
Une chronique qui se veut ironique – et qui l’est vraiment, fourmillant d’idées saugrenues et drôles. Parfois désopilantes. Moment de détente rafraîchissant dans le contexte politique sous tension. Une ironie parfois fondée sur des poncifs ou des options politiques sous-jacentes qui ne sont pas les nôtres, ou même y sont contraires. Même en un tel cas, Samuel Fitoussi rend compte de la situation avec esprit et intelligence des circonstances. Le lecteur de JSF en fera la critique si bon lui semble.
Par Samuel Fitoussi.
À propos de ces chroniques du Figaro, Christophe Boutin a écrit : « Fitoussi est toujours aussi bon. Mais là, c’est un vrai régal… Et le pire est qu’il n’est sans doute pas loin de la réalité ». Avis partagé. Cet article est paru ce matin. JSF

CHRONIQUE – Une semaine sur deux, notre chroniqueur pose son regard ironique sur l’actualité. Aujourd’hui, après la proposition d’une élue socialiste de renommer la place du Panthéon, il imagine ce que chaque formation politique ferait des rues de Paris si on leur laissait la possibilité de les rebaptiser.
À l’occasion des 120 ans de la loi de 1905, l’élue socialiste du 5e arrondissement de Paris Marine Rosset a proposé de rebaptiser la place du Panthéon en « place de la laïcité ». Une excellente idée : renommer les lieux emblématiques de Paris pourrait être un puissant levier de changement social. Nous revenons de plusieurs futurs alternatifs, et sommes en mesure de vous présenter le projet en ce sens de chaque parti pour les années à venir.
2027 : pour combattre l’invisibilisation des minorités dans l’espace public, il est décidé d’établir une stricte parité entre les rues aux noms de racisés et de non-racisés. La place Vendôme devient la « place George-Floyd » (une grande statue de Floyd, visible depuis l’espace, remplace la statue de Napoléon) tandis que la rue de Rivoli, intégralement piétonnisée, est consacrée à une exposition sur la vie d’Assa Traoré (sponsorisée par Louboutin). Dans la cour du Louvre, on se débarrasse de la pyramide (via les encombrants de Paris) pour libérer de l’espace pour la Coupe de France de rodéo urbain. Tous les ans, s’affronteront les vainqueurs des différents championnats régionaux (Trappes, Marseille et Saint-Denis en D1, La Courneuve, Aubervilliers, La Courneuve et Montauban en D2).
2028 : Voltaire accusé d’islamophobie, la rue Voltaire est remplacée par la rue Oui-Oui (le livre préféré de Sébastien Delogu).
2030 : les Sages (Mathilde Panot, Ersilia Soudais et Louis Boyard) se réunissent et arrivent à la conclusion que la rue Beethoven fait trop penser à Raphaël Enthoven, la rue François-Villon, à François Fillon. Elles sont renommées « rue du Front-de-Libération-Pour-la-Palestine-1 » et « rue du Front-de-Libération-Pour-la-Palestine-2 ».
2031 : pour éviter tout malentendu, l’esplanade de la Libération devient l’esplanade de la Libération-de-l’Algérie, la rue des Martyrs devient la rue des Martyrs-Palestiniens.
La place des Vosges devient la « place du Combat-Contre-les-Discours-de-Haine-qui-Nous-Divisent-et-Nous-Montent-les-Uns-Contre-les-Autres-en-Fragilisant-Notre-Fraternité-Républicaine ». Les mois qui suivent, la situation du pays s’apaise
2038 : sur ordre du nouveau leader de LFI, le cheikh Oussama Ibn Khaled al-Ansari, les noms de rue féminin, contraires à la volonté d’Allah, sont proscrits. La rue Simone-de-Beauvoir devient la rue Mahomet, la rue George-Sand devient la rue Mohammed, la place Olympe-de-Gouges devient la rue Muhammad, la rue Colette devient la rue Mohammad, la place Simone-Veil devient la rue Ahmed, la rue Jeanne-d’Arc devient la rue Ahmad. La place de l’Étoile, elle, devient la place Mehmed-le-Conquérant.
Bloc central :
2030 : grand plan de lutte contre le terrorisme et le séparatisme. La place de l’Étoile devient la place de la Défense-des-Principes-Républicains, la place de la Bastille devient la place de la Lutte-Contre-l’Anonymat-Sur-les-Réseaux-Sociaux, la place des Vosges devient la « place du Combat-Contre-les-Discours-de-Haine-qui-Nous-Divisent-et-Nous-Montent-les-Uns-Contre-les-Autres-en-Fragilisant-Notre-Fraternité-Républicaine ». Les mois qui suivent, la situation du pays s’apaise. La DGSI peut enfin allouer moins de moyens à la lutte contre le djihadisme et plus de moyens à la lutte contre les stéréotypes de genre.
2032 : sous l’impulsion de Yaël-Braun Pivet, le Parlement promulgue une loi de parité hommes-femmes dans les noms de rue. Le boulevard Saint-Germain devient le boulevard Saint-Germaine ; les habitations de la rue Monsieur-le-Prince sont détruites et tous les habitants relogés rue Princesse. Au croisement de la rue Aurore-Bergé et de la rue Élisabeth-Borne, l’esplanade Ségolène-Royal (anciennement des Invalides) fait face au pont Aya-Nakamura (anciennement Alexandre-III). C’est dans ce lieu sacré que Gabriel Attal choisit de se mettre en scène pour interdire les fake news et constitutionnaliser la lutte contre le mal.
2036 : Pour combattre la morosité ambiante, Emmanuel Macron (de retour au pouvoir) renomme toutes les rues de Paris « rue des Jeux-Olympiques-2024 ». Seule l’avenue de Wagram y échappe ; elle est renommée « avenue Léon-Marchand ».
2040 : autour de la tour du Vivre-Ensemble (anciennement tour Eiffel), des blocs de béton permettent d’éviter des attaques terroristes trop fréquentes (LFI accuse d’ailleurs ces blocs de béton d’islamophobie), des militaires quadrillent le périmètre parce que des mineurs isolés violents rôdent. Pour ramener l’ordre, l’exécutif décide de taper un grand coup sur la table : le Champ-de-Mars devient le « Champ-de-l’Universalisme » pour faire nation dans le respect de nos différences.
Parti socialiste :
2030 : toutes les rues de France sont renommées rue Gisèle-Pelicot.
LR :
2027 : toutes les rues de France sont renommées rue Charles-de-Gaulle.
2028 : LR inaugure une rue de l’Assimilation, une rue de la Réduction-du-Budget, une rue de la Fin-de-l’Assistanat, une rue de la Fermeté-Judiciaire. En parallèle, LR, membre du front républicain, vote les lois du premier ministre Olivier Faure.
RN :
Le RN renomme l’avenue des Champs-Élysées, « avenue Patrick-Sébastien ». Le restaurant Le Fouquet’s est rebaptisé « Restaurant Jérôme Fourquet ». La rue Pascal, dans le 5e, devient « rue Pascal-Praud ». La station Villiers est renommée « station Philippe-de-Villiers ». Quant à la station de métro Europe, elle est fermée. Plus aucun métro ne s’y arrête. Le Conseil constitutionnel ne laisse heureusement pas faire.o ■ o SAMUEL FITOUSSI

Samuel Fitoussi, « Pourquoi les intellectuels se trompent » aux Éditions de l’Observatoire.












