
Le chemin de l’apaisement avec Alger ne se trouvera qu’à condition que Paris assume le langage de la déculpabilisation et rompe avec la faiblesse systémique dans laquelle se sont installés ses dirigeants…
Par Arnaud Benedetti.

Cet article est paru le 6 décembre dans dans La Nouvelle Revue Politique, récemment créée. Arnaud Benedetti connaît son sujet mieux que personne. Avec Alger, il prône la fermeté. Nous n’ajouterons pas de commentaire si ce n’est pour marquer notre accord. JSF

La condamnation en appel par la justice algérienne du journaliste Christophe Gleizes à 7 années de prison ferme aura fait office d’une « douche froide » pour tous ceux qui avaient vu dans la libération de Boualem Sansal un prélude à un apaisement des relations franco-algériennes.
Depuis le retour heureux de l’écrivain franco-algérien, via l’Allemagne, une atmosphère empreinte de confiance et d’optimisme s’était installée parmi nombre de responsables et d’observateurs hexagonaux. S’y était par ailleurs ajouté un récit bien plus motivé par des vues de politique intérieure que par une analyse factuelle et lucide de la vraie nature du pouvoir des hiérarques qui à Alger entendent tenir d’une main de fer leur pays et leur peuple. Du coté gouvernemental en France, tout était fait pour démontrer, souvent à rebours de la réalité du dossier Sansal, que la stratégie de la diplomatie de retenue l’avait in fine emporté sur celle de la fermeté incarnée par l’ancien Ministre de l’intérieur, Bruno Retailleau. Or, dans les faits entre une évidence de faiblesse diplomatique et une velléité de fermeté, la France n’aura pas fait libérer l’auteur du « Serment des Barbares » qui l’a d’ailleurs confirmé implicitement dans plusieurs de ses interviews. Celui-ci doit d’abord sa libération à la médiation allemande, à l’isolement d’Alger après sa défaite politique sur le sujet du Sahara occidental et vraisemblablement à cette mobilisation citoyenne, souvent décriée par le Quai d’Orsay, qui depuis novembre 2024 n’aura jamais renoncé à pointer du doigt le caractère scandaleux de l’embastillement d’un intellectuel dont le seul tort était de portraiturer les pathologies du régime algérien.
Par contraste, Christophe Gleizes n’aura pas bénéficié d’un élan similaire. Ses proches et ses soutiens se seront astreints depuis Mai 2024, date de son placement sous contrôle judiciaire en Algérie, jusqu’à sa double condamnation en première et en deuxième instance ce 3 Décembre, aux consignes de la diplomatie française. Des questions devraient se poser légitimement sur une prédisposition qui dès le début du dossier Gleizes a conduit la France à conseiller au journaliste et à sa famille de faire confiance en la procédure ainsi qu’en la justice algérienne. Ce n’est qu’en Juin 2025, après sa première condamnation, qu’est apparu sur la scène publique, au grand jour, le cas de notre compatriote, soit plusieurs mois après l’arrestation de Boualem Sansal. Ce silence volontaire se sera révélé inefficient, confirmant en creux que la prise d’otage est toujours renforcée dès lors qu’elle se double du mutisme du pays dont l’otage est le ressortissant…
D’autres facteurs expliquent également le maintien en détention du journaliste du magazine « So Foot ». Xavier Driencourt dans la tribune qu’il a accordée à la NRP en identifie plusieurs, à commencer par le fait que le pouvoir algérien ne saurait libérer aussi rapidement un second ressortissant français alors que plus de 300 prisonniers d’opinion algériens croupissent dans les geôles d’un régime toujours plus répressif. À ce qui ainsi apparaîtrait comme une différence de traitement selon que l’on est ressortissant d’un pays tiers ou ressortissant algérien se greffe la volonté de pression d’Alger pour obtenir l’extradition d’opposants kabyles, réfugiés en France ou la libération d’un agent consulaire impliqué dans la tentative d’enlèvement de l’opposant et influenceur Amir DZ.
Loin d’être sensibles à la rhétorique de l’apaisement et de la réconciliation, les dignitaires algériens, divisés par leurs luttes de factions, fragilisés par la solitude régionale et internationale à laquelle ils se sont exposés, trouveront toujours intérêt à se coaguler dans la réactivation permanente du ressentiment antifrançais. Ils y puisent là le carburant de leur perpétuation et sans doute aussi y trouvent-ils le moyen de poursuivre un rapport de forces qu’ils imposent de manière constante aux autorités françaises. Ainsi , puisque la France est considérée par les hiérarques algérois comme leur meilleur ennemi, le temps n’est-il pas venu à Paris de reconsidérer le logiciel d’accommodement aux provocations permanentes du régime d’Alger qui prévalent dans une relation nuisible tant aux intérêts de ce côté-ci de la Méditerranée qu’à la situation d’ensemble de la société algérienne et de son peuple? Le moment est arrivé non seulement de se poser la question mais également d’y apporter les réponses qu’impose une histoire sans issue, faute de changement de paradigme. Le chemin de l’apaisement avec Alger ne se trouvera qu’à condition que Paris assume le langage de la déculpabilisation et rompe avec la faiblesse systémique dans laquelle se sont installés ses dirigeants, dès lors qu’ils sont confrontés aux diktats et à l’absence de scrupules de leurs homologues algériens…o ■ o ARNAUD BÉNEDÉTTI

Ancien rédacteur en chef de la Revue politique et parlementaire, Arnaud Benedetti est professeur associé à Sorbonne-Université, essayiste et spécialiste de communication politique. Il intervient régulièrement dans les médias (Le Figaro, Valeurs actuelles, Atlantico, CNews, Radio France) pour analyser les stratégies de pouvoir et les mécanismes de communication. Parmi ses ouvrages figurent Le Coup de com’ permanent (Cerf, 2018), Comment sont morts les politiques ? Le grand malaise du pouvoir (Cerf, 2021), ainsi qu’Aux portes du pouvoir : RN, l’inéluctable victoire ? (Michel Lafon, 2024). Ses travaux portent sur les transformations du discours public et les évolutions de la vie politique française.











