PAR MATHIEU BOCK-CÔTÉ.
Cet article est paru dans Le Figaro le 2 septembre. Nous n’y ajouterons pas grand chose si ce n’est que, sous les aspects d’une crise conjoncturelle, c’est un procès en illégitimité que Mathieu Bock-Côté y intente au régime en tant que tel, au régime en soi-même. Droite et gauche ensemble. Ce procès en illégitimité ne date pas d’hier. Mais des débuts de la IIIe République jusqu’à son pitoyable effondrement de l’été 40. En vérité, de sa fuite devant l’ennemi. Après la chute de la IVe face aux paras d’Alger, la Ve République a tenté de refonder un État et de lui donner une légitimité. Légitimité : une notion que De Gaulle a relevée, qu’il a tenté de restaurer. Il faudrait être aveugle ou sot pour ignorer ce qu’il en est advenu. Les royalistes ou le Prince, ou l’un et l’autre, seraient fondés à voir se dessiner devant eux un boulevard théorique ou virtuel. Ceux, parmi eux, qu’anime vraiment l’angor patriae savent que, nonobstant l’agonie du Système, il leur reste bien du pain sur la planche et une grande œuvre à accomplir.
CHRONIQUE – Pour le sociologue québécois, la scène politique confuse témoigne d’une crise profonde de l’unité nationale.
Le régime semble de moins en moins ancré dans le pays. Peut-être est-ce le prix de la légitimité négative conquise entre les deux tours de la présidentielle.
Au soir du deuxième tour des législatives, lorsqu’il devint évident que le Rassemblement national comme la Nupes pèseraient lourdement dans la composition de l’Assemblée nationale, le système médiatique fit le pari d’expliquer cette percée en théorisant une poussée des extrêmes s’alimentant mutuellement et faisant désormais le siège d’une république menacée, repliée dans la macronie, qui en serait désormais seule gardienne. Les rôles étaient bien partagés: d’un côté, les frères ennemis rouges et bruns, de l’autre, les démocrates attachés au parti de la raison. Qui se dérobait à ce récit était jugé complice d’une des deux forces frappées d’anathème.
Quelques mois plus tard, ce récit se décompose sous nos yeux, tellement les deux formations qu’on présente comme siamoises ont suivi des parcours contrastés, ce qui n’est pas très surprenant, d’ailleurs. Le RN, sous l’impulsion de Marine Le Pen, loin d’adopter une stratégie séditieuse, ou insurrectionnelle, a multiplié les signes ostentatoires d’adhésion à la culture et aux usages du parlementarisme. Il ne faut pas en être exagérément surpris : même au temps du père, le FN n’aimait rien tant que les délices de la vie à l’Assemblée. Il n’en est pas de même à gauche, où La France insoumise entend désormais occuper tout le créneau contestataire, dans un discours qui se veut ouvertement révolutionnaire, en devenant le seul et unique parti antisystème.
On se moque beaucoup de Sandrine Rousseau ces jours-ci. On comprend pourquoi: le personnage est ubuesque. Il est aussi glaçant. Son manque d’humour affiché et sa volonté de rééduquer les mauvais rieurs s’accompagnent d’une ambition explicite: étendre le domaine du contrôle social à tous les domaines de l’existence. Sa guerre déclarée à ce qu’elle appelle l’androcène permet de faire converger théoriquement des revendications éparses qui ont néanmoins en commun un profond rejet de la civilisation occidentale, qu’on la fasse remonter jusqu’aux Grecs ou même tout simplement jusqu’aux Lumières. Ce n’est pas seulement parce qu’elle profite de la complaisance des médias qu’on la voit partout, mais parce qu’elle incarne le mieux la nouvelle synthèse idéologique à gauche. Jean-Luc Mélenchon, dans un style un peu plus vieillot, mais qui cherche néanmoins à s’adapter, en appelle aussi au retour de la révolution anticapitaliste. À court terme, on peut être certain que la gauche cherchera à contourner le Parlement par la rue. Elle nomme cette stratégie celle des «luttes sociales».
