export de céréales en Mer Noire (point 23), la réouverture des mines, et la reconstruction des infrastructures gazières (point 12).
On imagine mal que ces dispositions aient été radicalement modifiées par la version amendée, raccourcie à 19 points par les Européens, dont les passions étaient à l’évidence surtout soulevées par la mise par écrit des cessions territoriales.
Et la nature des appels téléphoniques fuités entre Steve Witkoff, envoyé spécial de Trump et Iouri Ouchakov proche conseiller de Poutine, qui peuvent laisser supposer une complaisance américaine à l’égard des prétentions maximalistes russes, n’enlève rien à la volonté propre de la Maison blanche d’en “finir vite” avec l’affaire ukrainienne, quitte, comme on l’a vu, à traiter directement avec la Russie.

Loin des conditions moralisatrices et fantasques posées par les Européens déniant la réalité du terrain, Washington ne se gêne aucunement pour négocier directement avec Moscou et envisager la fin de la guerre par la conclusion d’un partenariat commercial. La cession des territoires, désormais acceptée par les Etats-Unis, témoigne bien du fait que ceux-ci ne se font aucune illusion sur leur propre défaite en Ukraine. La question est désormais d’ordre communicationnel d’une part et économique d’autre part. Comment présenter cette défaite américaine et comment en tirer parti ?
Nul doute que Trump saura manier le show et le deal pour répondre à ces questions.
Pour la Russie, la normalisation de sa situation – synonyme de réouverture de son marché intérieur – est une question de temps.

La vraie perdante est Kiev, dont l’administration est justement mise en cause par une enquête pour corruption ayant entraîné la démission d’Andriy Yermak, homme fort du président Zelenski.
Si la guerre a fait de l’Ukraine la frontière physique et meurtrie entre les empires américain et russe, la paix en construction projette déjà d’en faire un marché à ciel ouvert.
Après le déchaînement du fer, les forces d’argent se préparent. o ■ o ANTOINE VISO
[1] france24, Ce que contient le plan de paix américain pour l’Ukraine en 28 points, 21 novembre 2025, en ligne : Ce que contient le plan de paix américain pour l’Ukraine en 28 points – France 24 [consulté le 1er novembre 2025].
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