C’est la macronie qui écope, convaincue d’être assiégée dans une République en danger et multipliant les manœuvres, qui ressemblent surtout à des simagrées, pour renouer avec la population, le Conseil national de la refondation en étant l’exemple le plus patent. Le régime semble pourtant de moins en moins ancré dans le pays. Peut-être est-ce le prix de la légitimité négative conquise entre les deux tours de la présidentielle, sous la bannière d’un front républicain peinant à rassembler au-delà de catégories sociales bien identifiées. On se souvient alors de la leçon de Guglielmo Ferrero : quand le pouvoir a peur, il cherche alors à faire peur, en croyant ainsi recréer les conditions de sa formation et de sa consolidation.
Quand Emmanuel Macron prophétise la fin de l’abondance, quand Élisabeth Borne annonce une société de rationnement et de pénuries, on reconnaîtra une communication gouvernementale ouvertement anxiogène, qui vise à déstabiliser psychologiquement une population et l’amener à consentir mentalement à de grandes réformes que l’on croyait inimaginables il y a encore peu. La crise écologique est bien réelle, et celle de l’énergie aussi, mais la rhétorique qui l’accompagne nous rappelle que la politique peut faire feu de tout bois. C’est au nom de la guerre pour l’Ukraine, ou contre les changements climatiques, qu’on se mobilisera, l’essentiel étant de se mobiliser. La communication apocalyptique est censée «churchilliser» le chef de l’État. La mise en scène théâtrale d’une France au bord de l’abîme est censée redonner une marge de manœuvre à un président que plusieurs disent fatigué.
On peine à voir autre chose qu’une scène politique bloquée, écartelée entre des projets fondamentalement irréconciliables, qui condamne chaque camp à radicaliser sa rhétorique. Dans ce contexte, la droite classique se cherche, résiduelle, repliée dans ses fortins régionaux et municipaux, à la recherche d’une incarnation capable de refaire de son côté du spectre politique ce que Mitterrand a fait à gauche au début des années 1980. Sur le papier, le projet peut sembler envisageable. Mais, concrètement, cette scène politique confuse témoigne d’une crise profonde de l’unité nationale, et d’une fracture intime du corps politique, que la représentation nationale ne parvient plus à transcender, mais accentue – à moins qu’elle ne la radicalise, tout simplement. ■
Mathieu Bock-Côté
Mathieu Bock-Côté est docteur en sociologie, chargé de cours aux HEC à Montréal et chroniqueur au Journal de Montréal et à Radio-Canada. Ses travaux portent principalement sur le multiculturalisme, les mutations de la démocratie contemporaine et la question nationale québécoise. Il est l’auteur d’Exercices politiques (éd. VLB, 2013), de Fin de cycle: aux origines du malaise politique québécois(éd. Boréal, 2012) et de La dénationalisation tranquille (éd. Boréal, 2007). Ses derniers livres : Le multiculturalisme comme religion politique, aux éditions du Cerf [2016] – le Le Nouveau Régime(Boréal, 2017) – Et La Révolution racialiste et autres virus idéologiques, Presses de la Cité, avril 2021, 240 p., 20 €.
Analyse impeccable de Mathieu Bock-Côté. Merci. Notons la référence intéressante à Ferrero , historien italien rarement cité et méconnu. ( et pour cause! ) .
Pour Guglielmo Ferrero les soubresauts des guertes europénnes ( le suicide de l’Europe ) sont la conséquence des désordres du 14 juillet 1789, qui ont créé un vide de légitimité, qui a entrainé la grande peur et la fuite en avant dans la guerre civile euopéenne pour deux siècles . Sans prendre parti Emmanuel de Waresquiel fait simplement remonter cette crise de légitimité à mai 1789 où tout a basculé en une semaine ( voir son dernier livre) , et où la fuite en avant qui devient sanglante s’est mise ensuite iùpitoyablement en route. Peu importe, l’essentiel c’est de montrer que la crise radicale de légitimité actuelle a des racines anciennes et nous met aujourd’hui en péril. Conclusion il n’y a rien à attendre des partis qui veulent coudre des vêtements vieux sur des vêtemetns neufs ( le retour à la légitimité) tant qu’ils ne convertissent pas à ce saut salvateur. La crise de régime est bien sûr insoluble dans le cadre actuel , il rend son encre noire;. Prenons en acte. .